Fallouja, ville martyre

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Tout a commencé le 31 mars. Ce jour-là, un convoi de quatre véhicules transportant des Américains travaillant à la base aérienne de Habania traverse à vive allure la ville de Fallouja, vers la bretelle de l’autoroute menant à Bagdad. La première voiture saute sur une bombe, les trois autres subissent un tir nourri par des assaillants embusqués des deux côtés de la route. Bilan : quatre agents de sécurité américains sont tués sur le coup, leurs corps carbonisés. Quelques minutes plus tard, une foule bigarrée danse autour de la voiture en feu, extirpe les cadavres, les mutile et les pend sur le pont enjambant l’Euphrate. Les images, insoutenables, font l’ouverture de tous les grands networks américains. Le proconsul Paul Bremer promet que ce crime ne restera pas impuni.

Vendredi 2 avril, Grande Mosquée de Fallouja. L’imam Mahdi Qoteibi sermonne ceux qui ont participé à la funeste orgie : « Un vrai musulman ne saurait accomplir de tels actes. » Repentance ? Sans doute, mais Bremer n’envisage pas de revenir sur ses propos. La punition aura bien lieu. Et sera collective. Le soir même, tous les axes routiers desservant la ville sont coupés par l’armée américaine. Le courant électrique et l’eau aussi. Commence alors un siège meurtrier qui fera, en quatre jours, quelque cinq cents morts, essentiellement des femmes et des enfants. La victime la plus jeune ? Un bébé de 6 mois, brûlé vif avec sa mère. La résistance s’organise et ralentit l’avancée des marines. Deux hélicoptères Apache sont abattus. Le général Mark Kimmit, chef des opérations à Fallouja, décide de changer de stratégie : ce sont des F16 qui pilonneront désormais la ville. Les bombes à fragmentation pleuvent sur les banlieues de Nezzal et Golan. Le carnage émeut tout le pays. Fallouja n’est plus sunnite, ni baasiste. Elle est irakienne.
Les quartiers de Bagdad, distant de 70 kilomètres, organisent des collectes de vivres et de médicaments à destination des hôpitaux de Fallouja, débordés par l’afflux de blessés. Des dizaines de camions et des milliers de piétons, venus de Sadr City la chiite, d’El-Mansour la bourgeoise ou de Karrada la commerçante, convergent, le 6 avril, vers la ville martyre. Ils sont bloqués à 15 kilomètres de Bagdad. Plus précisément au barrage fixe d’Abou Gharib. Les soldats américains sont pris à partie. Après deux affrontements, ordre est donné aux GI’s de laisser passer la foule compacte.
La population de Fallouja interpelle le Conseil de gouvernement transitoire (CGT). Adnan Pachachi, un de ses membres, intervient à la télévision pour demander à… Moqtada Sadr de se rendre. Le jeune leader chiite avait ouvert, quelques jours plus tôt, un nouveau front contre la Coalition (voir p. 20). Le CGT avoue son impuissance. « Nous ne pouvons demander aux Américains de mettre fin à cette opération », déclare Pachachi. Le conseil des chefs de tribus irakiennes menace d’appeler officiellement à la résistance si les Américains poursuivent le siège de Fallouja.

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Vendredi 9 avril, quartier du Golan. Les marines se sont volatilisés. Les snipers de la résistance ont causé de nombreuses pertes américaines. Dans la matinée, Mohsen Abdelhamid, membre du Parti islamique irakien et du CGT rencontre Bremer et négocie un cessez-le-feu à Fallouja, pour des raisons humanitaires. Le proconsul accepte et décrète un arrêt des hostilités à midi. « Pas question ! rétorque le général Mark Kimmit, nous avons promis de liquider la résistance et nous le ferons. » Sur le terrain, les propos du général se confirment. Les bombardements et le carnage se poursuivent.
Avec le développement du front sud, le siège de Fallouja marque un tournant dans l’Irak post-Saddam. La ville n’est plus le ramassis de « nostalgiques de l’ancien régime », mais un symbole pour tous les Irakiens, qu’ils soient chiites, sunnites ou kurdes (la ville en compte quelques milliers). Partout ailleurs, la résistance prend de l’ampleur. À Washington, les événements de Fallouja sont vécus comme un scénario catastrophe. Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld admet que la Coalition rencontre « des problèmes sérieux » et annonce le maintien des troupes devant être relevées dans les semaines à venir. Les familles de soldats manifestent pour exiger le retour des boys, tandis que la cote de George W. Bush continue de chuter dans les sondages, à six mois de la présidentielle. Son rival, John Kerry, affirme que les États-Unis se sont enlisés. À raison : le mot Vietnam revient de plus en plus souvent dans la bouche et sous la plume des commentateurs.

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