Et maintenant ?

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

Par son ampleur, la victoire d’Abdelaziz Bouteflika lors de la présidentielle du 8 avril a des allures de plébiscite et pourrait entretenir des suspicions autour de la régularité du scrutin. Mais à bien y regarder, et de l’avis des observateurs étrangers et nationaux, les amendements introduits à la loi électorale par des parlementaires islamistes du Mouvement de la réforme nationale (MRN el-Islah d’Abdallah Djaballah), en décembre 2003, rendent peu probable le hold-up évoqué par les trois rivaux du président réélu. D’autant que les 40 000 bureaux de vote étaient placés sous la surveillance permanente de 59 000 représentants des candidats, du début du scrutin jusqu’au dépouillement. Tous ont signé et pris une copie des procès-verbaux sanctionnant le déroulement des opérations. Les cent vingt-cinq observateurs étrangers ont qualifié la procédure électorale de positive, relevant une nette amélioration par rapport aux précédents scrutins. Le raz-de-marée réalisé par le président tient moins à une improbable fraude qu’à son habileté politique. Bouteflika est le candidat qui a su réunir les soutiens politiques les plus significatifs. De la toute-puissante centrale syndicale, UGTA, avec ses six millions d’adhérents, au Conseil des zaouïas (confréries religieuses) à l’indéniable influence dans l’Algérie profonde, Boutef a été le plus rusé des candidats à la présidentielle.

L’appel à la mobilisation lancé par Ali Benflis, Saïd Sadi et Abdallah Djaballah à leurs militants a peu de chances d’être suivi. À Alger et ailleurs, la rue a d’ailleurs été envahie par les partisans du président tard dans la soirée du 8 avril. Reste à savoir ce que ce dernier fera de sa victoire.
Au premier rang de ses priorités : mettre de l’ordre dans la coalition gouvernementale. Composée du Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia), du Mouvement de la société pour la paix (MSP ex-Hamas, de Bouguera Soltani) et d’une aile dissidente du Front de libération nationale (FLN), cette coalition s’est transformée en Alliance présidentielle le 20 février avec la signature d’un accord de partenariat stratégique pour soutenir la candidature de Bouteflika.
Mettre de l’ordre dans la coalition suppose de régler d’urgence deux problèmes politiques. D’abord, associer le courant démocratique à une alliance jusque-là nationaliste, avec le FLN et le RND, et islamiste avec le MSP. Comment ? La réponse tient en un sigle : URD. La coalition devrait donc s’ouvrir, dans les jours à venir, à l’Union des républicains démocrates d’Amara Benyounes, grande figure du combat identitaire kabyle. Cet élargissement conforterait le signal donné par Boutef, en mars 2004, au courant démocratique à la suite de la nomination d’Amara Benyounes, en qualité de représentant spécial de sa candidature à l’étranger, durant la campagne électorale. L’accord de partenariat serait en cours de discussions et devrait permettre aux démocrates et aux modernistes, partisans de Boutef, qui ne sont ni nationalistes ni islamistes, d’être représentés au sein de la coalition.

la suite après cette publicité

Autre problème politique prioritaire : la maison FLN. Depuis qu’Ali Benflis a affiché son ambition de succéder à Boutef, l’ancien parti unique a vécu une dissidence où les épisodes judiciaires ont alterné avec les trahisons et une transhumance entre les deux ailes du FLN. Il est trop tôt pour savoir comment les partisans de Benflis vont gérer la déroute électorale de leur favori, même si Ali Benflis, actuel secrétaire général du FLN, affirme ne pas reconnaître les résultats du scrutin. Les militants de l’ancien parti unique n’ayant pas une âme d’opposants irréductibles, Ali Benflis devrait voir le cercle de ses fidèles se rétrécir dans les jours à venir. Toutefois, d’un point de vue légal, il demeure secrétaire général en titre du FLN, parti qui a dirigé la guerre de libération et dont se réclame le président réélu. Cette situation est paradoxale pour Boutef. Les « redresseurs », nom donné aux membres de l’aile dissidente du FLN, devraient se retrousser les manches pour organiser un congrès avec pour objectif de bouter Benflis hors de la direction de l’ancien parti unique.
Les déboires du FLN interviennent l’année du cinquantenaire de la révolution, et donc du parti. Mais aussi au moment où de nombreuses voix s’élèvent pour exiger de reléguer cette formation politique au musée. « Le FLN appartient à tous les Algériens, affirme un ancien combattant de la guerre de libération, c’est leur histoire. Il est inconcevable de voir le seul parti politique cité par l’hymne national entrer dans une compétition, au même titre que les autres formations politiques. » En attendant une mise au placard du FLN, Boutef devra gérer ce dossier, d’autant qu’il est majoritaire au sein de la Chambre basse du Parlement. L’incertitude qui plane sur le FLN devrait obliger le président de la République à surseoir à sa volonté de dissoudre l’Assemblée nationale, dissolution attendue pour la prochaine rentrée sociale, en septembre 2004.
Le score réalisé par Boutef ne devrait pas lui valoir un quelconque état de grâce. Si plusieurs chantiers économiques sont déjà lancés, les défis demeurent nombreux. Ses 83 % de suffrages sont à la fois un atout et un handicap. Un atout, car son premier mandat a été entaché par le retrait de ses rivaux à l’élection de 1999, ce qui n’a pas été le cas en 2004. Un handicap, car ils sont le résultat d’une mobilisation de forces hétéroclites. La jeunesse a massivement choisi Boutef, mais elle pointe au chômage. Et elle est en manque de logements et de perspectives d’avenir. La situation confortable du Trésor public permettra au président de conforter et d’améliorer les performances accomplies durant son premier mandat. Toutefois, le retard enregistré dans la mise en oeuvre de certaines réformes, notamment celles du secteur financier, ne trouvera plus d’excuses recevables à l’avenir. « Il n’est plus l’otage de généraux ou d’une caste rentière. Il est l’élu du peuple », affirme-t-on à Alger.

L’ampleur du succès de Boutef est aussi un handicap, car il lui faudra satisfaire à la fois les forces conservatrices qui l’ont soutenu et les modernistes dont il incarne les aspirations. Principale revendication des démocrates : l’abrogation du Code de la famille. Un membre de son staff assure que le nouveau projet est prêt. « Il ne nous reste plus qu’à saisir le Conseil constitutionnel pour décréter anticonstitutionnelle la loi en vigueur [le Texte fondamental consacre l’égalité des sexes, ce qui est contredit par le Code de la famille, NDLR] et lancer la procédure d’adoption du nouveau code. » Comment atteindre cet objectif quand l’alliance présidentielle comprend les islamistes du MSP et que les zaouïas ont constitué la pierre angulaire du dispositif électoral de Boutef ?
Ces questions ne sont pas les seules que se posent les Algériens depuis l’avènement de Boutef II. Le chef de l’État mènera-t-il une chasse aux sorcières après son plébiscite ? Fermera-t-il les journaux qui ont fait dans la désinformation et l’ont malmené dans leurs colonnes ? Donnera-t-il un coup de balai au sein de la haute hiérarchie militaire ? Accordera-t-il une suite favorable à la réelle quête d’ouverture démocratique en Algérie ? Finira-t-il par trouver une solution définitive à la crise en Kabylie ? Boutef II, on le voit, aura autant sinon davantage de défis à relever que Boutef I.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires