Chocolat, crime !

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 2 minutes.

Il m’est arrivé d’interviewer des fous inquiétants, des fadas rigolos et quelques flippés vaseux (que ne ferait-on pas pour l’intelligent…), mais le plus sympathique de ces messieurs dames est sans aucun doute Teun Van de Keuken, un géant un peu bonasse dont je viens de faire la connaissance. Non, il ne se prend pas pour Napoléon, il ne voit pas des farfadets partout, il ne cherche pas des bombes atomiques en Irak. La folie de Teun est plus douce : il s’est présenté la semaine dernière dans un poste de police d’Amsterdam et a demandé à être officiellement inculpé pour… esclavagisme. Le préposé à la main courante n’en revenait pas.
– Z’avez des esclaves, vous ?
– Non, mais je mange régulièrement du chocolat.
– Vous man… Et alors ?
Alors Teun, le coeur gros, s’est expliqué. Sa bonne ville d’Amsterdam n’est pas seulement l’endroit un peu glauque que chanta jadis Jacques Brel (« Dans le port d’Amsterdam / Y a des marins qui dorment / Comme des oriflammes / Le long des berges mornes », etc.), c’est surtout le plus grand importateur de cacao du monde : 525 000 tonnes l’an dernier, de quoi faire passer bien des chagrins d’amour. Un jour que Teun grignotait un petit rocher fondant en regardant la télé, il tomba – les dangers du zapping – sur un reportage sur les plantations de cacao en Côte d’Ivoire. Il vit des négrillons déguenillés trimer dur, et pour pas un rond, pour que lui, Teun, Occidental repu, puisse se goinfrer de sa drogue favorite. Et pour que le commerce de sa ville natale prospère. L’homme blanc éclata en sanglots. Puis il eut une révélation : n’était-il pas complice de ce crime odieux ? Ses stocks de Kit-Kat et ses Lion, n’était-ce pas du recel pur et simple ?
Curieusement, la justice a accepté que le maboul, pardon, que Teun porte plainte contre lui-même. La lourde machine judiciaire s’est mise en branle. Selon le Code pénal des Pays-Bas, l’ami Teun risque d’écoper un maximum de six ans de prison. Contacté par nos soins, son avocat, Me Pestman, affirme que les juges sauront se montrer cléments. Forcément, ajoute-t-il : peut-être ont-ils eux-mêmes, avant de passer au tribunal, dévoré quelques profiterolles, une mousse pralinée ou une tranche de gâteau maléfique (si, si, ça existe, demandez-moi la recette). Sans doute sera-t-il condamné à quelques travaux d’intérêt général, nettoyer les squares ou peigner la girafe.
Nous vous tiendrons au courant du déroulement du procès. Tout cela est moins farfelu qu’il n’y paraît. Si la justice condamne, elle créera un précédent : elle reconnaîtra d’une part l’existence de l’esclavage en Côte d’Ivoire – bonjour, les incidents diplomatiques -, et elle jugera que le consommateur lambda en est complice. Si j’étais vous, je commencerais à liquider mes Mars et mes Bounty avant que leur simple possession ne soit devenue un crime…

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