Chili, un paradoxe du bout du monde
Publié le 13 avril 2004 Lecture : 3 minutes.
Le Chili, nation sud-américaine du bout du monde, « le plus loin que l’on puisse aller sans tomber de la planète », selon le mot de l’écrivain Isabelle Allende, est pétri de contradictions géographiques, économiques et sociales.
On est d’abord frappé par le décalage entre la capitale et le reste du territoire. Sorti de la grouillante Santiago et de ses environs (l’agglomération regroupe à elle seule, sur 1 % du territoire national, quelque 40 % des 15,6 millions d’habitants du pays), le voyageur est rapidement confronté à de vastes espaces peu, voire pas du tout, peuplés. Une étrange impression de vide et de silence le saisit. Etroite bande de terre de 4 300 km de long coincée entre la cordillère des Andes et l’océan Pacifique, le Chili aligne une variété de paysages impressionnante. Désert tantôt rocailleux tantôt sablonneux, végétation méditerranéenne, vallées humides et verdoyantes et steppes glacées défilent le long de la Panaméricaine, cette interminable route asphaltée qui relie le pays du Nord au Sud.
Si la nature chilienne incite volontiers à la méditation, les villes, elles, nous plongent dans une réalité bien concrète : celle d’un pays, comme bien d’autres en Amérique latine, largement influencé par les États-Unis. Rues larges et parfaitement symétriques, maisons souvent préfabriquées, juxtaposition de bâtiments bas, davantage fonctionnels qu’esthétiques… Le modèle urbain chilien est résolument nord-américain, et ce jusque dans ses excès : planté en plein désert de l’Atacama, à la périphérie d’une grosse bourgade poussiéreuse et sans grâce, un gigantesque shopping mall ultramoderne s’impose comme le lieu de rencontre par excellence des petits et des grands. On y fait ses courses, on y flâne à l’abri de la chaleur étouffante et l’on s’y restaure dans l’une des nombreuses chaînes de restauration rapide. De fait, si les Chiliens mangent dans l’ensemble plutôt à leur faim, ils se nourrissent mal : l’obésité due à la mauvaise alimentation fait des ravages dans le pays. À Santiago, le centre-ville semble s’être converti aux chaînes de fast-food internationales et aux gargotes locales qui proposent les sempiternels churrascos, ces sandwichs fourrés de lamelles de viande frite noyées dans une abondante sauce mayonnaise.
Au Chili, le melting-pot trouve tout son sens. Il existe bel et bien une nouvelle « race » chilienne, issue d’un large métissage entre Amérindiens et Blancs d’origine européenne. Étrangement, celle-ci est loin de posséder les caractéristiques que l’on imagine être celles des Latino-Américains : d’une façon générale, les Chiliens me sont apparus plutôt effacés et travailleurs, bref, tout le contraire des Brésiliens, des Vénézuéliens ou des Argentins.
Économiquement, le Chili a fait le pari du libéralisme – un choix politique qu’il n’a jamais remis en question depuis trois décennies. Aujourd’hui, les résultats sont au rendez-vous : le Produit intérieur brut par habitant de 4 200 dollars le classe désormais dans le peloton de tête des nations sud-américaines en termes de niveau de vie moyen. Mais les paradoxes subsistent. Alors que l’extrême pauvreté y est moins répandue que dans les pays voisins (elle ne touche que 5 % de la population), il est encore fréquent de croiser des habitations de grande précarité. Le décalage est également saisissant entre l’état du parc automobile, bien souvent hors d’âge, et celui des routes, dont la qualité et l’entretien n’ont rien à envier aux réseaux européens ou nord-américains. Autre contraste surprenant : celui d’un État où l’obsession de l’hygiène est digne d’un pays comme la Suisse, mais où, dans chaque village, la rue semble appartenir aux chiens errants.
En sillonnant le Chili, j’ai découvert un pays que l’on ne saurait classer ni parmi les nations riches – il ne l’est pas encore – ni parmi les nations pauvres – il ne l’est plus depuis longtemps. J’y ai découvert, en somme, un authentique pays en voie de développement.
