Bouteflika, haut la main

Si l’ordre d’arrivée de la présidentielle est sans surprise, l’ampleur de la victoiredu chef de l’État sortant en a étonné plus d’un. Y compris dans ses propres rangs.

Publié le 13 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

Abdelaziz Bouteflika a donc été réélu, le 8 avril, dans un fauteuil. Un véritable raz-de-marée auquel personne ne s’attendait, pas même à son quartier général de campagne. Avec 83,49 % des voix, il devance Ali Benflis (7,93 %), Abdallah Djaballah (4,84 %), Saïd Sadi (1,93 %), Louisa Hanoune (1,16 %) et le candidat surprise Ali Faouzi Rebaïane (0,64 %). Pas de second tour, donc, et un taux de participation supérieur à la moyenne des derniers scrutins nationaux (législatives et locales de 2002), mais inférieur à la présidentielle de 1999 : 59,26 %.
Si l’ordre d’arrivée est celui envisagé par la plupart des observateurs (voir J.A.I. n° 2255), l’ampleur de la victoire surprend les uns et choque les autres. Un score « à la tunisienne », qui fait dire aux détracteurs du président que « la fraude a été massive ». « Il y a eu bourrage des urnes. Mais cela dépasse les limites. En voulant trop bien faire, l’administration s’est ridiculisée », explique un proche collaborateur d’Ali Benflis. Le 8 avril, dans la soirée, une réunion secrète s’est tenue entre Benflis, Djaballah, Sadi et Karim Younes, président de l’Assemblée, dirigeant du FLN « version Benflis » et proche de ce dernier. Objectif : organiser une marche pacifique le soir même place du 1er-Mai. La manifestation aura bien lieu, mais elle sera rapidement dispersée par les forces de l’ordre, non sans de nombreuses échauffourées.

En milieu de matinée, la capitale semblait toujours plongée dans un profond sommeil : magasins fermés, rues désertes. Difficile d’imaginer qu’en cette belle et chaude journée de printemps une élection présidentielle se déroule. Seule la présence d’importantes forces de sécurité un peu partout dans la ville laisse à penser que ce n’est pas un jour ordinaire. L’ENTV, surnommée l’Unique en Algérie, diffuse toute la journée des scènes de vote, un peu partout dans le pays. Les six candidats défilent et déposent leurs bulletins dans l’urne.
En Kabylie, la tension est palpable. L’ambiance est électrique, des heurts éclatent. À Tizi-Ouzou, certaines artères sont barrées par des troncs d’arbres enflammés couchés en travers de la route. Ainsi à la cité des Genêts, où barricades et manifestants empêchent le vote. Résultat, un taux de participation extrêmement faible : 15,5 % à Bejaïa et près de 18 % à Tizi…
Dès le début de la soirée et alors que les résultats ne sont pas encore connus, des scènes de liesse éclatent dans Alger, ville pourtant réputée frondeuse. Klaxons, youyous, embouteillages monstres : la capitale fait la fête. Un peu partout, des drapeaux algériens s’agitent, les portraits de Boutef fleurissent.
Vendredi 9 avril, 10 h 30. Noureddine Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, livre enfin les résultats (provisoires puisque seul le Conseil constitutionnel est habilité à les valider, après examen des recours). Costume sombre, cravate rouge, il les égrène, lentement. D’abord le taux de participation, pour maintenir les participants en haleine, puis les scores. Plus de 18 millions d’électeurs étaient convoqués ; 10 496 000 se sont rendus dans l’isoloir et… 8 489 487 ont glissé un bulletin à l’effigie de Boutef, contre dix fois moins pour Benflis (806 458 voix).
Pour Abdelmalek Sellal, directeur de campagne de Bouteflika, les Algériens ont choisi la continuité. « Les raisons de ce plébiscite tiennent à la réalisation des engagements pris lors du premier mandat. La promesse d’un triple retour : celui de la paix, celui de l’Algérie sur la scène internationale et, enfin, celui de la croissance économique », explique-t-il. Pour Abderrazak Mokri, membre du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, coalition présidentielle) et de la direction de la campagne du candidat Bouteflika, la victoire est logique et son ampleur
s’explique facilement : « Les résultats sont évidents. L’électorat FLN s’est reporté sur Bouteflika, particulièrement dans les zones rurales. À ces derniers, ajoutez une majorité des islamistes et l’électorat du Rassemblement national démocratique [RND, d’Ahmed Ouyahia, Premier ministre] et le calcul est plus simple qu’on veut bien le présenter. » Plus les confréries religieuses (zaouïas), le patronat et l’Union générale des travailleurs algérien (UGTA, principal syndicat), l’appui des médias lourds (et publics) que sont la radio et la télévision nationales, et de nombreuses facilités (transports par bus organisés pour emmener les inscrits jusqu’aux bureaux de vote, pratique dénoncée par une partie de la classe politique opposée au président, mais courante en Algérie et au Maghreb).
Les observateurs européens, qui ont contrôlé cent vingt-cinq bureaux au hasard, n’ont constaté « aucune entrave à la procédure, sinon des doléances des représentants des partis dénonçant la période précédant le vote et, surtout, l’utilisation des médias lourds. Nous avons pris note de ces critiques », explique le président de la délégation. Reste que Sadi, Benflis et Djaballah ont déposé de nombreux recours, car, pour eux, si le vote s’est déroulé relativement normalement, c’est après la clôture de ce dernier que la fraude a été organisée en bourrant les urnes avec plus de « trois millions de bulletins supplémentaires », selon un proche d’Ali Benflis. Des recours qui, selon ces candidats, n’ont aucune chance d’aboutir. Ils appellent à des marches pacifiques de protestation et organisent déjà l’après-8 avril.

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Bouteflika aura donc été le premier président algérien élu à achever son mandat depuis 1992 et l’interruption du processus électoral. Reconduit dans ses fonctions, soutenu par une large coalition et bénéficiant de moyens financiers lui permettant de procéder aux réformes tant attendues par une population meurtrie, il n’a plus le droit de décevoir. Il aura la lourde de tâche de changer le quotidien des Algériens et, surtout, de mettre en place une transition en douceur entre le système hérité des années Boumedienne et une Algérie moderne, ouverte, performante et démocratique. Autrement dit, une nouvelle République. Soucieux de la place qu’il laissera dans l’histoire du pays, il a l’occasion de devenir l’homme du changement. Cela tombe bien, c’est ce que les Algériens attendent depuis quarante ans.

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