Sénégal : Thione Ballago Seck, la voix d’or du mbalax, s’est éteinte

Il était la voix du mbalax, un titre qu’il partageait avec son éternel « rival », Youssou Ndour. Issu d’une grande lignée de griots, considéré comme un parolier d’exception, cette figure phare de la scène musicale sénégalaise est morte dimanche matin à Dakar.

Thione Seck, chanteur et musicien Senegalais, dans le studio de son domicile. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Thione Seck, chanteur et musicien Senegalais, dans le studio de son domicile. © Sylvain Cherkaoui pour JA

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Publié le 14 mars 2021 Lecture : 7 minutes.

Ce 14 mars 2021, sa « voix d’or » s’est éteinte. Représentant mythique de la musique sénégalaise depuis près de 40 ans, Thione Ballago Seck a tiré sa révérence à 66 ans, laissant le Sénégal orphelin. Hospitalisé à l’hôpital Fann de Dakar avec son épouse depuis le 12 mars, il est décédé dimanche dans la matinée. En guise d’héritage, outre ses nombreux albums et morceaux inoubliables, il laisse un héritier : son fils, Wally Ballago Seck, pour reprendre le flambeau.

« Aux côtés de Youssou N’dour, Ismaël Lo, Baaba Maal, il a été un formidable ambassadeur de la musique sénégalaise, déclare l’ancien ministre de la Culture, Abdou Latif Coulibaly. Il est l’une des icônes de la modernisation du folklore sénégalais et des grands musiciens griotiques de notre époque. Sa mort représente une perte immense pour notre pays et pour l’Afrique tout entière. »

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Issu d’une grande famille de griots sénégalaise, c’est au sein de l’Orchestra Baobab que Thione Seck fait ses armes, encore très jeune. « Il a su tracer son chemin dans le monde de la musique. C’est tout le secteur de la culture qui est endeuillé aujourd’hui », déplore son ami de toujours Mountaga Kouyate, qui était son partenaire au sein de l’Orchestra Baobab.

Il évoque un « homme vrai », qui ne « mâchait pas ses mots ». « Éternel incompris », tel qu’il se définissait lui-même, Thione Seck était un « émotif », un « sanguin » au « fort caractère », témoignent ses proches. À tel point qu’il a pu passer parfois passer pour un aigri.

À tort, assurait Fadel Lo, journaliste et proche du chanteur, en 2019: « Quand il a envie de dire quelque chose, il le dit sans prendre de gants. Or au Sénégal, ce n’est pas une qualité. Mais Thione Seck a l’habitude de dire tout haut ce qu’il pense, si jamais il se sent lésé. Si, par exemple, on organise un grand concert à Dakar et qu’on ne l’invite pas, il n’hésitera pas aller à la télévision pour s’en plaindre. Cela a fini par lui nuire, car certains disent que c’est un jaloux. »

Considéré comme l’un des plus grands paroliers du Sénégal, Thione Seck a mené une carrière réussie, mais il est demeuré dans l’ombre de Youssou Ndour, son éternel rival, premier ambassadeur de la musique sénégalaise à l’international. Et depuis quelques années, au Sénégal, le plus connu des Seck n’était plus Thione mais son fils Wally, qui a ravi aux « anciens » du mbalax leur place dans le cœur des mélomanes.

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Une lignée de griots

Le grand-père de Thione Seck était griot à la cour royale de Lat Dior, figure emblématique de la lutte contre le colonisateur français. De cet ancêtre, le père et le fils ont hérité du virus de la chanson et d’un village dans l’ancien royaume du Cayor, que Thione Seck n’a d’ailleurs « jamais eu le temps de visiter ».

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Né en 1955 à Dakar, le chanteur connaîtra le succès très jeune. Le gamin de la Gueule tapée, un quartier populaire de Dakar, qui a « toujours su » qu’il voulait faire ce métier, arrête l’école avant la classe de 6e. Un choix que son père, policier à Dakar, estime compromettre son avenir. Thione Seck saura faire mentir la prédiction paternelle.

« Bien qu’il soit issu d’une lignée de griots, Thione Seck a dû se battre pour que sa famille accepte qu’il se consacre pleinement à la musique. À l’époque, être artiste n’était pas vu comme un véritable métier. Mais à travers sa génération, les mentalités ont évolué », estime El Hadj Hamidou Kassé, ministre-conseiller à la Culture auprès du président Macky Sall.

« C’est aussi lui qui a fait sortir la musique sénégalaise de l’influence latino-américaine ou occidentale. Les orchestres qui jouaient de la salsa ou de la variété ont progressivement évolué vers le mbalax, la musique traditionnelle mandingue et diola avec les frères Touré Kounda, ou encore l’afro-beat avec des groupes comme Xalam, ajoute El Hadji Hamidou Kassé. Il a inspiré toute une lignée d’artistes, même parmi les rappeurs.»

Orchestra Baobab

C’est à 17 ans, introduit par Abdoulaye Mboup, l’un des pères fondateurs de la musique tradi-moderne sénégalaise, qu’ il intègre le mythique Orchestra Baobab. Il y retrouve le musicien Mountaga Kouyate, qui a grandi, comme lui, à la Gueule tapée.

C’est là que les « benjamins du Baobab » deviennent amis. Ils partagent tout, de « la pâte dentifrice » à leur égo froissé en voyant les musiciens plus expérimentés occuper le devant de la scène. Avec l’Orchestra Baobab, le batteur et le chanteur expérimentent les nuits chaudes de la capitale et goûtent au succès. Ils participent aux grands bals de la gendarmerie de Colobane, souvent présidés par le chef de l’État de l’époque, Léopold Sédar Senghor.

Mountaga Kouyate et Thione Seck (dr) au dancing Le Baobab, 1975. © Source : Mountaga Kouyate

Mountaga Kouyate et Thione Seck (dr) au dancing Le Baobab, 1975. © Source : Mountaga Kouyate

Encore très jeune, inexpérimenté, mal payé (6 000 francs CFA par semaine, se souvient-il), Thione Seck prend son mal en patience. « Je savais que c’était juste un tremplin pour moi », nous confiait le chanteur en 2019. « Il avait déjà beaucoup d’ambition », confirme Mountaga Kouyaté. Quelques années seulement après avoir intégré l’Orchestra Baobab, il crée avec des membres de sa famille son propre ensemble traditionnel.

La formation gagne en notoriété et la situation financière du chanteur s’améliore. Enfin, le jeune homme n’a « plus de comptes à rendre à personne » et peut gérer sa carrière comme il l’entend. « Grâce à mon ensemble, j’ai pu m’acheter un terrain, alors que du temps du Baobab je n’avais même pas de quoi m’acheter une bicyclette », plaisantait-t-il.  L’audacieux chanteur quitte la formation et part tenter sa chance en France. Les rigueurs de l’hiver européen et le succès qui tarde à venir refroidissent rapidement ses ambitions. Six mois plus tard, il rentre au Sénégal pour concrétiser son rêve.

L’âge d’or du mbalax

En 1983, il crée son propre orchestre, le Raam Daan, sa « grande fierté », quelques années avant que l’Orchestra Baobab ne cesse de se produire –  une pause qui durera de longues années. Mountaga Kouyate raconte : « On s’est lassé. Youssou Ndour commençait à se faire connaître, les gens étaient attirés par le mbalax, et nous… on faisait de la salsa. »

Thione Seck, avec le Raam Daan, et Youssou Ndour, avec le Super Étoile, sont propulsés sur le devant de la scène musicale sénégalaise. Les années 1980 marquent le début de l’âge d’or du mbalax et de la rivalité entre les deux artistes, bien qu’ils aient toujours refusé, l’un comme l’autre, de l’admettre. Mais alors que la carrière de Youssou Ndour décolle à l’international, celle de Thione Seck reste majoritairement cantonnée aux charts sénégalais.

Dans la vie, tout est une question de chance. Peut-être que Youssou Ndour en a eu plus que moi

En 2005, il sort son album Orientissime, « conçu pour être un album planétaire », selon ses propres mots. Le disque n’atteindra jamais le succès espéré. « Dans la vie, tout est une question de chance. Peut-être que Youssou Ndour en a eu plus que moi, c’est tout”, analysait le chanteur.

« Youssous Ndour a réussi là où Thione Seck a échoué », tranche sans ambages Nicolas Diop, auteur d’une biographie de « You ». Et d’expliquer cette réussite par un facteur qui n’a rien à voir avec la chance : le sens du business. « Youssou Ndour a très tôt compris que pour réussir à s’imposer, il fallait qu’il fasse de la musique son travail. Il s’est ouvert à d’autres influences, il n’a pas voulu rester enfermé dans son style », détaille l’animateur de radio.

Revanche

Les admirateurs de Thione Seck lui rétorqueront que ce dernier, plus traditionnel, a su rester « fidèle » à sa musique, plus ancrée dans les valeurs ancestrales des griots. « Il faut bien rappeler que la rivalité entre les deux chanteurs remonte très loin », rappelle Nicolas Diop. Les deux artistes appartiennent chacun à une grande lignée de griots et portent pour ainsi dire cette rivalité dans leur sang. « Lorsque l’on voit l’un, on pense à l’autre », résume-t-il.

Dans le milieu musical, il se murmurait que Thione Seck espérait « prendre sa revanche » sur son rival par le biais du succès de son fils, ce qu’il niait fermement. « Mon fils n’était pas censé faire de la musique mais du football », a-t-il longtemps répété. Wally Seck, le chouchou des Sénégalais (et des Sénégalaises) pouvait-il surpasser son père et détrôner le prince du mbalax ? Possible, selon Nicolas Diop. « Il draine les foules, il a la jeunesse derrière lui. Encore faudrait-il que le roi baisse la garde ».

Thione Seck, lui, avait beau assurer qu’il ne regrettait rien de son parcours, il avait tout de même conservé quelques rancœurs. « Il m’est arrivé à maintes reprises de vouloir tout laisser tomber, confiait-il. Mais je n’avais pas le choix. Le seul métier que je puisse faire, c’est chanteur. »

Son décès inattendu marque aussi le coup d’arrêt à un projet de production tentaculaire qui devait rassembler plus de mille chanteurs de la Cedeao. Surtout, il laisse le mbalax orphelin. Et le Sénégal en deuil.

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