Nettoyage à Douala

L’inculpation de dignitaires du parti majoritaire dans l’affaire du Port autonome de la capitale économique entraînera-t-elle d’autres mises en accusation ?

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Le procès du Port autonome de Douala (PAD) s’est ouvert, le 27 février, sans que personne ne sache réellement quelle en sera l’issue. Détournement de deniers publics, coaction de détournement, escroquerie et complicité d’escroquerie foncière au PAD… La liste des chefs d’accusation est longue. Et le préjudice subi par l’État camerounais est estimé à 40 milliards de F CFA (63,2 millions d’euros). Sur le banc des accusés : treize prévenus dont le colonel Édouard Etondé Ekoto, 69 ans, ancien président du conseil d’administration du PAD, et Alphonse Siyam Siwé, 53 ans, directeur général de l’entreprise publique au moment de la commission des faits et ministre des Mines lors de son incarcération, le 24 février 2006. Un procès-fleuve qui n’est pas sans rappeler celui qui se tient au même moment à Yaoundé, où sont jugés Emmanuel Gérard Ondo Ndong, ancien directeur général de la banque des communes (Feicom), ainsi que plusieurs de ses collaborateurs, pour un détournement de deniers publics estimé, lui, à 52 milliards de F CFA.
Si Etondé Ekoto, en sa qualité de président du conseil d’administration, conteste son implication dans la gestion quotidienne du PAD, le parquet, lui, considère que les deux principaux accusés auraient agi ensemble pour détourner plus de 1,9 milliard de F CFA. Ingénieur du génie civil formé à l’École polytechnique de Montréal, au Canada, Siyam Siwé est entré au gouvernement, en 1992, comme secrétaire général adjoint de la présidence. En 1999, il est nommé à la tête du PAD, principal débouché économique du Cameroun, de la République centrafricaine et du Tchad. L’examen des finances de l’entreprise publique aurait mis au jour des écarts de gestion et de nombreuses dépenses sans les pièces justificatives correspondantes. Dix-huit immeubles bâtis et cinq autres non bâtis auraient été soustraits du patrimoine du port. Quelque 122 millions de F CFA de mobilier acquis par le PAD pour équiper la résidence de fonction du directeur général – dont une salle à manger de 48 millions de F CFA – ont disparu. Le parquet accuse également Siyam Siwé d’avoir violé la réglementation de la passation des marchés publics. Le directeur général aurait simulé des ventes aux enchères de véhicules du PAD finalement cédés, à un prix dérisoire, au président du conseil d’administration Etondé Ekoto et à quelques autres employés.
Par ailleurs, des irrégularités ont été notées lors de l’attribution du marché du terminal à conteneurs à l’entreprise japonaise Mitsui and Co. Le directeur général aurait modifié le contrat signé par le Premier ministre, faisant ainsi passer le montant des travaux de 161 millions de yens (761 millions de F CFA) à 1,9 milliard de yens (9,2 milliards de F CFA). D’après l’accusé, une hausse du cours de la monnaie japonaise (selon ses propres chiffres, de 1 yen pour 2 F CFA, au moment du lancement du projet, à 6,20 F CFA lors de son exécution) expliquerait que le coût des travaux ait triplé. Des fluctuations monétaires qui justifieraient également la différence de prix de deux portiques. Facturés 11 milliards de F CFA au PAD, ils ne coûteraient, information prise auprès du fabricant européen, que 4 milliards de F CFA.
Le contrat relatif aux travaux de dragage des plans d’eau du port de Douala, signé le 26 octobre 1998, comporte lui aussi des zones d’ombre. Situé sur l’estuaire du fleuve Wouri, le chenal du port doit être régulièrement désensablé afin de ne pas gêner l’accès des grands cargos. Le contrat signé avec le maître d’uvre, la Société de dragage de la côte d’Afrique (SDCA), prévoyait l’affrètement de la drague Chantal-Biya et un contrat de location des équipements annexes. Or Siyam Siwé aurait mis gracieusement ces matériels à la disposition de la SDCA qui aurait toutefois perçu la somme de 14 milliards de F CFA.
Le dernier volet de l’affaire concerne le terrain de 20 000 m2 où se situe la gare routière de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Cet espace insalubre utilisé par les chauffeurs venus de la République centrafricaine et du Tchad fut longtemps le théâtre de trafics en tout genre. Un plan d’urbanisme de la ville prévoit alors de transférer la gare à la sortie ouest de Douala. Depuis quelque temps déjà, l’armateur danois Maersk, intéressé par le terrain, se bat pour obtenir un permis de construire afin d’y ériger des bureaux. En décembre 2004, Maersk profite d’un concours de circonstances pour arriver à ses fins : le président de la République, Paul Biya, qui vient d’opérer un réaménagement du gouvernement, crée un ministère chargé des Domaines, lequel exerce désormais la tutelle de cette gare. Mais les textes qui l’organisent tardent à être signés. Au PAD, dans l’enceinte duquel la gare est localisée, le poste de directeur est libre, Siyam Siwé ayant été porté à la tête du ministère des Mines lors de ces mêmes nominations. Maersk profite de cette vacance pour signer un bail très avantageux de trente ans avec la communauté urbaine de Douala qui en assurait la gestion jusqu’à l’avènement du nouveau ministère. Pour avoir paraphé le contrat en qualité de délégué du gouvernement, et de président du conseil d’administration du PAD, Édouard Etondé Ekoto est poursuivi pour escroquerie foncière.
Avant de connaître des déboires judiciaires, le colonel Etondé siégeait comme député à l’Assemblée nationale au sein du groupe Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir. Parallèlement, cet officier retraité de 69 ans, sorti en 1960 de l’école militaire de Saint-Cyr en France, occupait le poste de délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, où il a contribué à reconquérir une ville frondeuse et acquise à l’opposition depuis 1990. Malgré tout, le 5 octobre 2006, la majorité RDPC a levé son immunité parlementaire. Ce grand taiseux à l’allure hautaine ne s’est pas fait que des amis dans l’establishment. Mis en retraite de l’armée, pour une raison encore inconnue, par le président Ahmadou Ahidjo en 1973, il dirige Agrocom, un regroupement d’agriculteurs qui lui assure une certaine prospérité. Dans un pays où une quinzaine de généraux des forces armées ont largement dépassé l’âge de la retraite, ce modèle de reconversion plaît au président Paul Biya qui le ramène à la gestion des affaires publiques civiles en 2002.
Au regard de la personnalité des accusés et de ses implications politiques, l’affaire du PAD peut être un véritable bâton de dynamite. Les différentes parties ont d’ores et déjà cité à comparaître un aréopage de dignitaires du régime, tels que le vice-Premier ministre Amadou Ali, le ministre des Finances Polycarpe Abah Abah, ainsi que des généraux de l’armée, Benoît Asso Emane et Camille Nkoa Atenga. Sous la pression du Fonds monétaire international (FMI) et de plusieurs diplomates occidentaux accrédités à Yaoundé, le président de la République a pris le parti de s’attaquer aux brebis galeuses de sa propre majorité. Cette campagne d’assainissement peut engendrer un effet domino, tant les interconnexions sont nombreuses entre le monde des affaires et les cercles du pouvoir.
Certes, la justice camerounaise a su, en 1997, juger et condamner Titus Edzoa, ancien numéro deux du régime, conseiller et ami du chef de l’État, sans ébranler les fondements du système. Mais cet épisode judiciaire intervient dans un autre tout contexte : dans moins de cinq ans, le président Paul Biya devrait achever son dernier mandat.

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