Mohamed Hassad

Brillant technocrate, le wali de Tanger-Tétouan est convaincu que la grande métropole du Nord a les moyens d’organiser l’Exposition internationale, dans cinq ans.

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 7 minutes.

Mohamed Hassad, 54 ans, est wali (gouverneur) de la région de Tanger-Tétouan depuis juin 2005. Natif du Souss et issu d’une famille modeste, ce polytechnicien au CV bien rempli est considéré comme un des meilleurs administrateurs du Maroc. Il incarne cette nouvelle génération de technocrates placés aux commandes par Mohammed VI. Ancien de la direction des routes du ministère de l’Équipement, où il a commencé sa carrière, il a été ministre des Travaux publics dans les gouvernements de Karim Lamrani et d’Abdelatif Filali et a présidé aux destinées de grandes entreprises publiques comme l’Office d’exploitation des ports (Odep) et la Royal Air Maroc. Nommé wali de Marrakech en 2001, il a démontré à ce poste toute l’étendue de ses talents : si la ville ocre est aujourd’hui la destination touristique la plus prisée du royaume, il y a à l’évidence beaucoup contribué. Cette réussite est directement à l’origine de sa promotion à Tanger, la grande métropole du Nord, où l’on attend de lui qu’il accélère les grands chantiers d’infrastructures lancés depuis l’intronisation de Mohammed VI. Avec un pied dans l’Atlantique et un autre dans la Méditerranée, la « ville du Détroit » va se doter, avec le gigantesque projet de Tanger Med – un investissement estimé à 15 milliards de dirhams -, du premier port d’Afrique, d’une capacité supérieure à 3 millions de conteneurs par an (voir J.A. n° 2376).
En juin 2006, Tanger s’est portée candidate à l’organisation de l’Exposition internationale de 2012. Et c’est tout naturellement que Mohamed Hassad a pris la présidence de l’association Tanger 2012 chargée de promouvoir cette candidature. Deux autres villes sont sur les rangs : la polonaise Wroclaw et la sud-coréenne Yeosu.

Jeune Afrique : On vous présente comme un wali bâtisseur, comme l’artisan de la métamorphose de Marrakech et de la mue de Tanger
Mohamed Hassad : La plupart des villes marocaines ont connu des métamorphoses très importantes et très rapides : Marrakech et Tanger, bien sûr, mais aussi Agadir, Casablanca, Fès et Rabat. Un formidable élan a été impulsé après l’avènement du nouveau roi. Il reflète une volonté de mise à niveau de nos métropoles et se traduit par une mobilisation des énergies, de toutes les énergies, et par une meilleure utilisation des moyens dont nous disposons, qui sont cependant loin d’être illimités. L’action de l’État dépasse d’ailleurs le cadre de Tanger. Elle vise à transformer l’ensemble de la région nord du royaume et englobe les grands chantiers d’infrastructures.

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Quelle est la nature exacte de votre mission ?
Sa Majesté m’a demandé de faire en sorte que les gens du Nord retrouvent confiance en eux, en leurs capacités, et qu’ils sachent que l’État est avec eux, qu’il les accompagne. L’écoute des élus, dont je tiens à souligner la forte implication, des associations, des citoyens et des usagers est un aspect essentiel de ma mission. Mais un wali a aussi pour rôle d’assurer la coordination et le suivi des interventions dans sa région des différentes agences gouvernementales. Jusqu’à présent, je dois avouer que cela fonctionne très bien. Les actions menées sont extrêmement complexes, mais la clé de la réussite réside dans la confiance et l’adhésion. Si tout le monde tire dans le même sens, les choses avancent beaucoup plus vite. Si j’avais une leçon à retenir de mes expériences marrakchie et tangéroise, ce serait celle-là. Et il faut savoir décider vite.

L’impact environnemental des grands travaux est-il correctement évalué ?
La loi marocaine oblige à procéder à des études d’impact préalables, qui sont approuvées par une commission qui se réunit avant le début des travaux. Beaucoup de bailleurs de fonds conditionnent d’ailleurs leur concours à ce type d’études. Je voudrais faire deux mises au point. Au sujet, d’abord, de la Forêt diplomatique, dans les environs de Tanger, dont certains pensent qu’elle est menacée. Il n’en est rien, elle est sacrée, on n’y touchera pas. Des travaux d’aménagement touristique vont être réalisés à la lisière de ce site. Et comme les promoteurs ont, par abus de langage, baptisé leur opération « projet de la Forêt diplomatique », les gens se sont imaginé que nous allions porter atteinte au site lui-même.
Pour ce qui est du cimetière de Bouarakia, sur lequel on dit aussi beaucoup de choses, le seul aménagement envisagé consiste, pour des raisons d’utilité publique, à élargir de quelques mètres les voies traversant le cimetière, conformément à la loi, d’ailleurs.

Quel est le sens de la candidature de Tanger à l’organisation de l’Exposition internationale de 2012 ?
Cette initiative s’inscrit dans un schéma d’ensemble. Notre région vit de profondes transformations et la candidature de Tanger vient couronner cette dynamique. Elle vise à fêter le grand renouveau du nord du Maroc. C’est l’occasion de rendre à la ville son rayonnement, son caractère international et cosmopolite. Le thème retenu, « Routes du monde, rencontre des cultures pour un monde plus uni », est en résonance avec les notions de dialogue des cultures et des civilisations que le Maroc a toujours défendues. Il nous semble à la fois actuel et universel. Si nous étions désignés, ce serait la première fois dans la longue histoire des expositions internationales et universelles qu’une ville d’un pays émergent serait choisie. Nous avons l’ambition de montrer que nous sommes capables d’organiser un tel événement. Les objections qu’on nous oppose souvent sont financières, les gens s’imaginent que l’effort est trop lourd. Le coût de l’expo tournera autour de 400 millions de dollars, mais, au final, les opérations de reconversion du site permettront de dégager un bénéfice d’une centaine de millions de dollars.

Le concept des expositions internationales ou universelles semble en perte de vitesse. Le bilan de l’expo d’Aichi, au Japon, a été, disons, mitigé. Le jeu en vaut-il la chandelle pour Tanger ?
Toutes les expos n’ont pas marqué de la même manière les villes où elles ont eu lieu. Sans remonter jusqu’à Paris 1900 ou Bruxelles 1958, il est évident, par exemple, que Séville 1992 a été une grande réussite. ?Et que, plus récemment, Lisbonne a beaucoup profité de l’édition 1998. L’événement va certainement nous profiter plus qu’à d’autres, il marquera sans aucun doute l’histoire urbaine de Tanger. Nous visons un minimum de 6 millions de visiteurs, ce qui correspondrait à une moyenne de 65 000 personnes par jour, avec des pointes jusqu’à 130 000 par jour.

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Cette candidature n’est-elle pas une forme de revanche pour le Maroc, privé de l’organisation de la Coupe du monde 2010 au profit de l’Afrique du Sud ?
Non, ce n’est ni le même contexte ni les mêmes objectifs, même si ce genre d’événement contribue évidemment au rayonnement d’un pays. Ce n’est pas parce qu’on a échoué une fois qu’on doit baisser les bras, au contraire. Un pays qui croit en lui essaie en permanence, ne se décourage jamais. Et le mode de désignation est, dans le cas de l’expo, plus transparent. À nous de convaincre les quatre-vingt-dix-huit membres, un par pays, du Bureau international des expositions [BIE]. Une visite d’inspection aura lieu dans le courant du mois d’avril. Nous croyons en nos chances.

Revenons aux prérogatives des walis. Elles ont été considérablement renforcées depuis l’arrivée de Mohammed VI et font bien des jaloux
Depuis que Sa Majesté a esquissé son « nouveau concept de l’autorité », on sent une très forte volonté politique de décentraliser et de déconcentrer au maximum la décision publique afin de coller aux réalités du terrain. Cela s’est traduit par des délégations de pouvoirs supplémentaires aux walis, mais notre corps n’est pas le seul bénéficiaire de cette modernisation de l’État. Les administrations des ministères, avec leurs services décentralisés, commencent ainsi à se voir attribuer des pouvoirs de décision locaux. À terme, les élus verront eux aussi leurs pouvoirs renforcés. C’est donc un processus appelé à s’approfondir, comme l’a une nouvelle fois expliqué Sa Majesté à Agadir, le 11 décembre 2006, lors des Rencontres nationales des collectivités locales. La philosophie de l’opération, c’est de rapprocher les centres de décision des citoyens. L’objectif est de gagner du temps, d’être plus efficace.

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Cette survalorisation de l’administration, donc des technocrates, n’a-t-elle pas pour conséquence une certaine dévalorisation du politique ?
Non, nous ne sommes pas des électrons libres, nous dépendons d’un gouvernement, d’un ministère. Nous ne prenons pas nos décisions de manière autonome, notre action s’inscrit dans un agenda élaboré par le politique, à qui nous avons des comptes à rendre. Le fait que Sa Majesté se déplace énormément dans le royaume et constate, de ses propres yeux, l’avancement des projets agit comme une puissante incitation. Cela nous responsabilise encore davantage. Nous avons une obligation de résultat. Mais nous agissons toujours en concertation avec les ministres concernés. N’inventons pas une opposition entre ministres et walis qui ne correspond absolument pas à la réalité. Les premiers n’ont rien perdu de leurs prérogatives.

Pardonnez-nous d’insister. Vous avez été ministre, vous êtes aujourd’hui wali : avez-vous le sentiment d’avoir davantage de pouvoir ?
Je n’aime pas le terme de pouvoir. J’ai une capacité d’action différente. Un ministre se projette dans le long terme, planifie ; un wali est sur le terrain, confronté quotidiennement à des problèmes concrets. Il ne raisonne pas à la même échelle. Mais il est vrai qu’il décide et agit rapidement, car c’est sa fonction.

Laquelle de ces deux expériences a été la plus épanouissante ?
Sincèrement, j’ai toujours été heureux là où j’étais. Le challenge Tanger 2012 est formidablement excitant, mais l’expérience m’a appris à me méfier de l’autosatisfaction. Il faut toujours penser à ce qui reste à faire, regarder vers l’avenir au lieu de se reposer sur ses acquis.

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