Le retour du tie and dye, un savoir-faire africain

Longtemps boudée au profit du wax, cette technique de teinture naturelle retrouve ses lettres de noblesse grâce à plusieurs stylistes qui la réinventent, alliant haute couture et éthique.

La marque de prêt-à-porter Kalyca remet au goût du jour la méthode du tie and dye © Kalyca

La marque de prêt-à-porter Kalyca remet au goût du jour la méthode du tie and dye © Kalyca

eva sauphie

Publié le 18 mars 2021 Lecture : 4 minutes.

Difficile de ne pas penser aux tuniques colorées et délavées arborées par les hippies. Pourtant, si le tie and dye a été popularisé en Occident par le mouvement psychédélique des années 1970, cette technique de teinture par nouage existe depuis des siècles en Asie comme en Afrique. « Sur le continent, le boubou teint sur bazin est indissociable de la communauté musulmane, qui en est la première ambassadrice lors des cérémonies religieuses », rappelle l’Ivoirienne Lynda Cazilhac, fondatrice de la jeune marque de prêt-à-porter et d’accessoires Kalyca.

À son arrivée en France en 2012, cette ex-employée du secteur bancaire est étonnée par l’omniprésence du wax, unique tissu représentatif du continent. Fille d’une mère styliste, elle a grandi en observant ses « tantines teinturières » et connaît bien les savoir-faire traditionnels. Pour sa première collection, « Ayo », lancée cette année, la créatrice a choisi de troquer le vêtement traditionnel contre des robes, jupes, shorts, chemises, tee-shirts et combinaisons aux coupes contemporaines pensés pour le bureau et les soirées. Au bazin très épais, elle a préféré les matières légères – mais tout aussi naturelles – comme le coton bio, la soie et crêpe de soie.

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Teintures naturelles

« Les tatas avec qui je travaille en Côte d’Ivoire trouvaient ce choix de textile insensé au début de notre collaboration, rigole-t-elle. Cette technique se transmet de générations en générations de femmes depuis des siècles, selon un processus précis. » Le tissu est d’abord noué par les hommes à l’aide de ligatures réalisées au fil de coton. La teinture est quant à elle une tâche spécifiquement féminine.

Une fois plongées dans des bains d’eau chaude, les étoffes macèrent dans des pigments végétaux. Indigotier, noyau d’avocat, fleurs d’hibiscus, noix de cola, oignons séchés, écorces d’arbre… Autant de colorants naturels, non allergènes et biodégradables, permettant d’obtenir un nuancier de bleu, de rose, de rouge et d’orange.

Dans la fast fashion, les motifs sont imprimés et non teints, sur des matières de piètre qualité

« Dans les capitales africaines comme à Abidjan, on peut retrouver des tissus teints à l’aide de produits chimiques venus d’Asie. Or, ces colorations sont plus chères, car importées, sans compter qu’elles nuisent à l’environnement comme à la préservation des savoir-faire », alerte la créatrice. C’est d’ailleurs son séchage naturel au soleil qui confère au tissu une couleur unique et éclatante.

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Le tie and dye a su traverser les modes sans prendre une ride. La fast-fashion a eu tôt fait de récupérer la tendance en proposant des collections confectionnés à moindre coût. Or « dans la production en masse, les motifs sont imprimés et non teints, sur des matières de piètre qualité aux finitions douteuses », prévient Lynda Cazillac.

Fashion week

À l’heure de la mode éco-responsable, la technique africaine, artisanale et durable, a de quoi susciter l’intérêt de l’industrie. En février 2020, deux créateurs africains ont ainsi fait leur entrée dans le calendrier officiel de la fashion week parisienne avec des lignes faisant la part belle aux tissus traditionnels locaux. Le styliste camerounais Imane Ayissi présentait déjà en 2018 des robes mouchetées de taches violettes selon le processus de la « teinture par nouage ».

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Quant au Nigérian Kenneth Ize, il a imaginé un vestiaire masculin autour du tie and dye, en collaboration avec un réseau d’artisans installés à Kwara, dans l’état de Kogi, et à Lagos. Sous son impulsion, le boubou est coupé façon chemise extra longue, porté déboutonné et associé à un pantalon carotte.

« Ces créateurs jouent un rôle crucial dans la valorisation de ce savoir-faire, estime Lynda Cazilhac. Imane Ayissi participe à l’évolution d’un artisanat peu soutenu localement ».

Éthique et social

Au Burkina Faso, l’Union européenne a investi dans la création de coopératives permettant aux artisans d’obtenir le statut de salarié. Mais en Côte d’Ivoire, leur situation est bien plus précaire. « Le gouvernement ne leur apporte aucun soutien car le pays possède d’autres ressources naturelles prioritaires, comme le cacao et le pétrole, assure la fondatrice de Kalyca. Conséquence, les teinturières travaillent dans des petites cabanes pour une misère. »

Des prix trois fois supérieurs, le seul moyen de rémunérer au juste prix les teinturières

Née à Abidjan, la créatrice espère montrer la voie à d’autres entrepreneurs pour en finir avec l’économie informelle et contribuer à améliorer les conditions de travail des petites mains. Elle a ainsi fixé des prix trois fois supérieurs aux boubous vendus sur le marché, au risque de perdre une frange de sa cible… « Ma clientèle est pour le moment composée à 80 % d’Européennes car les Africaines estiment que mes produits sont trop chers », regrette-t-elle. Mais la styliste assure que c’est le seul moyen de rémunérer au juste prix les teinturières, qui travaillent environ six mois pour réaliser une collection de 22 modèles tie and dye et un total de 200 pièces. À terme, elle espère convaincre de la nécessité à consommer éthique.

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