Jacques Chirac

Le chef de l’État français devait annoncer le 11 mars sa décision de ne pas briguer un troisième mandat. Sans lever les doutes sur son avenir.

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Lui qui prononce trois fois plus d’allocutions à l’étranger qu’en France tant la politique intérieure paraît l’ennuyer depuis son arrivée à l’Élysée, lui qui ne s’adresse à ses compatriotes que deux fois par an, le 14 juillet et le 31 décembre, les deux seuls moments où ils ne peuvent guère l’écouter pour cause de vacances et de réveillon, lui qui a pris l’habitude de lire mécaniquement des textes écrits par d’autres et sur lesquels il n’intervient qu’avec une gomme, a, dit-on, travaillé chaque mot de ce discours-ci. Dimanche 11 mars 2007, 20 heures : un adieu aux Français programmé depuis des mois dans sa forme et son fond, si ce n’est dans son timing, pas encore prononcé au moment où ces lignes sont écrites, mais dont chacun savait qu’il serait solennel. Sans doute faut-il remonter au 29 mai 2005 pour saisir les prémices de la décision de Jacques Chirac de ne pas solliciter un troisième mandat présidentiel. Ce soir-là, derrière le « non » des Français à la Constitution européenne, combien de « Chirac, assez » ? Des millions, une majorité sans doute. La relation en miroir que ce politicien pragmatique, pour qui la politique est un métier beaucoup plus qu’un destin, entretenait depuis des décennies avec son électorat s’est brisée dans les urnes du référendum. Tout se passe comme si la « méthode » Chirac, faite de mues successives, de postures, de mimiques et d’activisme, ce système unique où l’immobilisme et l’incapacité à réformer l’État se dissimulent derrière l’écran de fumée du volontarisme, était à bout de souffle, incapable de se régénérer. Certes, en Européen d’idéal, lui qui le fut toujours par raison et par intérêt, jamais par sentiment, Jacques Chirac n’avait aucune chance de convaincre. Mais au-delà, comme un magicien dont on a fini par connaître les tours par cur, c’est bien d’un homme qui aura pesé sur la vie politique française pendant quatre décennies que les électeurs ont fini par se lasser, s’agacer, puis se détourner.

Pendant les vingt et un mois qui suivent, jusqu’à ce 11 mars, rien ne prouve que Jacques Chirac ait sérieusement songé à se représenter. Bien sûr, il lui est déjà arrivé de tomber très bas. Cent fois, par le passé, il a pensé s’arrêter. Cent fois, il a continué. Mais un ressort s’est cassé le 29 mai 2005 qui ne se ressoudera jamais, en dépit du temps que l’on meuble au fil des semaines à grand renfort de voyages, de projets, d’occupations et de comités dont ce fétichiste de l’État a toujours été friand. Ces derniers mois, celui que le candidat François Bayrou, l’homme qui monte dans les sondages, qualifia un jour de « chef africain », semblait surtout préoccupé de trouver pour ses conseillers, ses proches, ses copains et parfois les fils de ses copains, des points de chute en forme de parachutes dorés. La machine à recaser par décret présidentiel fonctionnera à plein jusqu’au dernier jour. Chirac aime les fidèles et les grognards, il n’est pas un ingrat. Autre souci pour ce grand amateur éclairé de politique internationale, théâtre de la parole qui lui aura souvent servi d’exutoire et d’issue de secours : boucler avant de partir quelques rendez-vous qui, pense-t-il, laisseront une petite trace dans l’Histoire. Un ultime Conseil européen, une conférence sur le Liban, un sommet Afrique-France, un autre sur la sauvegarde de la planète Autant d’occasions de développer une vision du monde multipolaire, idéaliste, parfois enflammée, qui, il faut le reconnaître, a de la gueule. Jamais son carnet de fréquentation des grands de ce monde n’aura été aussi rempli qu’en ces premiers mois de 2007.
Y aura-t-il une vie pour Jacques Chirac au lendemain du dimanche 6 mai, jour de la sainte Prudence et du second tour de l’élection présidentielle ? Longtemps, pour sa retraite, le plus tard possible, aux côtés de Bernadette, Chirac semblait ne demander ni la lune ni le bonheur, simplement à être protégé, respecté, considéré. Mais on imagine mal cet homme de 74 ans, dont la forme physique paraît aussi inaltérable que l’énergie d’un lapin Duracell, se retirer en gentleman-farmer dans ses terres corréziennes. Il continuera de jouer son personnage, de voyager entre le Japon, le Maroc et l’île Maurice, d’intervenir sur les cultures premières et de pourfendre la mondialisation libérale. Sans renoncer à peser, autant que faire se peut, sur les grands débats hexagonaux, bref à partir sans partir, il se sait désormais plus populaire dans le monde arabo-musulman ou en Amérique latine qu’à Paris ou à Marseille, plus apprécié dans le Sud qu’en Europe. Nul doute donc qu’on entendra sa voix en héraut de l’altermondialisme et en défenseur (tardif) de l’écologie, face à une Amérique qu’il jugera toujours avec des accents de passion mal maîtrisée. On sait qu’il continuera à couver avec attention le projet Unitaid d’accès aux médicaments génériques, qu’il a porté sur les fonts baptismaux avec le Brésilien Lula et l’Américain Clinton. Il se dit aussi qu’il lorgnerait sur le poste (à créer) de secrétaire général de l’ « Organisation des Nations unies pour l’environnement », à la fondation de laquelle il a appelé début février à Paris. Voilà pour l’avenir radieux d’une retraite aussi active que sereine.

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Mais il existe un autre scénario, moins rose, qui renvoie à la part d’ombre de quarante années de chiraquie. Un scénario qui mettrait en scène un ex-président désormais dépouillé de son immunité pénale et un juge d’instruction désireux d’accrocher un si beau trophée à son tableau de chasse. L’affaire est là, toute prête, avec dans le dossier une lettre signée de la main de Jacques Chirac attestant la connaissance, par celui qui était alors maire de Paris, d’un système d’emplois fictifs de militants de son propre parti. En termes de mise en examen, on appelle cela une « prise illégale d’intérêts ». Rien, en théorie, n’empêche la réouverture de ce dossier dès le 7 mai au matin – si ce n’est l’usage et la raison d’État. Le futur hôte de l’Élysée, ce palais des secrets sur lequel Chirac aura régné pendant douze ans, fera-t-il jouer la grâce ou l’amnistie ? Interrogée sur ce point, la candidate socialiste Ségolène Royal a répondu ceci : « Il existe en démocratie un principe très simple : l’indépendance de la justice. » Les autres, et en particulier Nicolas Sarkozy, le fils prodigue, qui a appris de lui l’art d’éliminer et parfois de trahir un concurrent tant il est vrai, comme le dit Chirac, qu’en politique « c’est celui qui le veut le plus qui l’a », les autres donc, tout au moins ceux qui comptent, ne se sont pas encore exprimés sur ce sujet. Cela, paraît-il, inquiète un peu Bernadette.

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