[Tribune] En France comme en Afrique, Sarkozy est tristement « entré dans l’histoire »
À Dakar, en 2007, Nicolas Sarkozy avait affirmé que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». L’ex-président français restera lui dans les mémoires pour son rôle dans la destruction de la Libye et sa condamnation à de la prison ferme.
« Pour le coup, lui est bien entré dans l’histoire ! » Cette pensée m’a effleuré l’esprit lorsque, ce 1er mars, j’ai appris la condamnation de Nicolas Sarkozy à trois ans de prison, dont un an ferme, pour « corruption active ». Une première pour un chef d’État français. Également reconnu coupable de « trafic d’influence », l’ancien président a fait appel du jugement.
Mon cerveau me ramenait évidemment au tristement célèbre discours prononcé le 26 juillet 2007 à l’université de Dakar, dans lequel Nicolas Sarkozy nous annonçait avoir résolu le mystère du « drame de l’Afrique » ; celui-ci, indiquait-il alors, est que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
En réalité, Nicolas Sarkozy était déjà « entré dans l’histoire », en tout cas dans celle de l’Afrique, pour le rôle éminent qu’il a joué dans l’élimination de Mouammar Kadhafi et la destruction de la Libye. Une décennie après cette sinistre intervention, la situation du pays demeure chaotique. Des régions entières de l’Afrique ont quant à elles été durablement déstabilisées et continuent de subir les conséquences de l’impérialisme sarkozyste.
Espoirs déçus
En apparence, tout avait pourtant bien commencé. Dans un discours prononcé en 2006 lors d’un séjour au Bénin, celui qui était alors ministre de l’Intérieur en pré-campagne présidentielle indiquait « croire indispensable de faire évoluer, au-delà des mots, notre relation ». Car, justifiait-il, « l’immense majorité des Africains n’ont pas connu la période coloniale. 50 % des Africains ont moins de 17 ans. Comment peut-on imaginer continuer avec les mêmes réflexes ? »
Sarkozy promettait une relation avec l’Afrique dénuée de paternalisme
La révolution qu’il annonçait promettait de « débarrasser la relation franco-africaine des réseaux d’un autre temps, des émissaires officiels qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent », et d’instaurer « une relation décomplexée, sans sentiment de supériorité, ni d’infériorité », dénuée de « paternalisme » et « empreinte de respect ».
Les arguments de Nicolas Sarkozy étaient simples : il incarnait une nouvelle génération, par définition éloignée de l’époque de la Françafrique ; il était transgressif sur la forme, ce qui laissait présager une rupture de fond ; il était plein d’une énergie à laquelle rien ne résisterait.
Hormis quelques cyniques – qui estimaient que, in fine, de même que « ce sont les morts qui dirigent les vivants » (selon le mot d’Auguste Comte), c’est l’institution de la présidence, c’est-à-dire l’Histoire, qui dirige le président et pas l’inverse –, on sentait bien que Nicolas Sarkozy bénéficiait d’un a priori favorable au sein d’une partie importante de l’opinion publique africaine.
Vision stéréotypée
Et puis arriva le discours de Dakar. Dans son livre La cause du peuple, Patrick Buisson, l’un de ses anciens conseillers, décrit « une personnalité dénuée de la moindre conviction, consumée par son ego, cynique au possible.» Si cette critique acerbe tient sans doute du ressentiment exacerbé d’un ex-proche évincé, elle ne surprend pas ceux qui ont suivi le parcours politique de Nicolas Sarkozy.
Pour autant, il n’empêche qu’à défaut d’avoir une vision politique affirmée des relations France-Afrique, le président français avait, ce qui au fond est pareil, un certain rapport à l’Afrique que son discours de Dakar, qui pouvait se lire comme une déclaration de politique générale, a involontairement clarifié. La rhétorique de la rupture était un voile qui masquait la vision stéréotypée d’une Afrique figée, irrationnelle, attardée.
Sous les présidences de Sarkozy et Macron, les régimes moyenâgeux du pré-carré ont souvent été confortés »
Cette vision dessinait un projet politique. Quand Nicolas Sarkozy expliquait que « la civilisation musulmane, la chrétienté, au-delà des crimes et des fautes qui furent commis en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l’universel et à l’histoire », il suggérait tout de même que ces « crimes », au regard du bénéfice considérable qu’ils ont engendré, pouvaient être relativisés (le fameux « rôle positif » de la colonisation). Il affirmait en filigrane que la fin justifie les moyens. L’application politique de cette doctrine a conduit à la catastrophe libyenne.
Le macronisme, un sarkozysme soft ?
Mais le drame du sarkozysme, en tout cas dans son incarnation africaine, est qu’il ne s’est pas arrêté avec le départ de Nicolas Sarkozy. Face aux peuples d’Afrique francophone, Emmanuel Macron a lui aussi exhibé sa jeunesse, son volontarisme, sa modernité. Fort de ces atouts supposés, lui aussi a promis de tordre le cou à « la Françafrique » ; lui aussi a promis d’instaurer une relation décomplexée avec l’Afrique ; mais lui aussi, comme Nicolas Sarkozy, s’est arrêté aux mots.
Sous la présidence de ce dernier, à l’image de celle d’Emmanuel Macron, le joug monétaire de la France a été préservé, l’armée française s’est déployée en Afrique francophone, les régimes moyenâgeux du pré-carré ont souvent été confortés.
Commentant l’actualité sénégalaise récente, marquée par des émeutes populaires consécutives à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, au cours desquelles des symboles français ont été pris pour cible, l’éditorialiste Éric Zemmour indiquait récemment sur la chaîne de télévision française CNews avoir été informé que « Macron avait hésité, qu’il avait songé à envoyer la marine française, une intervention militaire, puis qu’il s’était rétracté… « .
Le macronisme, un sarkozysme soft ? Qu’importe in fine : c’est à l’Afrique, non pas « d’entrer dans l’histoire », mais d’écrire sa propre histoire.
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