Faut-il y croire ?

Nouveau facilitateur, nouvelles méthodes et énième accord dans le règlement de la crise ivoirienne. Un espoir de paix est né à Ouagadougou le 4 mars. Reste à le réaliser.

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 8 minutes.

C’est fait, les deux principaux acteurs de la crise ivoirienne ont risqué le pari de la paix. Après plus de quatre ans d’affrontements de tous ordres, le président Laurent Gbagbo et le chef de file des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) Guillaume Soro ont signé, le 4 mars, dans la capitale burkinabè, un accord. Le document, appelé « Accord politique de Ouagadougou », soumis d’abord à l’Union africaine, devait être entériné le 12 mars par le Conseil de sécurité des Nations unies. Une longue partie de poker menteur s’achève, un nouvel espoir pointe à l’horizon.
C’est ainsi en tout cas que l’ont compris les deux parties, qui, cette fois, n’ont subi aucune pression pour parapher ce plan de sortie de crise. Laurent Gbagbo, démonstratif comme à son habitude, l’a suggéré à ses compatriotes dès son retour de Ouagadougou. Tout sourires, il a levé les poings en signe de victoire. Et, outre la poignée de main entre le chef de l’État ivoirien, son homologue burkinabè Blaise Compaoré, facilitateur de ces retrouvailles, et le leader des FN, s’il fallait garder une image immortalisant l’issue d’un mois de négociations, ce serait bien celle-là. Celle d’un Gbagbo qui, à l’entendre, aurait fini par imposer sa solution à ses adversaires politiques ainsi qu’à la communauté internationale qu’il a toujours accusée de chercher à lui tordre le bras. Cette bataille, il l’a gagnée conjointement avec son adversaire d’hier, Guillaume Soro. Mais, du coup, a-t-il vraiment vaincu ? En tout cas, il s’est réjoui en ces termes : « C’est la paix en Afrique et par l’Afrique. Tous les problèmes qui naissent en Afrique peuvent trouver des solutions en Afrique. » L’issue n’était pas évidente. Que de tractations secrètes, de rencontres nocturnes, de conversations téléphoniques animées avec certains de ses pairs du continent et de relations mises à contribution pour aboutir. Il y a fallu du savoir-faire politique, du courage et cette dose de persévérance qui frise l’entêtement. Laurent Gbagbo n’en manque pas. C’est fin novembre, début décembre 2006, après la consultation générale qu’il a lancée au lendemain du sommet du Conseil paix et sécurité de l’Union africaine (UA), le 17 octobre, à Addis-Abeba, que son projet de « dialogue direct » avec l’ex-rébellion qui occupe le nord du pays, en gestation depuis plusieurs semaines, prend forme. Il s’est rendu compte que le tandem avec le Premier ministre Charles Konan Banny ne fonctionne plus, malgré des débuts prometteurs. À ses yeux, le chef du gouvernement est entré dans une logique d’affrontement depuis l’adoption, le 1er novembre 2006, de la résolution 1721 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui lui octroie de larges pouvoirs. Et se comporte en président bis.
C’en est trop. Il ne veut plus entendre parler de Banny à la primature (voir p 58). Il sait surtout que certains de ses pairs du continent, dont les anglophones d’Afrique australe et d’autres de la sous-région, comme le Malien Amadou Toumani Touré et le Cap-Verdien Pedro Pires, sont de plus en plus offusqués par la diabolisation qui le frappe, et le soutiennent ouvertement ou discrètement dans sa contre-offensive. Le 19 décembre, il précise sa pensée dans un discours à la nation, en discute avec son homologue sud-africain Thabo Mbeki. Ce dernier lui suggère de prendre langue avec le chef de l’État burkinabè Blaise Compaoré pour convaincre Guillaume Soro de négocier en dehors du dispositif du G-7, le groupe de sept des dix parties signataires des accords de Marcoussis de la fin janvier 2003, dont le PDCI de l’ex-président Henri Konan Bédié et le RDR de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara. Mbeki s’emploie aussi à obtenir de Compaoré qu’il joue le rôle de facilitateur des discussions Gbagbo-Soro.
Pendant que Soro se concerte avec ses camarades des FN à Bouaké, leur fief, et ne donnera son accord pour le dialogue direct que le 1er janvier, Gbagbo confie une mission spéciale à son conseiller et porte-parole, Désiré Tagro. En l’espace d’un mois, ce dernier se rend une dizaine de fois à Ouagadougou. Il y croise parfois Guillaume Soro et Alain Lobognon, le « monsieur Communication » de l’ex-rébellion, sans qu’il y ait de contacts formels. Mais il sera reçu par Compaoré, après l’audience que ce dernier a accordée, le 10 janvier, à Michel de Bonnecorse, le conseiller Afrique du président Jacques Chirac. Les 19 et 20 janvier, en marge du sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), tous deux réunis à Ouagadougou, les choses s’accélèrent. Dans leur huis clos, les chefs d’État de la Cedeao s’alignent sur le projet de « dialogue direct » et demandent à Compaoré, élu président en exercice de l’organisation sous-régionale, d’en être le facilitateur.
Ce dernier ne se fait pas prier. Il voit tout le bénéfice qu’il peut tirer d’une solution à la crise ivoirienne : c’est bon pour sa propre image et celle de son pays, pour ses quelque trois millions de compatriotes installés en Côte d’Ivoire, pour l’économie burkinabè qui souffre de la situation qui prévaut à Abidjan. Quelques jours plus tôt, en accord avec ses partenaires du G-7, Soro accepte le dialogue direct. À condition toutefois qu’il se déroule dans le cadre de la résolution 1721, qui définit la feuille de route du Premier ministre Charles Konan Banny, qu’il a également rencontré. Mais c’est le long tête-à-tête nocturne du 19 janvier, à Ouaga, entre Compaoré et Gbagbo qui sera décisif. Les deux hommes, qui se retrouvent le 24 janvier à Bobo-Dioulasso, dessinent dans le moindre détail les contours des négociations. « Nous allons faire aboutir le dialogue direct », déclare le chef de l’État burkinabè à l’issue de la rencontre qui a duré trois heures. Il évoquera la question, le lendemain à Tripoli, avec son homologue ivoirien en marge du sommet de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad). Ils se ?verront encore au sommet de l’Union africaine (29-30 janvier à Addis-Abeba), où Gbagbo rencontre Ban Ki-moon et l’informe officiellement de son projet de dialogue direct, que le patron de l’ONU encourage.
La date du 5 février est arrêtée pour le début des discussions, juste après que Djibrill Bassolé, ministre burkinabè de la Sécurité, et Désiré Tagro ont rencontré Soro à Bouaké pour les derniers réglages et les modalités pratiques. Chacune des deux parties est invitée à présenter un mémorandum à Bassolé. Passé la cérémonie d’ouverture, Louis-André Dacoury Tabley, Mamadou Koné, Sidiki Konaté et Alain Lobognon pour les FN, Désiré Tagro, Alcide Djédjé et Navigué Konaté pour le camp présidentiel, ne se rencontrent plus directement et communiquent très peu avec l’extérieur. Au grand dam de la quinzaine de journalistes ivoiriens présents à Ouagadougou. Bassolé, secondé par Vincent Zakané, le conseiller juridique du président burkinabè, a aménagé un bureau dans l’hôtel où séjournent et travaillent ses hôtes. Cette méthode lui a réussi dans le dialogue intertogolais qu’il a mené à bien au nom de son patron. Et, un mois durant, il en sera ainsi.
Le premier flic burkinabè fait la navette entre les négociateurs. Il s’agit d’obtenir des deux parties la même position sur chaque point. Quand surgit une difficulté, notamment sur la question de l’identification des populations ou le processus DDR (Désarmement, Démobilisation et Réinsertion) ou l’intégration de l’armée, c’est Compaoré qui monte au créneau, appelle au téléphone Gbagbo ou Soro. Pour trouver une solution, il n’hésite pas à inviter à Ouaga le représentant de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci), les commandants en chef des Casques bleus ainsi que le « monsieur Élection » de l’organisation internationale, qui ont plusieurs fois fait le déplacement de la capitale burkinabè. Certains de ses pairs du continent ne sont pas en reste.
Quand Soro menace de se retirer, faute, entre autres, d’accord sur l’identification des populations, c’est le chef de l’État gabonais Omar Bongo Ondimba, qu’il tient régulièrement informé de l’évolution des négociations, qui l’en dissuade. Tandis que Mbeki ne ménage pas ses efforts auprès de son ami Gbagbo. L’organisation catholique Sant’Egidio, non plus, qui a été désignée par les deux parties pour aider les Burkinabè et dont Mario Giro, le représentant, fut le seul intervenant extérieur à participer aux dix derniers jours des discussions. Jacques Chirac, qui a abordé le dossier ivoirien avec Compaoré en marge du sommet Afrique-France (15 et 16 février à Cannes), n’est pas directement intervenu. Bonnecorse suivait les négociations, il s’était encore entretenu au téléphone, le 19 février, avec le facilitateur, qui consulte aussi l’opposition politique dont les ténors Alassane Ouattara et Alphonse Djédjé Mady, le secrétaire général du PDCI, ont séjourné à Ouagadougou pendant la dernière semaine de février.
Les blocages sont ainsi levés les uns après les autres. Sauf peut-être celui de la primature. Gbagbo l’a proposée à Soro. Lequel réserve d’abord sa réponse. Il a profité de son passage à Paris, à la fin de février, pour recueillir, aussi bien sur cette proposition précise que sur le projet d’accord, l’avis de l’ancien président de la Cour constitutionnelle Pierre Mazeaud, facilitateur de la table ronde de Marcoussis (janvier 2003) avec lequel il entretient de bonnes relations. Et, le 3 mars, la veille de la signature de l’accord, il a rencontré ses partenaires du G-7 ainsi que Charles Konan Banny pour en parler avec eux. Avant de regagner Ouagadougou pour signer le plan de sortie de crise. Sur seize pages détaillées, le document qui scelle les retrouvailles des frères ennemis semble plus précis et plus ambitieux que les précédents (voir encadré p. 56).
Conclu par les deux ex-belligérants eux-mêmes et doté d’un calendrier pour sa mise en application, ce nouveau plan de paix se propose, entre autres, de conduire à la réunification du pays, coupé en deux depuis septembre 2002, d’accélérer le processus d’identification des personnes en vue des élections générales d’ici à la fin de l’année. Il prévoit la suppression progressive de la « zone de confiance » remplacée par une simple « ligne verte » jalonnée de postes d’observation, le retrait progressif des forces impartiales (celles de l’ONU et de la France, qui seront réduites de moitié tous les deux mois). Il précise les modalités du désarmement et de l’intégration des rebelles dans les troupes loyalistes avec la mise en place d’un centre de commandement intégré dont la direction sera assurée conjointement par l’état-major des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire et celui des Forces nouvelles. Sans oublier la formation d’un nouveau gouvernement de « transition » d’ici à « cinq semaines », sans doute le premier test auquel seront confrontés les signataires

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