Exercice d’équilibriste

Pour sortir le pays de l’ornière économique, le Premier ministre doit apprendre à composer avec le président, les sociétés minières et l’armée.

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 2 minutes.

En principe, le tout nouveau Premier ministre guinéen, Lansana Kouyaté, sera chargé d’assainir les finances publiques, qui, selon des diplomates, sont confondues avec les intérêts de la grande famille du président Lansana Conté et de ses alliés politiques. En principe, toujours, il devrait avoir des pouvoirs étendus. De son habileté à en faire usage dépend désormais le sort de la Guinée. Ce sera un délicat exercice de jongleur : exploiter les immenses richesses minières du pays tout en luttant contre la corruption ; s’abstenir de menacer directement la position personnelle du chef de l’État, tout en convainquant la population qu’une véritable transition politique et économique est en cours.
Jusqu’à la dernière crise de janvier-février, le régime de Conté a été toléré par les gouvernements occidentaux pour une raison essentielle : la bauxite. La Guinée possède les plus grandes réserves au monde de ce minerai servant à fabriquer l’aluminium. Les revenus de cette industrie, qui constituent plus de 90 % des exportations de la Guinée, sont étroitement contrôlés par le régime.
La Banque mondiale a félicité la Guinée pour avoir adhéré à l’Initiative de transparence des industries d’extraction, un projet qui vise à responsabiliser davantage les pays riches en minerais. Mais les Guinéens qui militent en faveur de la transparence affirment que certaines multinationales bénéficient de contrats commerciaux qui leur sont, de loin, très favorables, et que la gestion des ressources demeure opaque.
Selon des responsables de la Banque mondiale, certaines sociétés minières souhaitent que le gouvernement intensifie ses efforts en matière de transparence. La Chambre des mines de Guinée a déclaré qu’au cours des prochaines années 12 milliards de dollars pourraient être investis dans ce secteur. Les entreprises minières ont bien conscience que si le régime devait tomber, elles devraient faire face à l’arrêt de la production, à un redoublement de la violence et à une renégociation des contrats imposée par un nouveau gouvernement. Dans l’intérêt de la stabilité, elles ne cessent de demander à leurs propres gouvernements de prendre langue avec Conté, tout en restant muettes sur l’influence qu’ils pourraient exercer.
Mats Karlsson, représentant de la Banque mondiale en Guinée, reconnaît que sans réformes le système fiscal guinéen n’est pas viable. Mauvaises nouvelles pour le maintien de l’unité au sein de l’armée. Lorsque Conté a décrété l’état de siège le 12 février, avant qu’il ne soit levé le 23, des soldats ont protesté à Conakry contre la présence présumée d’éléments mieux payés venus du Liberia et de Guinée-Bissau dans la garde présidentielle. D’après les diplomates, la gestion économique du pays est tellement mauvaise que Conté a dû multiplier les descentes à la Banque centrale afin de pouvoir nourrir son armée divisée. Si les choses venaient à s’effondrer, les analystes craignent que le conflit qui en résulterait n’attire les chefs de guerre et les profiteurs de toute la région. Selon Mike McGovern, professeur à l’université de Yale et expert de la Guinée, la crise pourrait inciter des milliers de jeunes sans avenir et de soldats démobilisés des pays voisins à reprendre les armes. Toute une génération de Guinéens abandonnerait alors l’espoir d’être riches ou libres.

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