Enquête sur une cavale dorée

Soupçonné de blanchiment d’argent, l’ex-golden boy réfugié à Londres a été longuement interrogé par Scotland Yard. Les autorités algériennes affectent de croire son extradition imminente. Mais rien n’est moins sûr.

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 4 minutes.

Dimanche 4 mars. Trois journaux algériens annoncent que, « soupçonné de blanchiment d’argent et de séjour illégal » au Royaume-Uni, l’homme d’affaires Rafik Abdelmoumen Khalifa (40 ans) a été arrêté cinq jours auparavant à Londres, longuement interrogé par les hommes de Scotland Yard, puis remis en liberté après versement d’une caution.
Au moment où, à Blida, le procès de l’ex-milliardaire et de ses 104 coïnculpés entre dans la dernière ligne droite, la nouvelle fait l’effet d’un séisme de forte amplitude. D’autant qu’elle est rapidement confirmée par Abdelaziz Belkhadem, le chef du gouvernement en personne.
Reste une série de questions. Que s’est-il vraiment passé lors de cette journée du mardi 27 février ? Pourquoi la police britannique a-t-elle soudainement décidé de convoquer l’homme qu’elle protège depuis son arrivée à Londres, en 2003 ? Et, surtout, ce dernier peut-il vraiment être extradé vers l’Algérie, et quand ?

Samedi 24 février 2007, Khalifa reçoit une communication téléphonique. Son correspondant appartient à l’unité de la police britannique spécialisée dans la délinquance économique et financière. Il l’informe qu’il est convoqué le 27 février au siège de Scotland Yard – où il a presque ses habitudes pour un « complément d’enquête » concernant une opération de blanchiment d’argent dont il se serait rendu coupable.

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À 13 h 30, le jour dit, Khalifa se présente donc devant les policiers. L’interrogatoire commence une demi-heure plus tard. Pas moins de sept inspecteurs y participent. L’ex-golden boy est longuement interrogé sur ce qui reste de la fortune accumulée au cours des cinq années passées à la tête de son groupe. Les enquêteurs se fondent sur deux sources : le volumineux dossier que leur ont remis, quelques jours auparavant, des experts du ministère algérien de la Justice en mission à Londres depuis le 20 février, mais aussi, bien sûr, sur les éléments nouveaux rendus publics lors du procès en cours à Blida. Où sont passés les milliards disparus des coffres de Khalifa Bank ? insistent les hommes du Yard. « Je n’ai plus d’argent ! » répond inlassablement Khalifa, qui explique que son groupe a été sciemment liquidé par le gouvernement algérien, alors que certains hauts responsables ont allègrement mis les doigts dans le pot de confiture. Pour sa défense, il invoque l’achat par ses soins, au profit de la présidence, de trois Mercedes blindées d’une valeur de 2 millions d’euros. Il affirme avoir financé en juin 2003 une opération de lobbying au profit d’Abdelaziz Bouteflika (ladite opération a été confiée à une firme américaine, Goodworks International LLC). Il soutient enfin avoir fourni gracieusement au gouvernement deux hélicoptères militaires. L’audience s’achève vers 17 heures. Khalifa quitte le siège de la police après s’être engagé par écrit à ne pas s’exprimer dans les médias et à répondre à une nouvelle convocation, le mardi 20 mars.
Selon nos informations, qui contredisent les allégations de la presse algérienne, il n’a versé aucune caution et reste libre de ses mouvements, sous la protection, bien sûr, d’un agent des services britanniques qui ne le quitte pas d’une semelle. Contrairement à ce qui a été dit et écrit ici ou là, il n’a nullement été question au cours de son interrogatoire du caractère prétendument illégal de son séjour au Royaume-Uni, puisqu’il bénéficie du statut de réfugié.

Que peut-il se passer le 20 mars ? Deux possibilités :
1. Les soupçons de blanchiment d’argent se révèlent fondés. Dans ce cas, le dossier est transmis à la justice britannique, qui ouvre une information judiciaire.
2. Ils reposent sur du vide, et Khalifa continue de vivre à Londres en toute liberté, avec la bénédiction des autorités.
Selon son entourage, l’ex-milliardaire est parfaitement serein. Au téléphone, il explique à ses proches restés en Algérie que les poursuites engagées contre lui vont être inévitablement abandonnées, faute de preuves. Débriefé à maintes reprises par les policiers britanniques et, au moins une fois, par leurs collègues français, il a, semble-t-il, livré tous ses secrets. Depuis 2004, au moins cinq enquêtes ont été diligentées par Scotland Yard. En Grande-Bretagne, bien sûr, mais aussi en France, aux États-Unis, en Espagne, en Suisse et dans les Émirats arabes unis. Sans résultat : les milliards envolés restent introuvables. À en croire Khalifa, les Britanniques n’auraient en tout et pour tout découvert qu’un compte courant ouvert à son nom dans une banque londonienne. Celui-ci présentait un solde créditeur inférieur à 10 000 euros. Comme trésor caché, on fait mieux !
Quid de son éventuelle extradition, que les autorités algériennes semblent tenir pour imminente ? Certes, un accord général d’extradition a été conclu en juillet 2006, lors d’une visite à Londres du président Bouteflika. Il est applicable depuis le 25 février. Mais « on reste loin du compte », commente un avocat, à Alger. Visé par un mandat d’arrêt international lancé en mars 2003 par la justice de son pays, Khalifa n’est pas extradable dans la mesure où il bénéficie de l’asile politique au Royaume-Uni. À supposer que le ministère algérien de la Justice ait vraiment introduit une demande officielle, il faut savoir que la justice britannique a la réputation d’être l’une des plus vétilleuses au monde – avec Israël – en ce domaine. N’a-t-il pas fallu dix ans pour que Rachid Ramda, le financier des attentats terroristes perpétrés en France en 1995, soit finalement extradé ? Conscient de la complexité de la procédure, mais soucieux de donner des gages à une opinion sous le choc des révélations du procès de Blida, le gouvernement algérien fait monter les enchères. « Il ne peut y avoir de collaboration entre l’Algérie et la Grande-Bretagne dans d’autres domaines si on ne peut pas résoudre un cas comme l’extradition de Khalifa », a menacé, en termes à peine voilés, Yazid Zerhouni, le ministre de l’Intérieur. À bon entendeur

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