Cigarettes, vodka et surgelés

Publié le 13 mars 2007 Lecture : 4 minutes.

Aux rares journalistes qu’il accepte de recevoir, il pose fermement ses conditions : l’entretien devra avoir lieu dans un grand hôtel ou un restaurant chic de la City, le quartier londonien des affaires. Il refuse d’ouvrir les portes de son appartement et se garde bien de confier son numéro de téléphone au premier venu. Mieux, il change constamment de portable. Rafik Khalifa est manifestement sur ses gardes. Surtout depuis l’ouverture, le 9 janvier à Blida, de son procès surmédiatisé. Visé par un mandat d’arrêt international et accusé par la justice de son pays de corruption et de malversations, il fait aujourd’hui, au Royaume-Uni, l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent. Pourtant, l’ancien patron du groupe Khalifa mène à Londres, depuis mars 2003, une vie plus que confortable.
À son arrivée, il s’est d’abord vu attribuer un titre de séjour, puis le statut de réfugié politique. Depuis, il est régulièrement convoqué au siège de Scotland Yard pour des séances de débriefing et bénéficie d’une protection policière rapprochée. L’expert-comptable Moncef Badsi, le liquidateur de la banque Khalifa, en sait quelque chose. En 2003, il a rencontré à quatre reprises l’ex-homme d’affaires dans une suite de l’hôtel Lanesborough, à Londres, en présence de l’avocat de ce dernier et de plusieurs responsables de Scotland Yard. Bref, Khalifa, qui est sans doute en possession de quelques secrets d’État susceptibles d’intéresser les Britanniques, est loin d’être traité comme un exilé lambda.
De quels revenus dispose-t-il aujourd’hui, lui qu’on présente comme l’auteur de la plus grande escroquerie de l’histoire de l’Algérie indépendante ? Comment vit-il dans la capitale britannique ? À l’évidence, il a remisé au placard ses costumes Armani. Il a cessé de voyager et fréquente moins assidûment les restaurants de luxe. Mais il est loin d’être ruiné et ne mène pas la vie d’un moine trappiste. Il roule en limousine avec chauffeur (anglais) et loue un appartement de trois pièces dans le quartier huppé de Knightsbridge, à deux pas du grand magasin Harrods, propriété du milliardaire Mohamed al-Fayed. Amaigri, il se nourrit de plats surgelés et a, semble-t-il, mis une sourdine à ses excès alcooliques, mais reste un grand amateur de vodka, doublé d’un fumeur invétéré : il grille trois paquets de cigarettes par jour. « Je ne suis pas multimilliardaire : je sors, je me balade, je vais au restaurant deux fois par semaine », confiait-il, en mai 2006, à l’hebdomadaire français VSD. Parlant un anglais presque parfait, il passe de longues heures sur le Net et tient à jour un pressbook dans lequel figurent tous les articles qui lui ont été consacrés. Mais ce qu’il aime par-desssus tout, ce sont les interminables conversations téléphoniques avec ses rares amis restés à Alger.
Divorcé d’Hania, qui vit en France avec leur fille Melissa Nour Jihane, « Moumen » n’a pas encore refait sa vie. Timide, réservé, il n’a pas la réputation d’être un grand séducteur. Même si, pendant sa période jet-set, les soirées très arrosées qu’il organisait étaient propices aux rencontres. Et si une rumeur insistante a pu laisser croire qu’il avait épousé en secondes noces une actrice américaine rencontrée en septembre 2002, lors d’une mémorable soirée organisée, à Cannes, pour le lancement de sa chaîne K-TV. En fait, il n’en est rien.
On murmure aussi que Khalifa entretiendrait des liens étroits avec le mannequin – et actrice occasionnelle – Lauren Bush. Oui, oui, la propre nièce de George W. En tout cas, il l’a très généreusement rétribuée pour sa participation à la fameuse soirée cannoise. Entre avril et juin 2002, les liquidateurs de Khalifa Bank ont trouvé trace de deux virements au profit de la jeune femme d’un montant total de 1,6 million de dollars. Il est vrai qu’à l’époque l’argent coulait à flots. Khalifa fréquentait le gratin du show-biz – Depardieu et Deneuve, parmi beaucoup d’autres -, dînait à la Tour d’argent ou chez Le Divellec, voyageait à bord d’un jet privé acheté 8 millions de dollars et était reçu par quelques-uns des grands de ce monde, émirs du Golfe, présidents africains ou patrons de grandes compagnies aériennes.
Aujourd’hui, à 40 ans, il est bien revenu de sa frénésie de dépenses. Nécessité fait loi, sans doute Depuis la chute de son empire et la mise en liquidation de sa banque, ses revenus se sont considérablement réduits. Mais rassurez-vous : il est à l’abri du besoin pour quelques années encore. Le 25 juin 2003, la revente pour 16 millions d’euros à la SCI Mac-Mahon Lanzerac de sa villa de Cannes (« Bagatelle ») achetée 35 millions, lui a permis d’empocher au passage 3,3 millions, somme qui lui a été remise, le 9 juillet 2003, par un notaire parisien à l’aéroport d’Heathrow, à Londres, en sus d’un virement de 560 000 euros. Il est vrai qu’avec ses 5 000 m2 habitables, ses 2 hectares de terrain et ses quatre piscines (dont deux intérieures), ladite villa évoque davantage un palais des Mille et Une Nuits qu’une HLM de banlieue !
Si Khalifa nie farouchement avoir tapé dans la caisse de son défunt groupe, il ne conteste pas s’être considérablement enrichi. « À 27 ans, confiait-il l’an dernier à VSD, j’avais déjà 17 millions d’euros. La revente d’une maison que je possédais en France et d’une autre en Algérie me permet de voir venir. Et j’ai des amis qui m’ont aidé financièrement. » Qui sont ces généreux amis ? Une de ses vieilles connaissances estime que son frère, qui habite toujours Alger, sa femme et sa sur, qui réside au Maroc, sont nul doute du nombre. Quant aux autres, impossible de le savoir.
« Je n’ai plus de fortune », ne cesse de répéter Rafik Khalifa aux enquêteurs britanniques. Même en faisant un effort, on a un peu de mal à le croire.

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