Une alerte tirée par les cheveux

Une star libanaise du brushing venue coiffer une princesse saoudienne déclenche un plan antiterroriste d’envergure dans la capitale.

Publié le 13 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Surpris, le 31 janvier, en train de filmer la façade de l’ambassade des États-Unis, avenue Gabriel, à Paris, dans le 8e arrondissement, le coiffeur libanais d’une princesse saoudienne a déclenché une alerte antiterroriste majeure dans la capitale française. Si les autorités se sont bien gardées d’ébruiter l’affaire, rocambolesque et révélatrice de la paranoïa qui s’est emparée des services de sécurité occidentaux depuis le 11 septembre 2001, la presse – en l’occurrence le quotidien Le Parisien – elle, s’est empressée de la divulguer. Croustillant, ce fait-divers en dit long aussi sur les murs et le train de vie de la famille régnante wahhabite. Pourquoi se priver quand 10 % des recettes de l’Aramco, la compagnie pétrolière nationale, servent à abonder la liste civile royale ?
Tout commence donc à Paris avec la venue, il y a quelques mois, de la princesse Nouf Bint Abdelaziz al-Saoud. La dame, qui goûte particulièrement les charmes de la ville lumière, et qui, en toute simplicité, descend au Crillon, place de la Concorde, n’est pas n’importe qui : elle est l’épouse du prince Nayef, ministre de l’Intérieur et demi-frère du roi Abdallah. Elle est accompagnée de sa suite – une vingtaine de personnes. Pour transporter tout ce beau monde, la princesse exige des Mercedes roulant à l’essence. Question d’habitude et de prestige : en Arabie saoudite, le gazole, c’est pour les pauvres, les immigrés. Le parc parisien étant intégralement composé de véhicules diesel, on fait venir les cinq berlines de Stuttgart, en Allemagne.
C’est à bord de l’un d’eux que l’incident impliquant le coiffeur attitré de la princesse s’est produit. Venu spécialement du Liban, la veille, pour une coupe payée 5 000 dollars, l’homme sortait du Crillon et se dirigeait vers l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Il était aux alentours de 11 heures. « Tout le long du trajet, il a filmé avec son caméscope, malgré mes mises en garde lorsque nous avons emprunté l’avenue Gabriel, celle où se trouve l’ambassade américaine », a expliqué le chauffeur aux enquêteurs. Les deux occupants de la voiture sont « de type arabe ». Le site est sensible. En 2001, une opération kamikaze, projetée par le Franco-Algérien Djamel Beghal, avait été déjouée après l’arrestation fortuite de celui-ci, aux Émirats arabes unis. Intrigués, les policiers en faction notent le numéro de la plaque : et s’il s’agissait d’un repérage en prévision d’un attentat ? L’unité de coordination de la lutte antiterroriste est saisie, elle alerte la brigade criminelle.
Très vite, les limiers de « la Crim’ » s’aperçoivent que la voiture de location aurait dû être rapportée le 17 janvier. Elle est donc considérée comme détournée. Le nom du locataire, domicilié à Créteil, ne figure pas à l’adresse indiquée sur le contrat. L’affaire est prise au sérieux. Le niveau d’alerte est augmenté. Dans l’après-midi, les policiers retrouvent la trace de la voiture, qui stationne devant le Crillon – à quelques centaines de mètres de l’ambassade américaine. Vers 20 heures, ils arrêtent et placent en garde à vue un Français d’origine égyptienne qui s’apprêtait à monter dedans. Et c’est pendant l’interrogatoire qu’ils s’aperçoivent de la méprise. L’individu en question est le fils de l’ancien secrétaire particulier d’Akram Ojjeh, homme d’affaires et marchand d’armes saoudien. Dans ses poches, on retrouve 50 000 euros, en coupures de 500 : « l’argent de poche » donné par la princesse. C’est un intermédiaire spécialisé dans l’organisation des séjours des princes fortunés du Golfe. C’est bien sa société, basée à Créteil, qui a loué les Mercedes à essence à Stuttgart. Tout est en règle : la location a été prolongée, mais la succursale parisienne du loueur a oublié de prévenir la maison mère en Allemagne. Quant à l’absence de nom à l’adresse indiquée sur le contrat, c’est une simple erreur de transcription.
Les policiers français en ont été quitte pour une belle frayeur. La princesse Nouf, elle, continue son shopping. Ironie de l’histoire : le responsable opérationnel de la lutte antiterroriste en Arabie saoudite n’est autre que son propre fils, prénommé Mohamed !

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