Sur un air de campagne

À l’approche de la présidentielle d’avril prochain, une partie de l’opposition s’organise pour contraindre le chef de l’État sortant à un second tour.

Publié le 14 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Petites phrases assassines, déclarations tonitruantes, retournements de veste, jeu d’alliances La fièvre électorale a gagné Bamako. Conclaves, assises et congrès rythment désormais la vie politique malienne. Depuis plusieurs semaines, le premier tour de l’élection présidentielle, prévu le 29 avril, occupe tous les esprits, mobilise toutes les énergies.
Le prochain scrutin sera sensiblement différent du précédent. En 2002, le président sortant Alpha Oumar Konaré achevait son second et dernier mandat, la Constitution ne lui permettant pas d’en solliciter un troisième. L’actuel chef de l’État Amadou Toumani Touré (ATT pour ses compatriotes), lui, peut se représenter, mais n’a toujours pas officialisé sa candidature. Quatorze partis parmi les plus importants du pays se sont d’ores et déjà constitués en Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP) pour le soutenir. Tandis que les adversaires d’ATT, candidats déclarés ou annoncés, se sont rassemblés, le 4 février à Bamako, au siège du Parti pour la renaissance nationale (Parena, de l’ancien chef de la diplomatie Tiébilé Dramé) afin de sceller la création d’un Front pour la démocratie et la République (FDR) dont l’objectif est de réussir l’alternance.
Cette soudaine agitation a permis de voir plus clair dans le marigot politique. Sur la centaine de partis officiels, seuls vingt-six ont une activité régulière et soutenue, et moins d’une dizaine sont représentés dans les institutions nationales. Désormais, la campagne électorale sera animée par deux pôles : d’un côté, l’ADP en faveur du président sortant ; de l’autre, le FDR et ses candidatures multiples.
Dans le camp de l’ADP se trouvent l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma, le parti créé par Alpha Oumar Konaré au lendemain du mouvement de mars 1991 qui avait fait fléchir le régime de Moussa Traoré), l’Union pour le renouveau démocratique (URD) de Soumaïla Cissé, l’actuel président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), le Congrès national d’initiative démocratique (Cnid) de l’avocat Mountaga Tall, ainsi que le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) de Choguel Maïga. Ce bloc politique représente plus de 60 % des députés de l’Assemblée nationale. Tous expliquent leur soutien au président sortant par une volonté de continuité de l’action entreprise par ATT depuis son retour aux affaires, en juin 2002.
Au lendemain de sa victoire, le chef de l’État avait tendu la main à l’ensemble de la classe politique en proposant une politique de consensus national. Objectif : atténuer les clivages politiques afin d’accorder la priorité aux opérations de développement. La plupart des partis y avaient répondu favorablement, permettant ainsi à ATT de diriger le pays sans être confronté à une opposition forte. Alors qu’une majorité de la population a vu ce consensus national comme une période d’apaisement, de nombreux dirigeants politiques ont stigmatisé une marginalisation des partis, éléments essentiels de la démocratie. Au sein même de l’ADP, le soutien des états-majors au chef de l’État a provoqué la colère de certaines personnalités politiques, qui estiment ne pas avoir été consultées.
Premier vice-président de l’Adéma, Soumeylou Boubeye Maïga a ainsi refusé de cautionner la décision du bureau national de son parti, arguant du fait que le parti historique se doit de présenter un candidat. L’ex-ministre de la Défense et ancien patron des services de renseignements a été suspendu de son parti. Mais Boubeye Maïga n’en a cure. En novembre 2006, il a organisé un meeting politique afin d’expliquer son refus de se ranger derrière un homme qui n’appartient pas à sa formation politique. Le rassemblement a connu un succès retentissant : jamais le Centre international de conférences (l’ancien Palais des congrès) de Bamako n’avait connu telle affluence. « La salle était noire de monde. On a dû installer des enceintes pour les personnes restées sur le parvis », se souvient un technicien. Après la rencontre, Boubeye Maïga a créé Convergence 2007, une association censée devenir un parti politique en vue de l’élection présidentielle. Depuis, il multiplie les sorties sur le terrain et n’hésite pas à mobiliser ses troupes, pour la plupart issues de l’Adéma.
Du côté du FDR, la candidature de Blaise Sangaré semble la plus sérieuse. Implanté dans la région de Sikasso, une zone densément peuplée, le président de la Convention démocratique et sociale (CDS) bénéficie d’un potentiel de voix important.
Il en faudra évidemment plus pour barrer la route au président sortant. Les quatre formations politiques qui constituent le FDR comptent surtout sur leur accord électoral recommandant le report automatique des voix sur l’adversaire d’ATT en cas de second tour.
Mais la surprise pourrait venir d’ailleurs. Personnalité médiatique s’il en est, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), président de l’Assemblée nationale, fait figure de troisième homme. Ce technocrate entré en politique grâce à l’ancien président Alpha Oumar Konaré, qui l’a nommé Premier ministre et président de l’Adéma, est vite tombé en disgrâce. En 2000, IBK fait savoir qu’il se verrait bien prendre la succession de son mentor, qui ne l’apprécie guère Limogé du gouvernement, débarqué de la présidence de l’Adéma, IBK a créé en 2001, avec une poignée de fidèles, le Rassemblement pour le Mali (RPM) qui s’est mué en redoutable machine électorale. Mais la formation politique n’est parvenue à hisser son leader qu’à la troisième position du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. IBK, qui a longtemps contesté les résultats, a fini par rallier ATT, qui a donc affronté Soumaïla Cissé au second tour. Le RPM a obtenu cependant 44 sièges de députés, sur les 147 que compte le Parlement, et est devenu la première force d’opposition du pays.
Aujourd’hui, les pronostics annoncent la victoire d’ATT dès le premier tour (tout comme la plupart des diplomates qui ont boycotté le congrès d’investiture d’IBK, le 28 janvier). Mais ses opposants sont convaincus qu’ils peuvent le contraindre à un second tour. « Contrairement à l’ADP, qui attend les instructions du président sortant, nous sommes tous les jours sur le terrain, affirme Blaise Sangaré. ATT fait campagne à la télévision et pense que cela peut compenser le manque de travail des partis politiques qui lui sont inféodés. Il se trompe. »
Longtemps ralliés au consensus, les détracteurs d’ATT lui reprochent « la caporalisation » de la classe politique, son statut d’homme providentiel et son passé militaire. Beaucoup s’interrogent sur les réelles intentions du colonel ATT, qui, en 1992, rendait le pouvoir aux civils. « Le symbole a été usé par le pouvoir, affirme Ousmane Sy, ancien ministre de Konaré. Un deuxième mandat pourrait l’amener à changer la Constitution pour mourir au pouvoir. » Inquiétude que balaie le chef de l’État : « Cette Constitution, c’est moi qui l’ai mise en place en 1992. Jamais je n’en changerai les dispositions. »

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