[Tribune] Hommage à Adam Thiam, un contemporain capital

Le journaliste malien Adam Thiam, collaborateur de nombreux titres de presse dont « Jeune Afrique », est mort dans la nuit de jeudi à vendredi. Son ami Ousmane Ndiaye lui rend ici hommage.

Adam Thiam, journaliste malien et ancien directeur de la communication à la présidence malienne, est décédé du Covid-19 le 18 mars 2021. © DR / Phiphi Show

Adam Thiam, journaliste malien et ancien directeur de la communication à la présidence malienne, est décédé du Covid-19 le 18 mars 2021. © DR / Phiphi Show

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Publié le 20 mars 2021 Lecture : 3 minutes.

J’aimais Adam. Il n’y a rien de plus dur que de conjuguer au passé celui qu’on a aimé.

Adam Thiam est mort cette nuit, emporté dans la litanie des morts sans fin de la pandémie. Adam, c’était un esprit et des lettres. Un bel esprit, de belles lettres.

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Comme beaucoup, j’ai connu Adam par le plaisir du texte. L’éditorialiste donc. Adam Thiam, dans Le Républicain de Bamako, c’était un rendez-vous attendu, entendu dans son pays, le Mali. C’était une sorte de conscience. Mauvaise diront certains, bonne diront d’autres.

Qu’importe, une conscience.

Une conscience parce que plume au-dessus de la mêlée, loin des sentiers battus, des modes de l’époque. Sa plume embrasait son temps et embrassait l’histoire. Dans le sens de la clameur parfois, bien souvent à rebours. Mais toujours libre.

Éditorialiste national

Plume de combat, plume des grandes défaites, comme des grandes victoires de la nation malienne en construction. Il était l’éditorialiste national, pas parce qu’il tenait plume confortablement dans le quotidien national comme c’est le cas souvent en Afrique, mais par la force de son propos et par son exigence. Il en imposait en toute humilité !

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Adam a écrit et raconté le Mali des deux dernières décennies, comme personne. En chroniqueur assidu, il en a figé les grands moments.

Inoubliable, ses éditos retentissants au lendemain des traumatismes nationaux : la défaite d’Aguelhok et le carnage de Tessalit en janvier 2012, la victoire militaire du MNLA qui proclame l’indépendance en prenant Gao, en mars 2012, les 10 longs mois d’une nation humiliée par l’occupation de la moitié de son territoire…

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Inoubliable

Inoubliable aussi, le geste de sa plume au lendemain des grandes victoires : la bataille Kona en janvier 2013, la libération de Tombouctou, les victoires sportives du Mali…

Adam Thiam était l’écho des blessures et vagues à l’âme d’une nation à la dérive. Témoin d’une tragédie malgré lui. Tragédie vécue aussi dans sa chair.

Adam était d’une tradition du journalisme qui se perd… celle du journalisme littéraire.

Un journalisme fait de solides références et d’une érudition impressionnante. Héritier de Zola, Gide, Malraux, Camus…

Adam Thiam avait quelque chose de Camus. D’abord dans la tradition d’un genre : l’éditorial. Ensuite, le clin d’œil de l’histoire : à chacun son « Républicain », Camus celui d’Alger, Thiam celui de Bamako. Et plus encore, dans la position politique. Parce qu’Adam Thiam était un observateur engagé, il a participé aux grandes luttes de son époque, contre la dictature dans les années 90, pour le panafricanisme au début des années 2000 à l’Union africaine, contre l’intégrisme terroriste aujourd’hui. L’intellectuel a été constamment au cœur des débats progressistes de son pays.

Adam a vu du pays donc. Mais Adam a aussi vu le monde.

Adam avait aussi une singularité dans la foule des éditorialistes : une connaissance intime du terrain. Passionné par les questions de développement rural, il a vécu et passé beaucoup de temps dans le Mali profond, bien loin des salons bamakois. Sa connaissance des moindres villages du Centre (le pays peul de ses aïeuls) et des moindres campements du grand nord désertique était bluffante.

Adam a vu du pays donc. Mais Adam a aussi vu le monde. Grand voyageur devant l’éternel, il a vécu à Addis-Abeba, Nairobi, Londres, étudié à Dakar (dont il gardait un si bel attachement) et Boston, à Harvard.

Adam était le koro, si mal traduit par le grand-frère. Ce lien de respect et de responsabilité qui le lie à la plus jeune génération. Il tenait à cœur ce rôle et n’a eu de cesse de me transmettre, dans un exercice quasi-initiatique. Partout dans le monde. Dans le hall d’un aéroport ou dans les couloirs d’une salle de conférence, dans un café parisien comme dans sa cour de Kalaban. Il reprenait la discussion à l’endroit en gardant ma main des heures durant.

Un jour de mars 2013, devant prendre la dangereuse route de Tombouctou seul, il m’a pris le bras, psalmodié une formule secrète et m’a dit : « Va en paix ! » Aujourd’hui, je te dis Adam Thiam, « Va en paix ! »

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