Osama Daoud Abdellatif, la success story d’un business farmer au Soudan

Patron de la plus grande entreprise privée du pays, Osama Daoud Abdellatif a su guider Dal Group à travers les tempêtes politiques et économiques. Mais le manque de financements reste un obstacle.

Osama Daoud Abdellatif a repris les rênes de la société familiale dans les années 1980. © Ashraf Shazly/AFP

Osama Daoud Abdellatif a repris les rênes de la société familiale dans les années 1980. © Ashraf Shazly/AFP

Publié le 27 mars 2014 Lecture : 4 minutes.

khartoum est une capitale chaude, poussiéreuse, en pleine crise économique à cause des sanctions internationales qui frappent le Soudan. Mais elle est aussi le fief d’une usine à la pointe de la technologie, qui produit environ 600 000 litres de lait par jour. Son propriétaire, Osama Daoud Abdellatif, est à la tête du premier groupe privé soudanais, le conglomérat Dal Group. Lequel possède, en périphérie de la capitale, une ferme de plus de 3 800 têtes de bétail – 3 000 autres devraient arriver courant mars. Nourries avec un fourrage obtenu à partir de 25 500 ha de terres irriguées, ses bêtes assurent un rendement laitier supérieur de 25 % à la moyenne observée dans les pays occidentaux, d’où elles proviennent.

« L’agriculture est ma passion », assure Abdellatif dans ses beaux bureaux de la zone industrielle délabrée de Khartoum. Dal Group estime son chiffre d’affaires à 1,5 milliard de dollars (1 milliard d’euros environ) par an, soit le double de la deuxième plus grande entreprise du Soudan. Le conglomérat est présent dans presque tous les secteurs, du médical à l’automobile en passant par l’immobilier. Mais l’agroalimentaire reste sa principale activité. « Il est honteux que le Soudan, pourtant agricole, importe 200 millions de dollars de lait en poudre. Nous exportons moins de produits agricoles qu’il y a cinquante ans. Nous reculons », affirme-t-il. Déplorant que le pays, principal fournisseur de pain du Moyen-Orient dans les années 1970, soit devenu un gros importateur de blé (2,4 millions de tonnes).Osama-Daoud-Abdellatif info

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En février, Abdellatif a lancé la construction de plusieurs moulins dans l’objectif d’exporter des aliments pour animaux dans le Golfe. Et d’ici à la fin de l’année, il compte ouvrir une usine de production de lait en poudre (un investissement de 20 millions de dollars) pour réduire les importations. « Nous cherchons activement à développer une industrie agroalimentaire, cela doit être la priorité du moment », affirme-t-il.

Exploit

L’agroalimentaire représente 80 % des ventes de Dal. Le groupe est le plus grand importateur de blé et le premier meunier du Soudan, avec 60 % de part de marché. Il embouteille aussi les boissons gazeuses de l’américain Coca-Cola, fabrique des pâtes et – tentative pour séduire la diaspora – dirige une école internationale et un restaurant haut de gamme.

Avec plus de 7 000 employés, son succès est un exploit dans l’une des économies les plus brisées du continent. La mauvaise gestion économique du Soudan, la faillite de ses entreprises, l’inflation et les sanctions internationales (les États-Unis l’ont classé parmi les pays soutenant le terrorisme) ont rendu la conduite de toute activité extrêmement chère.

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Fin 2013, le pays a eu si peu d’échanges que les stocks de blé ont dégringolé à trois jours de réserve seulement. Et des politiques improvisées ont entraîné une hausse vertigineuse des prix de certains produits de base, envoyant des milliers de manifestants dans les rues. « Je n’ai jamais vu de situation aussi difficile », assure Abdellatif, qui juge que l’accès aux financements est désormais son plus gros problème. D’autant que les banques ont récemment triplé le coût du crédit à court terme. « Nous avançons à 60 km/h alors que nous pourrions passer à 120 km/h avec les fonds adéquats, regrette-t-il. De moins en moins de banques sont prêtes à traiter avec le Soudan. Avec si peu de concurrence, l’activité est devenue très lucrative. »

Boom

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Fondé par le père d’Osama Daoud Abdellatif dans les années 1960 grâce à un contrat de distribution de tracteurs signé avec l’américain Caterpillar, le groupe (qui comptait alors une centaine de salariés) a réellement entamé sa diversification en 1980, lorsque le fils a repris les rênes. Parmi les éléments qui ont favorisé sa croissance : une décennie de boom pétrolier au début des années 2000. « C’était le bon moment pour nous. En 2002, nous allions déjà bien, et nous avons grandi un peu plus vite », relate-t-il. Ajoutant toutefois : « Le pétrole a été une malédiction. Notre pays n’a pas investi ses gains dans des activités productives. Il les a gaspillés et n’a pas de revenus à présent. La situation est devenue très difficile. »

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Mais des situations difficiles, il en a connu plusieurs dans le passé. En 1970, l’entreprise familiale (ainsi que toute l’économie) a été nationalisée par un gouvernement militaire socialiste, installé après un coup d’État. C’est près de dix ans plus tard seulement que la famille en a récupéré la pleine propriété. Puis, en 1983, le gouvernement islamiste a introduit la charia dans un pays habitué au whisky et aux discothèques. « Ce fut une période très négative pour les entreprises – le Soudan ne s’en est pas remis », estime le patron, qui dit essayer de rester en dehors de la politique intérieure, délicate et compliquée. « Il n’y a pas de demi-mesure dans les affaires et en politique. Je suis complètement neutre. Nous avons survécu à de nombreux gouvernements. Ils nous ont laissés tranquilles parce qu’ils nous considèrent comme de purs commerçants. »

Malgré la renommée nationale de sa société – qui fournit au Soudan la plupart de ses produits de base -, Abdellatif garde profil bas et se fait rarement photographier. À 62 ans, il passe beaucoup de temps à réfléchir à sa succession. « J’ai six enfants et tout cela devient compliqué », confie-t-il.

Un premier audit international des comptes du groupe est attendu d’ici à 2016 – dans le cadre d’un projet de cinq ans visant à mettre Dal aux normes internationales. Après cela, le groupe pourrait opter pour une introduction en Bourse à Dubaï ou pour la cession d’une part de son capital à des investisseurs privés, une société britannique serait d’ores et déjà intéressée. Quoi qu’il en soit, son patron veut voir la société poursuivre son développement. « Nous avons travaillé trop dur pour laisser l’aventure s’achever à la prochaine génération. »

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