Royal / Sarkozy : rupture et continuité

Publié le 13 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Faut-il s’en étonner ? C’est par Alger que l’Afrique a fait irruption dans la campagne électorale française. Le 4 février, Jack Lang, envoyé spécial de la candidate socialiste Ségolène Royal auprès d’Abdelaziz Bouteflika, s’est déclaré favorable à une reconnaissance par la France des crimes commis pendant la colonisation. L’ancien ministre de François Mitterrand a même réclamé une réforme « des manuels scolaires français qui présentent une histoire idyllique du colonialisme ». La référence à la loi sur le « bilan positif de la colonisation » – votée deux ans plus tôt par la majorité UMP du Parlement français avant d’être annulée en janvier 2006 sur injonction de l’Élysée – était à peine voilée. Et il n’en fallait pas plus pour que la polémique soit ravivée à Paris. La droite, de Philippe Douste-Blazy, le ministre des Affaires étrangères, à François Bayrou, leader de l’UDF, n’a fait que répéter ce que Nicolas Sarkozy avait déploré en 2005 : « On assiste chez certains individus, et parfois même au sein de l’État, à une tendance irrépressible à la repentance systématique. »

La querelle n’a guère duré et le différend gauche-droite sur la politique française en Afrique pourrait bien se réduire à cette posture idéologique sur la colonisation. L’Afrique ne sera pas au cur de la campagne. D’autant moins qu’un passage de relais entre générations se fera à la faveur de l’élection présidentielle. Les quinquas Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal étaient enfants au temps des indépendances, et entendent, eux, les murmures d’une bonne partie des opinions publiques française et africaines qui réclament la fin réelle de « l’Afrique de papa ».
Les deux favoris ont tout de même jugé utile d’effectuer le pèlerinage traditionnel en terre africaine de tout bon candidat. Au petit jeu du « j’ai visité plus de pays que toi », Sarkozy l’emporte haut la main (en tant que ministre de l’Intérieur, il a davantage de moyens et de raisons de se déplacer). Mali, Bénin et Maroc en mai 2006, Sénégal en septembre, Algérie en novembre, et un très hypothétique déplacement au Gabon et au Congo-Brazzaville d’ici à mars : il aura fait le tour des fidèles.

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Aux yeux du ministre de l’Intérieur, l’Afrique ne ressemble pourtant pas à la terre chargée d’histoire et riche de trônes ashantis ou de masques baoulés qu’affectionne Jacques Chirac. À Bamako, Sarkozy s’agaçait des moustiques et préférait se reposer au bord de la piscine plutôt que de rencontrer ministres ou acteurs de la société civile. Soit : sa politique envers le continent est de toute façon principalement guidée par des impératifs d’« immigration choisie ». Il a pourtant prononcé à Cotonou, le 25 mai 2006, un discours sur sa politique en Afrique, fondée sur un dialogue, estime-t-il, emprunt de franchise et de respect. Mélange de rupture avec la « Françafrique », de refus de s’encombrer d’une histoire coloniale trop lourde (condamner le système, oui, mais pas les hommes qui l’ont incarné), de responsabilisation des Africains (« la responsabilité du succès ou de l’échec est d’abord la vôtre »), de récusation de « la posture d’une France donneuse de leçons », mais aussi de refus « de transiger sur nos valeurs de démocratie », les relations avec les pays africains « à la Sarko » se veulent « décomplexées » et tournées vers l’avenir.
Il n’en entretient pas moins quelques accointances avec les amis africains de Jacques Chirac, figures emblématiques d’un « pré carré » qu’il se fait un devoir de dénoncer. Ainsi rencontre-t-il Omar Bongo Ondimba quand ce dernier est de passage à Paris ; ainsi a-t-il invité sa fille Pascaline au congrès de l’UMP le 14 janvier ; ainsi apprécie-t-il Denis Sassou Nguesso ou Amadou Toumani Touré. Dans son entourage, il conserve quelques fins connaisseurs des fameux réseaux : Charles Pasqua, François Jay (ancien de Bolloré passé à l’Agence française de développement, AFD), Pierre Vimont, directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères. L’ex-chef du protocole d’État en Côte d’Ivoire de 1960 à 2001, Georges Ouégnin, y va aussi de ses conseils. Ceux-là sont les informateurs ou les intermédiaires. D’autres se chargent de la doctrine : les jeunes David Martinon, conseiller diplomatique, et Ramatoulaye Yade, secrétaire nationale d’origine sénégalaise chargée de la Francophonie.
En face, du côté de Ségolène Royal, l’organigramme de ceux qui peuvent, de près ou de loin, traiter avec l’Afrique n’est pas moins fourni. Jean-Louis Bianco, codirecteur de campagne, traite des affaires internationales. L’ancien secrétaire général de l’Élysée sous François Mitterrand connaît parfaitement le fonctionnement des cellules africaines. Dans les rangs de son parti, elle peut compter aussi sur Pierre Moscovici, secrétaire général à l’international, premier représentant du PS à l’Internationale socialiste, qui s’est chargé des analyses politiques quand la France est intervenue en Côte d’Ivoire, au Tchad ou en Centrafrique. Harlem Désir, proche des ONG et de la société civile, est en charge de la mondialisation et traite davantage des questions de coopération ou de bonne gouvernance. Tous deux sont secondés par le jeune Thomas Melonio (fonctionnaire à l’AFD), nouveau délégué national à l’Afrique à la place de Guy Labertit (qui a rendu son tablier l’an dernier mais conserve, à toutes fins utiles, un épais carnet d’adresses). Gravitent aussi autour de la candidate socialiste Bruno Rebelle, ancien de Greenpeace, Safia Otokoré, secrétaire nationale d’origine somalienne et ex-épouse du footballeur Didier Otokoré, Victorin Lurel, président de région en Guadeloupe, ou encore Gilbert Roger, maire de Bondy, spécialiste de la coopération décentralisée. Chez les députés, François Loncle et Paul Quilès (vice-président de la commission défense) s’expriment sur le Darfour et les questions militaires, Daniel Bousquet et Henri Emmanuelli étudient le budget du développement, tandis qu’au Sénat Catherine Tasca (qui s’est rendue il y a peu en Mauritanie), Charles Josselin (l’ancien ministre délégué à la Coopération de Lionel Jospin) et Michel Charrasse (spécialiste des questions de coopération) s’intéressent également à l’Afrique.

Mais Ségolène Royal, « l’Africaine », titre hérité de sa naissance à Dakar, n’a fait qu’un détour par le continent – dans son pays natal précisément. Désir, à en croire les socialistes, de marquer plus encore une rupture dans les « relations personnelles » avec les chefs d’État ? Preuve, en tout cas, de sa virginité en matière diplomatique. Un noviciat bienvenu, selon certains, pour remettre cartes sur table. En attendant une ébauche de politique africaine, qu’elle devrait présenter fin février-début mars lors d’une rencontre avec quatre plates-formes d’ONG françaises, il faudra se contenter de la ligne officielle du parti. « La France a une responsabilité vis-à-vis de l’Afrique et doit être davantage présente, même si les relations et les modalités de notre coopération doivent être rénovées », explique ainsi Harlem Désir. « Pendant ses deux mandats, Jacques Chirac, en privilégiant les amitiés personnelles, a terni l’image de notre pays, qui se trouve associé aux régimes les plus contestables du continent. Ségolène Royal a une volonté forte de transparence. La récente intervention au Tchad, par exemple, ne devrait pas relever d’un domaine réservé au chef de l’État. Notre priorité ? Le soutien au développement, à une immigration partagée et non choisie, et aux droits de l’homme. Le traitement vis-à-vis des pays qui sont exemplaires doit être privilégié sur le soutien à des régimes qui ont fermé le champ démocratique. »
L’Élysée version Royal possédera-t-il toujours la fameuse « cellule » ? « Non, ce ne sera plus le cas. L’approche sera différente de ce qu’on a observé jusqu’à maintenant. » Chez Sarkozy, en revanche, elle est prévue, et un nom circule déjà pour son futur patron.

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