Que peut l’opposition ?

Le bilan mitigé du chef de l’État sortant est devenu le principal axe de campagne de ses adversaires pour la présidentielle du 25 février.

Publié le 14 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Retraité et vivant avec toute sa famille dans le quartier Médina de Dakar, Abbas Ly n’a toujours pas choisi son candidat parmi les quinze en lice à la présidentielle du 25 février prochain. « Ce sont tous les mêmes, ils bluffent les gens et, au final, s’arrangent entre eux », explique-t-il sous l’il approbateur de ses partenaires de jeu de cartes. C’est la mi-journée. L’heure de la pause, mais aussi de la palabre. Après près de trois ans de brouille, la réconciliation surprise entre le chef de l’État Abdoulaye Wade et son ancien Premier ministre Idrissa Seck, consacrée le 1er février dernier à l’issue de quatre entretiens, suscite étonnement et sarcasmes. À quelques jours du premier tour du scrutin présidentiel, les débats font rage et le bilan du chef de l’État élu en 2000 est passé au crible. « J’ai toujours voté Wade avant qu’il ne soit au pouvoir, car je croyais en lui, mais, cette fois, j’hésite, car je suis déçu. Je me demande si je ne vais pas m’abstenir », précise Abbas, égrenant ses principaux motifs de mécontentement : chômage, hausse des prix, coupures électriques récurrentes. Sans oublier les nombreux chantiers ouverts qui n’en finissent pas d’encombrer Dakar.
Usure du pouvoir et intrigues de palais, décalage entre les paroles et les actes, le président sortant se présente devant les 5 millions d’électeurs avec un bilan mitigé. Une aubaine pour les principaux leaders de l’opposition qui ont entamé une virulente campagne anti-Wade. Objectif : faire tomber la statue. L’affaire des chantiers de Thiès et les milliards de francs CFA envolés, les accusations de corruption visant le pouvoir, l’utilisation des fonds politiques, l’omniprésence du fils Karim Wade dans les affaires de l’État ainsi que le financement des chantiers dans Dakar Tous ces sujets ont abondamment envahi les colonnes des journaux. En campagne, Ousmane Tanor Dieng, chef de file du Parti socialiste (PS), appuie là où ça fait mal : « l’éthique politique ». Si le leader socialiste prend bien soin de ne pas personnaliser les attaques, son entourage n’a aucun mal à enlever les gants. « La responsabilité du chef de l’État est réelle dans cette montée de l’affairisme. Les choses doivent être dites », affirme un proche conseiller du candidat.
Premier ministre entre 2000 et 2001, Moustapha Niasse dresse, pour sa part, un portrait sans concession de Wade. « Il n’écoute personne et décide seul. C’est un président vaporeux et virtuel. Une fois qu’il a fait une annonce, il passe à autre chose. Le mythe demeure, mais Wade va être sanctionné. Cette élection est un référendum », assure le candidat de la Coalition alternative 2007. Quant à Abdoulaye Bathily de la Ligue démocratique/Mouvement pour le travail (LD/MPT), il ne cesse de s’interroger à haute voix sur la transparence du scrutin. La commission nationale d’audit du fichier électoral réunissant les principaux partis politiques et la société civile a justement rendu public son rapport, le 6 février. Lequel ne lève pas tous les doutes. Le texte pointe, notamment, l’existence éventuelle d’électeurs « doublons ». Avant d’ajouter, « de sérieuses raisons de s’inquiéter demeurent concernant la distribution des cartes ». Fin janvier, seuls 64 % des électeurs les avaient récupérées. « C’est conforme aux scrutins précédents », estimait alors le ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom. « Si les élections sont libres et régulières, Wade sera battu », assure l’opposition, mettant déjà en cause l’impartialité dans l’organisation du scrutin.
Pas de quoi déstabiliser l’équipe de campagne à la présidence qui mise avant tout sur l’équation personnelle du maître du sopi (« changement » en wolof) et la prime au sortant. De fait, le père de l’alternance conserve un réel pouvoir de séduction et n’a rien perdu de son bagout. « Quelle aberration de voir les socialistes demander le suffrage des Sénégalais alors qu’ils devraient demander pardon au peuple », s’est emporté, le 5 février à Ziguinchor, le chef de l’État jamais à court de formules. Ni de promesses : un deuxième mandat consacré aux jeunes et aux femmes, des infrastructures en Casamance, jusqu’alors délaissée, le lancement d’un programme en faveur de la culture du sésame et même la construction d’une centrale nucléaire Wade n’entend pas s’en laisser conter ! Devenu après sept ans de règne une véritable machine disposant de gros moyens financiers, le Parti démocratique sénégalais (PDS) relaie avec un certain brio le discours et pointe à l’envi les faiblesses de l’opposition. Et, de ce point de vue, les angles d’attaque ne manquent pas.
Dans la perspective d’un second tour, le ticket Tanor-Niasse fait figure de formule crédible, même si l’alchimie ne va pas de soi. Depuis la défaite du camp socialiste en 2000, Tanor a parcouru le pays, adouci son image de technocrate autoritaire, sauvé le parti malgré les nombreuses désertions, préservé les réseaux de militants. Mais l’homme, qui reste marqué par le poids du passé, va devoir affronter la candidature dissidente de Robert Sagna, le maire de Ziguinchor. Ancien directeur de cabinet de Léopold Sédar Senghor, Premier ministre d’Abdou Diouf puis d’Abdoulaye Wade, Moustapha Niasse peut se prévaloir d’une forte expérience au sommet de l’État. Néanmoins, son parcours sinueux et son alliance avec le PDS en 2000 provoquent encore la colère dans les rangs socialistes. Ses absences répétées du pays ainsi que sa casquette d’homme d’affaires, notamment dans le domaine pétrolier, suscitent des interrogations sur ses réelles motivations. « Si je me présente, c’est par fidélité à mes idées », assure-t-il. « Niasse ne se comporte pas en homme politique. Il a perdu la plupart de ses relais, et plusieurs de ses proches l’ont abandonné », estime un observateur.
Reste Idrissa Seck, qui peut piocher dans le pactole des voix PDS. Mais c’est là un jeu incertain, tout le problème étant de capitaliser en voix un positionnement qui demeure tortueux. Claironner son retour dans la famille libérale tout en voulant récupérer les déçus de l’alternance a de quoi désarçonner le militant le plus fidèle. Pour le reste, nul ne sait ce que pèse réellement le parti Rewmi de Seck. Wade va-t-il résister à l’usure et aux coups de boutoir de son « fils spirituel » ? Idy a-t-il vraiment la volonté de battre dès à présent le « vieux » ou ne veut-il pas plutôt négocier un poste de dauphin désigné à l’issue du scrutin après avoir apporté dans la corbeille ses suffrages ? À défaut d’être fort, Abdoulaye Wade pourrait bien profiter des faiblesses et gesticulations de ses adversaires.

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