Que des gagnants, vraiment ?

En tournée dans huit pays africains, le président Hu Jintao s’est engagé à promouvoir une coopération mutuellement profitable. Sans réussir à dissiper toutes les inquiétudes.

Publié le 13 février 2007 Lecture : 4 minutes.

Jamais depuis son arrivée au pouvoir, en mars 2003, le président chinois Hu Jintao n’avait fait une aussi longue tournée à l’étranger. En douze jours, du 30 janvier au 10 février, il s’est successivement rendu au Cameroun, au Liberia, au Soudan, en Zambie, en Namibie, en Afrique du Sud, au Mozambique et aux Seychelles. C’est une confirmation : l’Afrique est bel et bien l’une de ses priorités stratégiques. Pour son troisième voyage sur le continent, le numéro un chinois n’est d’ailleurs pas venu les mains vides et a largement fait usage de son carnet de chèques. Bref, les promesses faites lors du 3e Forum de coopération sino-africain, en novembre 2006 à Pékin, commencent à se concrétiser.
À Yaoundé, reçu par le président Paul Biya, Hu Jintao a promis 100 millions de dollars de crédits et de prêts bonifiés. Plus la construction de deux écoles et d’un hôpital à Douala. À Monrovia, Ellen Johnson-Sirleaf a conclu avec lui pas moins de sept accords (santé, éducation, allègement de dette, soutiens budgétaires, etc.). À Khartoum, une aide de quelques millions a été octroyée, mais c’était presque secondaire. L’essentiel est que la Chine achète déjà près des deux tiers de la production pétrolière soudanaise. Cela crée des liens ! Les diplomates occidentaux qui espéraient que Hu Jintao consentirait à exercer d’« amicales pressions » sur les autorités soudanaises pour les amener à infléchir leur position sur la question du Darfour en ont donc été pour leurs frais. Conformément à la doctrine officielle de son pays, Hu s’est borné à rappeler la nécessité de « respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale du Soudan » et de « soutenir le dialogue sur une base égalitaire pour régler pacifiquement le conflit au Darfour ». Le président Omar el-Béchir a jugé la position « honorable ». Sans doute n’en espérait-il pas tant.
Attendu de pied ferme à Lusaka, dans un contexte de franche hostilité à l’égard des investisseurs chinois accusés d’exploiter à bas prix la main-d’uvre locale et de piller allègrement les ressources naturelles du pays, le numéro un chinois s’est montré très généreux tout en faisant profil bas. Plus de 800 millions de dollars vont être investis dans le nord du pays, où se trouve le gisement de cuivre de Chambeshi, qu’exploite depuis quatre ans une société chinoise. Mais la visite de la mine, où cinquante travailleurs ont péri dans une explosion en 2005, a été prudemment annulée.
Même situation en Afrique du Sud, où Hu Jintao a été confronté à une opinion très remontée contre son pays, qui inonde de ses produits les marchés locaux et a laminé la filière textile. En 2005, le déficit commercial sud-africain s’est élevé à 3,1 milliards de dollars. Pékin s’est dernièrement engagé à réduire ses exportations pendant deux ans. Après un entretien avec Thabo Mbeki, le visiteur a appelé de ses vux une « relation gagnant-gagnant » et un « partenariat stratégique fondé sur l’égalité ».
À l’abri de ces belles déclarations, la Chine n’est-elle pas en train de développer une nouvelle forme d’impérialisme économique ? Bien sûr, lors d’un discours à l’université de Pretoria, Hu Jintao a rejeté avec indignation les accusations de « néocolonialisme » portées contre son pays. Mais il est certain que l’appétit démesuré des entreprises chinoises pour les matières premières africaines a bouleversé le rapport des forces qui prévalait sur le continent depuis les indépendances. Les Occidentaux ont perdu leur « pré carré », avec ses contrats et ses appels d’offres taillés sur mesure. En 2004, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial de l’Afrique, après les États-Unis et la France, avec qui elle est désormais au coude à coude.
En 2006, le volume des échanges a atteint 55,5 milliards de dollars, contre 12 millions il y a quarante ans ! Et les produits dits « primaires » (pétrole, fer, bois, diamant, manganèse, cuivre, coton) représentent près de 90 % des importations chinoises. « Pékin a une conception globale de ses intérêts nationaux. Il ne faut donc pas nier le risque d’un pillage de nos ressources, mais ce sont aux Africains de fixer les règles du jeu », estime Adama Gaye, auteur d’un livre sur la question*.
Pour permettre au continent de se désenclaver et d’intégrer l’économie mondiale, il faut construire des routes, des ports, des aéroports, des installations énergétiques. Tout cela requiert, selon la Banque mondiale, un budget annuel de 20 milliards de dollars. Le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) évalue les besoins à 70 milliards par an, sur une dizaine d’années. Actuellement, le montant des dépenses d’infrastructures ne dépasse pas 3 milliards et ne représente que 7 % de l’ensemble de l’Aide publique au développement (APD). La Chine, dont les réserves en devises sont estimées à plus de 1 000 milliards de dollars, a donc largement les moyens de s’imposer comme un nouveau bailleur de fonds, de surcroît beaucoup moins regardant que les institutions de Bretton Woods. Encore faut-il construire effectivement des routes. Et non des palais gentiment offerts en contrepartie de concessions minières ou pétrolières.

* Chine-Afrique : le dragon et l’autruche (L’Harmattan, Paris).

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