Nous sommes tous des paparazzis

Vous croisez une célébrité ou bien êtes témoin d’un événement que vous photographiez sur le vif ? Le site français Scooplive propose de mettre en relation reporters amateurs et médias.

Publié le 14 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Londres, 7 juillet 2005. Dans un intervalle de cinquante secondes, trois bombes explosent dans le métro aux stations Liverpool Street, King’s Cross, Edgware Road. Une heure plus tard, c’est l’étage supérieur d’un autobus à impériale qui est pulvérisé à Tavistock Square. Bilan : 56 morts et 700 blessés. Ce jour-là, le Français Matthieu Stefani (27 ans) se trouve dans la capitale anglaise, où il travaille pour le quotidien gratuit Métro. Il est aux premières loges pour assister à la curée des médias. Comme lors du tsunami de décembre 2004, les documents amateurs s’arrachent. Les photos prises sur le vif avec des appareils numériques ou des téléphones portables font la une. Même Scotland Yard, qui travaille sur les enregistrements des caméras de surveillance, en redemande La qualité n’est pas vraiment au rendez-vous, mais qu’importe, les témoignages viennent du cur même de l’événement !
À ce moment, Matthieu Stefani songe que, désormais, rares seront les faits d’actualité dépourvus de témoins, en particulier dans les pays occidentaux où tout le monde promène dans sa poche un téléphone muni d’un objectif ou un microscopique appareil numérique. Mieux : bientôt, ces petites merveilles de l’électronique permettront de filmer de longues séquences vidéo d’une qualité tout à fait correcte !
Dans la tête du jeune Français, l’idée de tirer parti de cette évolution se fraye un chemin. Pourquoi ne pas, à l’instar d’une agence de photo, servir d’intermédiaire entre les particuliers témoins d’un événement et les médias avides d’images exclusives ? Pourquoi ne pas vendre les photos des amateurs aux professionnels de la presse ? Avec la complicité de Philippe Checinski, 29 ans, rencontré en école de commerce (Ipag), et de Julien Robert, 27 ans, informaticien sorti de Supinfo (École supérieure d’informatique de Paris), il réalise une étude de marché qui se révèle concluante. En septembre 2005, l’idée est mise en forme. En mai 2006, la société est créée. En juin, moins d’un an après les attentats de Londres, l’agence Scooplive est officiellement lancée. Des agences concurrentes existent déjà ailleurs (voir www.scoopt.com), mais si l’on en croit Philippe Checinski, « pas sous la forme actuelle choisie par Scooplive ».
Comment ça marche ? Tout se passe dans le cyberespace. Via son site Internet (www.scooplive.com), Scooplive sélectionne les photos des amateurs puis les propose aux médias. La rémunération est partagée entre le photographe (75 %) et l’agence (25 %), les jeunes créateurs de l’entreprise estimant « que le photographe doit être le mieux payé ». Vendeurs et acheteurs doivent s’inscrire – gratuitement – sur le site afin de pouvoir envoyer ou consulter les photos. Un système d’enchères de type e-bay permet de mettre en concurrence les journaux dans le cas d’un véritable « scoop ».
Après quelques mois d’existence, les résultats sont plutôt bons. Depuis juin, Scooplive a reçu de 10 à 500 photos par jour – et 150 clients (presse écrite, chaînes de télévision, sites Web) se sont inscrits. 75 % à 80 % des photos reçues ont trouvé preneur, à la grande surprise de Philippe Checinski : « On pensait qu’il y aurait beaucoup de déchets. Aujourd’hui, question qualité, la plupart des photos que nous recevons sont publiables. » Publiables, peut-être, mais comment prouver qu’elles n’ont pas été « bidouillées » par des photographes peu scrupuleux ? « Dans certains cas, il est très difficile de vérifier l’information. Quand nous avons un doute, on pousse l’investigation. Si le doute persiste, on ne propose pas la photo aux clients. En outre, nous avons mis en place le Scooplive Protection Plan qui nous donne un délai de deux mois pour pouvoir se retourner en cas de problème. Et nous nous réservons le droit de poursuivre en justice un photographe malhonnête », explique Checinski. Comme beaucoup d’agences, Scooplive a ainsi reçu la photo de l’ancien capitaine des Bleus, Zinedine Zidane, en train de fumer une cigarette. Selon les graphistes, elle était truquée : ils ne l’ont donc pas mise en vente.
Footballeurs, stars du cinéma, politiciens, célébrités jetables de la télé-réalité, voilà ce qui constitue pour l’instant le fonds de commerce de Scooplive. Le « pipole », c’est le plus facile à vendre, et qui n’a pas, une fois dans sa vie, croisé une « star » en chair et en os ? L’aspirante socialiste à la présidentielle française, Ségolène Royal, faisant ses courses au Casino de la porte d’Auteuil, l’acteur américain George Clooney en goguette au Darfour ou une « star » dont on taira le nom immortalisée à son insu sur un bateau, se vendent bien mieux qu’un accident de voiture ! « Férus d’actualité », les fondateurs de Scooplive espèrent démontrer, dans les mois à venir, qu’ils peuvent proposer davantage que des photos d’apprentis paparazzis. « Nos contributeurs ne sont pas des journalistes, et ils sont là où il n’y a pas de photographes. Même si nous attendons aussi la participation des professionnels, nous pensons proposer un regard alternatif », souligne Checinski, qui soutient que les journaux n’aiment guère les contacts directs avec les particuliers et préfèreront passer par l’intermédiaire de Scooplive.
La démarche comporte néanmoins des risques : flatter le voyeurisme, privilégier la photo sur le secours à apporter en cas d’accident, engendrer des attitudes malsaines par rapport à des événements en cours Philippe Checinski s’insurge : « Regardez les documents réalisés lors du tsunami, on n’a rien inventé ! On n’invite personne à bousculer les gens pour prendre une photo. Notre ligne de conduite, c’est human first, ne vous mettez pas en danger, aidez, ne créez pas l’événement ! »
Scooplive reste aujourd’hui une petite entreprise. Ses trois employés qui travaillent avec l’aide de deux stagiaires ont commencé dans un appartement donnant sur les toits du 16e arrondissement de Paris, avant de pouvoir s’installer dans de vrais bureaux, à Montmartre. Ils n’ont pas encore les moyens de s’octroyer un salaire. À la recherche d’investisseurs, ils peuvent tenir un an et comptent sur une prochaine levée de fonds. Une chose est sûre, leur démarche ne laisse pas indifférent. « Il y a toutes sortes de réactions, confient-ils. Certains photographes pensent que c’est bien de donner un coup de pied dans la fourmilière, quand d’autres jugent que nous dévalorisons le métier. » Pour Ingrid Gantner, photographe professionnelle, « les photos d’amateurs sont faites de tout et de n’importe quoi, elles n’apportent rien en matière de contenu. Les récupérer peut permettre à des gens de créer un minibusiness, mais ils auront rarement des scoops. C’est un petit coup qui n’ira pas très loin. »
Même son de cloche du côté de l’agence Abaca Press. Pour son directeur, Jean-Michel Psaïla, « cette banque d’images est intéressante, mais de là à venir concurrencer les professionnels ! Cela restera un petit secteur qui ne [l]’inquiète pas. » Pourquoi ? D’abord parce que, selon Ingrid Gantner, les gens qui photographient un événement exceptionnel, rare par définition, « appellent directement Paris Match ou VSD, car moins il y a d’intermédiaires, plus il y a d’argent ». Ensuite parce que paparazzi est un vrai métier qui nécessite des planques, des enquêtes, des recherches de longue haleine permettant de proposer aux magazines de véritables sagas. « On ne fait pas le même métier, explique Jean-Michel Psaïla. Scooplive est une agence qui rassemble des images d’amateurs. Nous sommes des journalistes professionnels, nous avons fait des études pour cela, nous avons une carte de presse et nous menons des enquêtes. Même dans le people, les images racontent des histoires, c’est du photojournalisme, soumis au devoir d’information et à des exigences déontologiques. » Enfin, si les professionnels de la photo s’accordent pour reconnaître l’intérêt des témoignages offerts par les amateurs en l’absence de journalistes sur les lieux d’un événement, la plupart soulignent que la « récup’ » de ce genre d’images est une pratique presque aussi vieille que l’invention de la photographie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires