Nous avons l’imam, au diable le banquier

Publié le 14 février 2007 Lecture : 2 minutes.

Le monde de la finance n’est pas réputé pour sa dévotion religieuse. « Rend à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu », conseilla Jésus à un petit malin qui voulait le mettre en difficulté. Quand on adore Mammon, symbole des richesses terrestres, on n’a pas vraiment la tête à adorer autre chose. Tout cela pour vous dire que les financiers néerlandais, qui forment un club aussi fermé que profane, ont été stupéfaits, la semaine dernière, de découvrir parmi leurs membres la tête quelque peu farouche d’un imam.

Il s’agit bien sûr d’une image puisque tout cela est virtuel, les transferts de fonds et les opérations de change se faisant par ordinateur. Personne n’est obligé d’aller s’époumoner autour d’une corbeille pour acheter ou vendre des devises. (Dommage, d’ailleurs, car voir débouler un imam en djellaba couleur puce, la barbe au vent, parmi les golden boys, ç’aurait valu son pesant de platine russe.) C’est un centre de recherche indépendant, Ecorys, qui a levé le lièvre : les Marocains des Pays-Bas sont de plus en plus nombreux à envoyer de l’argent au pays par l’intermédiaire de la mosquée la plus proche. Il s’agit pour l’instant de sommes encore modestes, pour un total annuel de 8 millions de dollars, mais ce système, qui échappe entièrement au contrôle de l’État néerlandais, est en pleine expansion. Dans quelques années, il pourrait atteindre la centaine de millions de dollars. Quand on sait que plus de 1 % du PNB du Maroc est constitué par l’argent qu’envoient ses ressortissants installés chez la reine Beatrix, on mesure l’enjeu de l’affaire.
La Banque centrale des Pays-Bas fronce métaphoriquement le sourcil. Son vice-directeur nous a déclaré que pour transférer de l’argent hors du pays, sous quelque forme que ce soit, il fallait une autorisation de la Banque centrale. Or pas une seule mosquée n’a demandé ni obtenu cette autorisation. Comment cela se passe-t-il ? Eh bien, d’une façon très simple. Bouazza de Rotterdam veut envoyer de l’argent à son frère Azzabou de Tétouan. Il donne des euros à l’imam de Rotterdam, celui-ci téléphone à un confrère imam de Tétouan, lequel donne l’équivalent en dirhams, moins sa commission, à Azzabou. L’imam tétouanais a maintenant un crédit auprès de son collègue rotterdamois, qu’il pourra utiliser à sa guise. L’ennui, du point de vue de l’État marocain, c’est que les devises sont restées en Europe et n’aident en aucune façon à payer la facture pétrolière.

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L’autre jour, j’ai rencontré l’imam d’une petite ville du sud des Pays-Bas. Il m’a dit avec un large sourire qu’il s’apprêtait à aller faire un stage de perfectionnement de trois mois en Arabie saoudite.
– Ah bon, lui ai-je dit, il y a du nouveau dans le dogme et la chari’a ?
Il m’a regardé comme si j’avais commis un blasphème.
– Mais pas du tout, je vais suivre des cours de finance et d’informatique.
Puis il est parti, l’air important, et j’ai remarqué qu’il s’engouffrait dans une voiture toute neuve. Comme je ne l’avais jamais vu jusque-là qu’en bicyclette, j’en ai déduit qu’il avait fait l’objet d’une promotion. Il est peut-être devenu archi-imam ou grand mufti. Pour la plus grande gloire de Dieu, bien sûr.

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