Méfiance, vous avez dit méfiance ?

Publié le 13 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Laurent Gbagbo ou le roi du suspense. Comme avant le sommet Afrique-France de Bamako, en décembre 2005, le président ivoirien a joué, ces derniers jours, avec les nerfs des organisateurs du sommet de Cannes. Il a d’abord annoncé – officiellement – qu’il ne viendrait pas. Le 1er février, il a précisé, par « note verbale », qu’il sera représenté par Laurent Dona Fologo, le président du Conseil économique et social. Puis il a fait passer un nouveau message : « Il faut un signe de Paris. » En clair : « Si le président français m’appelle et me dit : Laurent, qu’est-ce que j’apprends ? Il paraît que tu ne veux pas venir !, je viendrai sans doute. » Le problème, c’est qu’à Paris on se méfie beaucoup du « boulanger » ivoirien, « celui qui roule ses interlocuteurs dans la farine ». Bref, au lendemain d’un tel coup de téléphone, l’Élysée ?ne veut pas que toute la « presse bleue » – la presse pro-Gbagbo ?d’Abidjan – titre : « Chirac supplie Gbagbo de venir »
En fait, les conseillers du chef de l’État ivoirien se sont disputés jusqu’au dernier moment sur l’opportunité d’aller ou non à Cannes. Les partisans de la présence ont plaidé en substance : « Depuis la conférence de Marcoussis en janvier 2003, Chirac a tout fait pour nous faire tomber. Or il a échoué. Assister à ses adieux ne manquerait pas de panache ! » L’ami sud-africain Thabo Mbeki était de cet avis. « Attention ! ont répondu les autres. Cannes est un piège. Si on y va, on risque d’être entraînés dans des discussions avec Bongo Ondimba, Sassou et les autres. Comme au sommet de Kléber, à la fin de 2003. On devra faire des concessions. Et l’on se fera humilier. Cannes, c’est Canossa ! »
Ce débat en dit long sur l’étendue de la méfiance entre Chirac et Gbagbo. Les deux hommes ne se parlent même plus au téléphone depuis le bombardement de Bouaké, en novembre 2004, où neuf soldats français sont morts. Certes, un proche de la présidence ivoirienne affirme que, « depuis quelque temps, il y a des gestes d’apaisement de la part de la France ». Le temps des invectives est révolu. Chirac ne traite plus le pouvoir ivoirien de « système pouvant conduire à un régime de nature fasciste », comme en 2004. Et Gbagbo ne réplique plus : « Chirac a soutenu le parti unique en Côte d’Ivoire pendant quarante ans. Qu’est-ce qui est plus proche du parti unique que le fascisme ? » Plus récemment, le 12 janvier, la ministre française déléguée à la Coopération a même été reçue par Gbagbo. Une première pour Brigitte Girardin, qui en était à sa treizième visite à Abidjan ! Mais quand le président ivoirien lui a lancé : « Je veux que les expatriés français reviennent en Côte d’Ivoire », elle lui a répondu : « Oui, mais à condition qu’ils soient en sécurité et que cessent dans votre entourage les propos injurieux et calomnieux contre la France »
Le cur du problème reste la légitimité du régime Gbagbo. Chirac la conteste ouvertement. Insupportable pour le chef de l’État ivoirien. Dans ce duel où chacun essaie de convaincre un maximum de partenaires, Gbagbo a marqué un point en octobre 2006. Quand la France a essayé de l’enfermer dans une résolution de l’ONU qui ressemblait fort à une camisole de force, il a obtenu le soutien inattendu des États-Unis. Question de principe : pour George W. Bush, il n’était pas question de faire prévaloir une résolution de l’ONU sur une Constitution nationale. Question d’opportunité aussi : les Américains n’étaient pas mécontents de remettre les Français à leur place. Aujourd’hui, le président ivoirien attend patiemment le départ de Chirac. Et sans le dire tout haut, il espère, bien sûr, le retour de ses amis socialistes à l’Élysée.
Cela dit, Laurent Gbagbo est trop fin connaisseur de la politique française pour ignorer que de nombreux socialistes français partagent l’aversion de la droite pour son régime. « Gbagbo est infréquentable », a lâché le premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande en octobre 2004, sept mois après le massacre de cent vingt opposants dans les rues d’Abidjan. « Depuis le bombardement de Bouaké de novembre 2004, beaucoup de députés socialistes sont sur la même longueur d’onde que nous, confie un membre du gouvernement français. Je le constate régulièrement à l’Assemblée nationale. » Bref, une Ségolène Royal ne sera pas nécessairement plus tendre avec le régime ivoirien qu’un Nicolas Sarkozy. D’où cette nouvelle bouffée d’inquiétude à Paris : « Et si Gbagbo profitait de la période électorale en France pour faire des élections chez lui au pas de charge, avec ses listes et à ses conditions ? » La méfiance, toujours la méfiance…

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