Pékin repasse à l’offensive dans les mines

Déçus par leurs partenariats africains et en retrait depuis deux ans, les Chinois repassent à l’offensive. Désormais, ils misent sur l’uranium, le fer et le cuivre. Et sur leurs plus grands groupes.

La mine de cuivre de Kinsevere, du chinois Minmetals Group. DR

La mine de cuivre de Kinsevere, du chinois Minmetals Group. DR

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 24 mars 2014 Lecture : 6 minutes.

Depuis le début de l’année, deux opérations ont marqué la reprise des investissements miniers chinois sur le continent. Tout d’abord le rachat, le 7 février – pour 190 millions de dollars, soit environ 137 millions d’euros – de 25 % des parts de la mine namibienne d’uranium de Langer Heinrich par China National Nuclear Corporation (CNNC), premier producteur d’électricité en Chine. Et quelques jours plus tard, l’offensive de China National Gold Group Corporation pour reprendre le producteur de cuivre Ivanhoe Mines, actif au Katanga, en RD Congo. Autre signe de ce regain d’intérêt, la présence d’une imposante délégation chinoise à Mining Indaba, la principale conférence minière africaine, qui se tenait au Cap du 3 au 6 février. Jamais les émissaires de Pékin n’avaient été aussi nombreux à en arpenter les allées, en dépit des festivités du Nouvel An chinois à ces mêmes dates.

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Après un pic d’investissements qui a culminé en 2010 et 2011, la Chine avait réduit sa voilure dans les mines africaines. Cet attentisme était d’abord lié aux difficultés des premières coentreprises sino-africaines. Lancées pendant le boom minier, elles ont soit déçu, soit abouti à des échecs. L’éviction en décembre 2013 de China National Machinery & Equipment Import and Export Corporation (CMEC) du gisement gabonais de fer de Belinga – pour non-respect de l’environnement et retard dans le calendrier – en est l’exemple le plus emblématique. Autre désastre retentissant, le rachat manqué de Sundance Resources par Hanlong Mining, qui devait débourser 1 milliard de dollars pour cette opération. Propriété de Liu Han, le magnat du Sichuan (province du centre-ouest de la Chine), Hanlong avait dû annuler la transaction, notamment en raison d’un procès visant son dirigeant pour activités mafieuses.

Ratés

Ailleurs, le Niger attend toujours des nouvelles des Chinois qui ont acheté des licences dans l’uranium en 2012. Aucun d’entre eux n’a démarré la production. Quant à la Guinée, elle n’espère plus la réalisation des promesses du Chinese Investment Fund, installé à Hong Kong, qui devait lancer l’exploitation de nouvelles mines de bauxite et de fer.

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chinois-mines2 infoborder: 0px solid #000000; float: left;" />Même les rares projets sino-africains entrés en production ne brillent pas par leur succès. Les premiers résultats du britannique African Minerals, allié à Shandong Iron & Steel Corporation et à China Railway Group, sont peu engageants. « La teneur de son gisement sierra-léonais de Tonkolili, exploité depuis fin 2011, n’est que de 58 %. C’est bien plus modeste que ce que ses dirigeants avaient annoncé, surtout par rapport à des projets similaires en Australie et en Amérique du Sud. Et la ligne ferroviaire entre la mine et le port, construite par les Chinois, connaît des ratés au démarrage », observe le manager sud-africain d’un groupe minier impliqué dans un projet voisin.

Confronté à ce tableau peu reluisant, Pékin a donc fait une pause. Et remis sa stratégie à plat. « La puissante Commission nationale pour le développement et la réforme [NDRC, voir infographie ci-dessus] se montre beaucoup plus prudente qu’auparavant. Cette administration de 6 000 fonctionnaires, bras armé de l’État chinois pour tous les investissements extérieurs publics et privés, demande aux experts des études plus poussées avant de donner son quitus », note un consultant chinois, représentant de grandes banques nationales en Australie. « L’instauration en 2013 d’un nouveau régime des entreprises étatiques, responsabilisant davantage les dirigeants de groupes publics, a aussi changé la donne. Désormais, en cas d’échec, ils peuvent être mis à pied, blâmés, voire condamnés en justice, alors qu’auparavant les échecs commerciaux à l’extérieur avaient peu d’impact sur leur carrière », ajoute la même source.

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En première ligne : Baosteel, Minmetals, China Nonferrous Metals.

L’État chinois – toujours via l’incontournable NDRC – veut aussi éviter de se disperser. En Afrique, la Chine a choisi de privilégier les minerais dont elle a le plus besoin : le fer, le chrome, le cuivre, le manganèse, l’uranium et le charbon. Des filières dans lesquelles le continent est incontournable. En dehors de ces minerais, le soutien de la NDRC – et donc des banques et compagnies de BTP publiques dont elle a l’oreille – n’est pas acquis. Et surtout, Pékin entend concentrer ses ressources financières sur une poignée de futurs champions chinois, essentiellement publics.

Fini l’appui aux seconds couteaux manquant d’expérience. « Parmi les grands groupes miniers, on trouve Baosteel, premier fabricant d’acier de Chine, Sinosteel, Minmetals, China Nonferrous Metals, Jinchuan Group, China National Nuclear, et China National Gold Group Corporation », égrène Ernie Lai King, un avocat chinois qui supervise une équipe spécialisée dans l’étude des contrats sino-africains au sein du cabinet sud-africain ENS (Edward Nathan Sonnenbergs). « Ces géants qui régneront sur les mines de demain ont déjà une taille imposante, mais ce sont avant tout des sidérurgistes, des compagnies minières régionales ou spécialisées sur un seul minerai », explique-t-il. Le gouvernement souhaite les diversifier et leur faire remonter la filière pour qu’ils gèrent eux-mêmes des mines. « Ce sont eux qui bénéficient en priorité des prêts des banques publiques China Exim Bank, China Construction Bank, Bank of China et Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC), toutes les quatre implantées à Johannesburg », précise l’avocat.

De plus en plus gourmand

Pékin n’a guère d’autre choix que de revoir sa stratégie en Afrique. Il ne peut tout simplement pas se passer des minerais africains. « La Chine reste un pays en développement. Même si sa croissance se fait moins robuste [7,7 % sont prévus en 2014 tout de même], elle est encore loin des niveaux d’urbanisation et d’industrialisation de l’Occident. Aucune crainte qu’elle cesse de consommer des minerais. Sur les marchés internationaux, sa part dans les achats de métaux de base continue de croître », rappelle Jim Lennon, analyste en chef chez Macquarie. Le géant asiatique représentait 70 % de la consommation mondiale de fer en 2013, soit deux fois plus qu’en 2000. Et ses achats de zinc, d’aluminium, de cuivre et de nickel pesaient l’an dernier autour de 40 % de leur production mondiale. C’est dix fois plus qu’en 1990. Quant à ses besoins en uranium, ils sont amenés à croître de façon exponentielle puisque la Chine construit des centrales nucléaires. C.L.B.

Conflits

Pour réussir dans les mines africaines, il faut également changer la manière de conduire les opérations localement. « Les difficultés des projets sino-africains ne viennent pas d’un manque de compétences techniques, note un analyste. Un groupe comme Minmetals fait tourner des mines de cuivre depuis quarante ans. Le problème vient essentiellement d’un manque de prise en compte du contexte local. En raison de leur tradition étatique, les groupes publics ont signé des accords avec les gouvernements africains sans impliquer les communautés vivant autour de la mine, et souvent en recourant à une main-d’oeuvre presque exclusivement chinoise. Cela a entraîné de nombreux conflits sociaux, comme en Zambie en 2011. » Et d’ajouter : « Ce n’est que maintenant qu’on entend les dirigeants chinois parler de formation et de transformation locales, avec l’installation de raffineries et de fonderies sur le sol africain. Il y a cinq ans à peine, jamais ces sujets n’auraient été évoqués. »

« Les groupes chinois sont prêts à investir dans des usines sur le continent, c’est une évolution notable, mais seulement dans les pays les plus stables et, surtout, avec un approvisionnement correct en électricité. C’est pourquoi l’Afrique du Sud reste leur destination minière favorite », précise l’avocat Ernie Lai King.

Pour Pékin, il est urgent de s’affranchir des multinationales qui font du bénéfice sur son dos. Les autorités sont décidées à court-circuiter les géants du « cartel du fer » (Rio Tinto, BHP Billiton et Vale), qui représente 80 % de la production mondiale, et à se passer des services des grands négociants internationaux comme GlencoreXstrata. La route est encore longue avant que les groupes chinois ne leur fassent de l’ombre, mais la Chine est à nouveau en ordre de bataille.

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