Le vrai poids de l’Afrique

Publié le 13 février 2007 Lecture : 6 minutes.

A un avocat qui l’interpellait le 14 mai 2006, au cours de sa visite au Mali, sur l’apport de l’Afrique à la France, Nicolas Sarkozy a répondu, péremptoire : « La France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique. Les flux entre la France et l’Afrique représentent 2 % de notre économie. » Cette phrase, qui sonne comme une formule de campagne électorale, reflète-t-elle la réalité ?
En 2005, 4,65 % des importations françaises provenaient des pays africains et de l’océan Indien, soit 18 milliards d’euros, en hausse de 20 % par rapport à 2004. Les exportations vers cette zone ont atteint 20 milliards d’euros, soit 5,7 % des échanges de la France, en augmentation de 10,8 % sur la même période. « L’Afrique représente un peu plus de 5,1 % de l’ensemble de notre commerce extérieur. Cette part était seulement de 4,8 % en 2004 », lit-on dans une étude du ministère français de l’Économie et des Finances (Minefi), publiée début 2006. 5 %, c’est peu. Mais bien plus que les 2 % avancés par Sarkozy. La différence n’est pas négligeable : plusieurs centaines de millions d’euros.
Certes, depuis des années, le solde des échanges avec le continent africain se contracte en raison du renchérissement des cours des matières premières, mais il demeure structurellement excédentaire, à plus de 2,2 milliards d’euros en 2005. En comparaison, la balance avec d’autres zones nettement plus dynamiques comme l’Asie et l’Europe s’est modifiée en défaveur de Paris. Les échanges avec l’Afrique représentent plus de la moitié de ceux avec les États-Unis et sont très supérieurs à ceux avec le Moyen-Orient (voir graphique). Malgré une faiblesse apparente, la régularité des relations commerciales avec l’Afrique constitue donc un indéniable facteur de stabilité pour la France, qui est par ailleurs le premier partenaire européen de l’Afrique. En 2004, elle totalisait 26 % des exportations européennes et 17 % des importations du continent.
Sans compter que les chiffres dissimulent le poids parfois important du continent pour de nombreuses entreprises. L’Afrique est d’abord un formidable réservoir de matières brutes, lesquelles, avec les produits textiles et agricoles, forment le principal poste des importations. Pétrole angolais, nigérian ou congolais ; or malien ; gaz algérien ; uranium nigérien ; bois gabonais ; cacao ivoirien et ghanéen ; coton malien et burkinabè ; café rwandais et ougandais ; thé kényan ; vanille de Madagascar ; poissons mauritaniens.
À ces importations, qui favorisent la production industrielle française, répondent les ventes de biens d’équipement, d’automobiles, de composants électroniques, de produits aéronautiques, pharmaceutiques, militaires, ou de biens de consommation courante qui sont autant de débouchés créateurs d’emplois. Car l’Afrique est aussi une zone d’implantation et d’activités privilégiées pour de grands groupes de l’Hexagone.
Tête de proue de cette présence, l’ex-Compagnie française d’Afrique occidentale devenue CFAO, créée à Marseille en 1887 et rachetée dans les années 1990 par le groupe Pinault-Printemps-Redoute (PPR), a réalisé plus de 2 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2005, dont les trois quarts sur le continent africain où l’enseigne, leader dans la distribution automobile et pharmaceutique, est présente dans 36 pays à travers 127 filiales. L’industrie automobile n’est pas en reste. Peugeot a écoulé 128 000 véhicules neufs en 2005 (20 % de son chiffre d’affaires à l’international).
Dans le domaine énergétique, Total est un cas d’école. Fortement implantée dans les golfes du Congo et de Guinée, la compagnie pétrolière a engrangé 8 milliards d’euros en 2005 sur le sol africain, soit 6 % de son chiffre d’affaires global. S’il a cédé certaines de ses activités, notamment la branche tabac, le groupe Bolloré continue, lui aussi, d’y réaliser de bonnes performances. En moyenne 20 % de son chiffre d’affaires (1,7 milliard d’euros l’an passé). L’implantation du groupe Bouygues, qui remonte aux années 1930, permet à ses filiales de maintenir de nombreuses activités dans la construction ou la concession de service public dans les secteurs de l’eau ou de l’électricité. Le groupe Air France-KLM renforce régulièrement ses positions sur cette zone. 14 % de ses rotations se font sur le continent (Afrique du Nord exclue) pour un trafic annuel évalué en moyenne à 4,8 millions de personnes, soit 8 % à 9 % du total. Dans le secteur touristique, le groupe hôtelier Accor, cofondé par Gérard Pélisson, qui préside également le Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), compte des dizaines d’implantations pour un chiffre d’affaires avoisinant 500 millions d’euros. La liste n’est pas exhaustive. Pourraient tout aussi bien y figurer d’autres groupes du secteur agroalimentaire (Vilgrain, Castel, Dagris, Compagnie fruitière, Fromagerie Bel, Danone) ; de la finance et des assurances (Natexis, Groupe BNP Paribas, Crédit agricole-Indosuez, AXA) ; du milieu industriel (Michelin, Sanofi-Aventis) ; du secteur énergétique (Air Liquide, Technip, Vivendi) ou du transport et de la communication (Alstom, CMA-CGM, Alcatel, France Télécom). Pour ces entreprises, « la part du continent dans leur chiffre d’affaires à l’international n’excède généralement pas les 20 %. Mais ces groupes gagnent de l’argent, et parfois beaucoup. Même si le continent africain ne figure pas en tête de liste de leur stratégie à l’étranger, il n’est pas pour autant ignoré », souligne Anthony Bouthelier, président du Cian.
C’est au Maghreb que la France signe ses meilleures performances. Plus de 25 000 de ses entreprises commercent et exportent vers les pays de la zone. Le Maroc est le second partenaire africain, avec des échanges évalués à 5,6 milliards d’euros. Les 1 200 filiales implantées dans le royaume chérifien dégagent plus de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an. En outre, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) dans ce pays ont enregistré 185 % de hausse l’an dernier. La Tunisie accueille plus d’un millier de filiales qui se concentrent dans le secteur manufacturier. Les échanges bilatéraux avec la France se sont élevés à 5,34 milliards de dollars (5,25 milliards en 2004) à raison de 2,76 milliards d’exportation et 2,59 milliards d’importation. En Algérie, 180 filiales françaises opèrent, et l’ancienne puissance coloniale reste le premier fournisseur pour un montant d’IDE établi à 34 millions d’euros la même année.
Au sud du Sahara, la plupart des échanges sont structurellement favorables à la France, qui est présente dans tous les rouages de l’économie. Le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et l’Afrique du Sud sont les partenaires les plus importants. Chaque année, la France renforce ses positions au sein de la nation Arc-en-Ciel, « de loin le premier débouché au sud du Sahara », selon la Mission économique à Johannesburg, avec 2,9 milliards d’euros d’échanges en 2005 pour un excédent de 846 millions. En dépit de la crise politico-militaire surgie en décembre 1999 en Côte d’Ivoire, Paris a échangé pour 1,1 milliard d’euros avec Abidjan en 2005, et a dégagé 17 millions en sa faveur.
Si la concurrence sino-américaine s’accentue, les parts de marché françaises restent soutenues, et les retours sur investissements sont souvent plus élevés et plus rapides qu’ailleurs. Certains groupes comme CFAO ou Bolloré sont en situation d’oligopole, voire de monopole sur de nombreux segments. « Il existe des marchés africains très dynamiques générant des activités fortes, notamment dans la réduction de la fracture numérique », affirme-t-on chez Alcatel. Au-delà des débouchés et des marchés captifs, l’Afrique génère également de l’activité pour des centaines de petites et moyennes entreprises (PME-PMI) de sous-traitance, de cabinets de conseil ou de recrutement. Quant aux instituts de recherche, les chaires universitaires, les centres d’études spécialisés sur le développement comme l’Institut de recherche en développement (IRD) ou l’Institut national de recherche agronomique (INRA), ils sont autant de synergies permettant à la France de confirmer son ancrage africain.
Paris possède de nombreux atouts grâce à sa proximité historique et « privilégiée » avec l’Afrique. Alors que le Fonds monétaire international (FMI) situe la croissance moyenne du continent à 7 % au cours des prochaines années, le dynamisme du commerce avec la France devrait s’en trouver renforcé.

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