Les grandes manuvres

Le continent et les Vingt-Sept travaillent à l’élaboration d’une stratégie conjointe. Mais l’unanimisme affiché cache de profonds désaccords.

Publié le 14 février 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est avec le sourire que le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel, et le président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, ont lancé, le 5 février, les discussions pour une stratégie conjointe entre l’Union européenne (UE) et le continent. Si tout va bien, ce texte fondateur sera adopté lors du sommet UE-Afrique, qui aura lieu durant le second semestre de 2007 à Lisbonne (Portugal). L’objectif est louable : renforcer le partenariat entre les deux ensembles et défendre les intérêts de chacun. Mais derrière les belles déclarations d’intention, il est surtout question de politique commerciale sur fond de libéralisation des échanges, thème cher à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Et, pour le coup, entre le mastodonte européen et les dirigeants africains, l’unanimité affichée cache difficilement de profonds désaccords lourds de menaces. Explication et rappel des faits.
À partir de 1990, afin de mieux répondre au nouvel ordre économique international, l’Europe – des Quinze à l’époque – prône un nouveau mode de coopération avec ses partenaires du Sud. Après dix-huit mois de négociations, l’UE et les 77 États de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) signent, le 23 juin 2000, les accords de Cotonou. Objectifs : lutter contre la pauvreté et promouvoir l’intégration des pays concernés dans l’économie mondiale. Les moyens : la mise en place de préférences commerciales, avec, à la clé, des régimes dérogatoires et des exonérations douanières accordés par Bruxelles. Mais, sept ans après, la pauvreté fait toujours autant de ravages en Afrique. Le continent ne pèse que 2 % du commerce mondial, et les exportations en direction de l’Europe n’ont pas sensiblement augmenté. Les produits en provenance des pays ACP ne représentent que 3 % des importations européennes, contre 8 % en 1975. En clair, le marché du Vieux Continent est resté hermétique, et les opérateurs africains ne sont pas parvenus à rivaliser avec leurs concurrents sur la scène internationale. Les fleurs du Kenya, le cacao de Côte d’Ivoire ou encore le maraîchage sénégalais demeurent des niches qui ont bien du mal à se généraliser.
Fort de ce constat, mais aussi pour se conformer aux règles de l’OMC qui rejette les systèmes préférentiels, Bruxelles a entamé une réforme de sa politique commerciale Nord-Sud. La première étape a été la suppression progressive, à partir de 2006, des quotas accordés sur le sucre et la banane. La deuxième étape doit conduire à la conclusion, en 2007, d’Accords de partenariat économique (APE). La mise en uvre est prévue dès le 1er janvier 2008. À terme, cette nouvelle mécanique est censée conduire à l’instauration d’une zone de libre-échange entre l’UE et les pays ACP. Afin de prendre en compte les écarts de développement, ces accords doivent être « asymétriques », avec une ouverture à 100 % du marché européen et de seulement 80 % en Afrique. Pas de quoi pour autant répondre à toutes les inquiétudes exprimées dans les différentes capitales africaines.
« L’Europe a mis plus de trente ans pour construire son marché commun. Comment le bloc ACP pourrait-il le faire en quelques années et résister à la concurrence ? » s’interroge le président de l’ONG Coordination Sud, Henri Rouillé d’Orfeuil. « Il faut renforcer et protéger nos filières régionales, déclare Ndiogou Fall, président du Réseau des organisations paysannes et des producteurs d’Afrique de l’Ouest (Roppa). L’ouverture au marché mondial ne nous intéresse pas, car nous allons être laminés par l’agro-industrie européenne abondamment subventionnée. Nous voulons seulement vivre de notre métier et nourrir les nôtres. » « Si la pomme de terre fait partie des accords APE, ce sera une catastrophe pour nous », ajoute un producteur guinéen, Alpha Oumar Diallo, président de la Fédération des producteurs du Fouta-Djalon.
En ligne de mire, l’ouverture des frontières. En 2005, les importations agricoles dans la zone subsaharienne ont atteint près de 16 milliards de dollars, soit une hausse de 100 % en une dizaine d’années, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Au Sénégal, le riz consommé est à 90 % asiatique, alors que des producteurs locaux peinent à écouler leurs récoltes. En cause, le Tarif extérieur commun (TEC), relativement peu élevé – de 5 % à 20 % – sur toutes les importations dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). À titre de comparaison, le Japon applique une taxe douanière de 400 % pour protéger ses rizières ! « Comment se fait-il que la zone économique la plus fragile au monde soit la moins protégée », s’indigne Henri Rouillé d’Orfeuil.
« Nous comprenons ces préoccupations et nous avons conscience que certaines activités peuvent être menacées par les APE. Nous allons donc prendre en compte les écarts de développement et déterminer une période de transition », promet l’UE, qui se dit prête à discuter, secteur par secteur, produit par produit. De fait, si l’OMC rejette tout système préférentiel sur une base géographique, elle les autorise quand ils obéissent à des objectifs de développement. Une liste de « produits sensibles » – qui échapperaient aux règles du libre-échange – doit être finalisée d’ici à juin 2007. Les Européens se sont par ailleurs engagés à verser 2 milliards d’euros par an, contre 870 millions actuellement, pour la mise à niveau des économies du Sud. Pour l’instant, seul 1 milliard est garanti sur le budget de la Commission. Le reste doit provenir des vingt-sept États membres. Réunies à Bruxelles les 5 et 6 février, les délégations ministérielles africaines ont accepté, semble-t-il, cet agenda. « Nous allons enfin pouvoir entrer dans le vif du sujet et laisser le débat idéologique », se réjouit un collaborateur de Louis Michel. Encore faut-il que la suppression des entraves douanières soit véritablement un levier du développement et une arme contre la pauvreté.

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