Le sens d’un retour

Ancien conseiller du chef de l’État, Moncer Rouissi prend la présidence du Comité supérieur pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Publié le 14 février 2007 Lecture : 4 minutes.

Moncer Rouissi (66 ans) est l’un des hommes politiques les plus expérimentés de sa génération. Et un pur produit de la société civile, dont il fut l’une des figures de proue entre la fin des années 1960 et 1987, date à laquelle il a rejoint Zine el-Abidine Ben Ali. Amis ou adversaires politiques, il ne laisse personne indifférent. Partisan de l’ouverture politique, il se heurte vite aux barons du parti unique. Résultat : alors qu’il était le plus proche conseiller du chef de l’État, il est écarté du palais présidentiel dès 1989 et ne se verra plus confier par la suite que des ministères « techniques » : Culture, Affaires sociales, Emploi, Éducation. De 2003 à 2005, il est ambassadeur à Paris. À son retour, il entame une traversée du désert à peine adoucie par le siège de sénateur dont le gratifie Ben Ali.
Sa nomination, le 27 janvier, à la présidence du Comité supérieur pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales (CSDHLF) a donc surpris. La principale mission de cet organisme consultatif est de remettre chaque année au chef de l’État un rapport confidentiel sur la situation des droits de l’homme dans le pays. À en juger par les brefs extraits qu’en publient traditionnellement les médias officiels, on ne peut dire qu’il se soit jusqu’ici beaucoup éloigné du conformisme le plus frileux. Depuis sa création, en 1991, deux présidents se sont succédé à sa tête : Rachid Driss et Zakaria Ben Mustapha. Bien que fort respectables, ces anciens ministres depuis longtemps à la retraite manquaient peut-être un peu de dynamisme
La question est maintenant de savoir si Rouissi se contentera de leur emboîter le pas ou s’il prendra sa nouvelle tâche au sérieux. En fait, tout dépendra de la nature des missions dont Ben Ali va le charger. Jusqu’ici, rien n’a filtré. On sait seulement que les attributions du Comité viennent d’être renforcées : il est désormais habilité à recevoir les plaintes et doléances des simples citoyens, et son président à faire des visites inopinées dans des établissements pénitentiaires, des commissariats, des centres de rééducation, etc., dont il doit ensuite rendre compte au chef de l’État. Le cas échéant, ledit président peut aussi être chargé de missions d’investigation et de vérification concernant tel ou tel problème relatif aux droits de l’homme et aux libertés.
Le timing du retour de Rouissi, qui a rang de ministre (avec tous les avantages afférents), laisse à penser que la mission qui lui a été confiée est éminemment politique. Il en a tout à fait le profil, à condition bien sûr qu’il bénéficie d’une vraie liberté d’action. Ben Ali a déjà engagé le processus visant à impliquer le Comité dans un projet qui semble lui tenir à cur : sortir la vie politique tunisienne de la léthargie dans laquelle elle est plongée.
En décembre 2005, il avait chargé Ben Mustapha, le prédécesseur de Rouissi, de s’informer auprès des représentants des partis et des différentes composantes de la société civile de leurs « préoccupations et aspirations ». On était au lendemain du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), à Tunis, en marge duquel la question des droits de l’homme avait fait l’objet de vives polémiques… Ben Mustapha, qui n’était pas vraiment un politique – il fut ministre de la Culture et maire de Tunis en des temps lointains -, fit ce qu’il put, mais limita ses audiences aux seuls partis et mouvements légalement reconnus qui lui remirent, par écrit, leurs doléances. Il fit probablement son rapport, mais on n’en entendit jamais parler.
Le projet n’était toutefois pas enterré. En novembre 2006, Ben Ali a de nouveau invité les partis, les organisations nationales (travailleurs, patrons, agriculteurs, femmes) et ce qu’il appelle les « sensibilités intellectuelles » à approfondir la réflexion et à lui présenter leurs points de vue et suggestions. Surtout, il a rappelé l’existence du « Pacte national » conclu en 1988, un an après son accession au pouvoir. Ce document aujourd’hui tombé dans l’oubli continue pourtant de figurer, sur le site Internet de la présidence, parmi les textes fondateurs de la République, aux côtés de la Constitution ou de la Proclamation du 7-novembre 1987. Or c’est précisément Rouissi qui en fut la cheville ouvrière À l’issue d’un dialogue approfondi, il avait réussi à convaincre tous les partis, y compris le mouvement islamiste Ennahdha, de le ratifier. Par la suite, l’évolution de la situation régionale, marquée notamment par le déclenchement de l’insurrection islamiste dans l’Algérie voisine, l’avait rendu largement obsolète. Rouissi sera-t-il chargé de le réanimer, de mettre en place une sorte de Pacte national bis pour bien marquer les vingt ans de « benalisme » ? C’est vraisemblable, mais il faudra sans doute attendre confirmation. Une chose est sûre : il ne fera que ce que Ben Ali lui dira de faire, mais il le fera bien.
Quoi qu’il en soit, le choix de Rouissi apparaît judicieux dans la mesure où la question des droits de l’homme va devenir de plus en plus centrale dans les discussions en cours avec l’Union européenne. Ben Ali souhaitant remettre un peu d’ordre dans la maison, il lui fallait trouver l’homme capable de mener à bien l’opération afin de discuter pied à pied avec les Européens.
À court terme, le dossier de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH) constitue un vrai test de la volonté du pouvoir de mettre un terme à la crise. Reste à savoir de quelle marge de manuvre va disposer Rouissi. Dans les années 1990, et dans la foulée du Pacte national, il avait démontré son sens du compromis en réussissant à surmonter à la satisfaction générale la crise de confiance entre le pouvoir et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Depuis, la centrale syndicale dispose d’une direction autonome et la stabilité sociale est assurée. Est-il en mesure de rééditer un tel coup « gagnant-gagnant » avec, cette fois, les organisations représentatives de la société civile, LTDH comprise ? Réponse dans les prochains mois.

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