L’arroseur arrosé

Publié le 13 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Qui n’a entendu parler du Fonds monétaire international ? Les trois lettres de son sigle, FMI, font frémir, depuis plus de soixante ans que le « Fonds » existe, les ministres des Finances de tous les pays de la planète : tous, ou presque tous, vivent avec la crainte d’être obligés, un jour ou l’autre, de se mettre sous son contrôle : des pays aussi importants que la France, la Grande-Bretagne, la Russie ou l’Espagne ont connu sa férule, chacun à son tour.
Eh bien, sachez-le, ce médecin qui indiquait à nos gouvernants, avec autorité et souvent avec arrogance, ce qui leur était permis ou non de faire (en matière financière), ce médecin est lui-même aujourd’hui sérieusement malade.
Il a appelé à son chevet d’autres médecins, qui viennent de formuler leur diagnostic, rendu public ce 31 janvier.

La bonne nouvelle est qu’ils ont commencé par dire au FMI ses quatre vérités : « Vous ne vous portez bien que lorsqu’il y a, dans le monde, beaucoup de pays dont les finances sont malades. Vous leur prêtez de l’argent et vivez grassement des intérêts que vous retirez de ces prêts. Si vous n’avez presque plus de revenus et tirez la langue, c’est que, revenus à meilleure fortune, la plupart de vos grands clients – Argentine, Brésil, Russie, Indonésie, Algérie – vous ont remboursé avant terme.
Il ne vous reste que la Turquie. Et, vous le savez bien, vous assurez vos fins de mois avec les intérêts qu’elle vous verse, sans lesquels vous seriez dans la situation de ces pays si mal en point qu’ils ne peuvent payer les salaires de leurs fonctionnaires. »

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Ici, un témoignage personnel : lors d’une visite au siège du FMI, il y a bien des années, je fus reçu par le directeur général de l’époque qui me fit traverser l’immense hall conduisant à ses bureaux. Au sol, sur le marbre, un somptueux tapis de soie. Je n’en avais jamais foulé d’aussi grand ni d’aussi beau. ?Je me suis donc arrêté une seconde pour admirer.
Mon hôte me dit alors, dans un sourire :
– Ce magnifique tapis, c’est la Grande-Bretagne
– ?
– Oui, nous nous le sommes offert grâce aux intérêts que Londres a payés sur le prêt que nous lui avons fait.

Contrôlé par les États-Unis, qui disposent, avec 17 % des droits de vote, d’un « droit de veto » sur les décisions importantes (prises à la majorité de 85 %), le Fonds a toujours eu pour directeur général un Européen. Il rassemble aujourd’hui 185 pays membres, contre 45 lors de sa création, sans que le pouvoir réel, fermement tenu par les pays du G8, change de main : les 53 pays africains confondus, soit 30 % des membres, ne détiennent que 2 % environ des droits de vote, contre 32 % aux pays de l’Union européenne.
La composition du conseil d’administration du Fonds reflète la répartition du pouvoir : sur les 24 sièges, les États-Unis en occupent un, comme le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Chine, l’Arabie saoudite et la Russie. Restent donc seize fauteuils à répartir entre 177 pays. Deux seulement reviennent à l’Afrique subsaharienne alors que les vingt-sept pays de l’Union européenne (UE) en occupent dix.

Contrôlé et dirigé par les Euro-Américains, parangons autoproclamés du management éclairé, de la bonne gouvernance, de l’autodiscipline, ce « Fonds », qui dispense aux autres des leçons de rigueur, a fait preuve de laxisme.
Il s’est comporté comme la cigale de La Fontaine, a dépensé à tort et à travers et, l’hiver venu, s’est trouvé au bord de la cessation de paiements. D’où son appel à des « personnalités éminentes » extérieures à lui(1) pour lui recommander les mesures à prendre afin de sortir à son tour de la crise qui le frappe.
Il n’est que trop tentant d’ironiser sur cet arroseur arrosé

Les relations du FMI avec les pays qui ont le malheur de tomber sous sa coupe se résument à une longue suite de diktats humiliants qui se retrouvent dans la presse et, de temps à autre, provoquent la révolte des gouvernements mal traités par des fonctionnaires du Fonds, imbus de leur science, pénétrés de la toute-puissance de leur institution.
En 2004 et 2005, à l’issue de négociations tumultueuses faites de ruptures suivies de reprises, l’Argentine et le Brésil en sont finalement arrivés à des remboursements anticipés : « Le Brésil décide de vivre sans l’aide du FMI », titrent, en mars 2004, les grands journaux économiques du monde. « Nous allons faire la démonstration que nous pouvons suivre notre propre orientation », déclare le même jour le président Lula da Silva.
Auparavant, le FMI avait eu des démêlés avec l’Indonésie, la Malaisie, la Turquie, l’Éthiopie. Et je ne cite que pour mémoire le Zimbabwe, sanctionné sans merci, les pays d’Afrique centrale, sous étroite surveillance, et, aujourd’hui même, le président nouvellement élu de l’Équateur, qui déclare refuser la tutelle (offerte) du FMI.

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L’institution n’a pas toujours tort de se montrer sévère, mais son attitude vis-à-vis d’un pays ou d’un groupe de pays est souvent plus idéologique que financière. Et il arrive que les recommandations qu’elle édicte tiennent davantage compte du pouvoir en place à Washington que de la situation politico-financière du pays concerné.
Quoi qu’il en soit, le fait que le FMI soit lui-même en crise, se cherche un rôle, est positif : peut-être se montrera-t-il à l’avenir plus modeste et ses maîtres plus enclins à partager le pouvoir qu’ils exercent.

Ses dirigeants ont péché par laxisme et manque de prévoyance, tout comme ceux des pays dont ils critiquent la gestion. L’affirment, dans leur rapport du 31 janvier 2007, sous une forme diplomatique, les « personnalités éminentes » appelées par le FMI à son chevet : « Le FMI vit au-?dessus de ses moyens, comme les pays dont il stigmatise la gestion : il dépense plus qu’il ne gagne.
Il lui faut donc sous peine de « déconfiture » – baisser ses charges, licencier du personnel(2), diminuer ses frais et ainsi économiser 100 millions de dollars par an.
Il doit trouver d’autres sources de revenus que les intérêts qu’il perçoit des pays auxquels il prête de l’argent.
Et, enfin, pour se « donner de l’air », il lui faut envisager de vendre des « bijoux de famille » : 403 tonnes d’or sur les 3 217 tonnes qu’il a accumulées.

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J’ai éprouvé le besoin de vous relater cette triste affaire pour vous montrer où en sont ceux qui se sont arrogé la fonction de nous enseigner la bonne gestion des finances de nos pays.
Pourquoi le FMI, qui regorge d’économistes rodés à l’analyse des situations de déséquilibre, et dont beaucoup sont inemployés, a-t-il éprouvé le besoin – et assumé la charge – d’en faire venir de l’extérieur pour lui dire comment gérer la sienne ?
Sans doute par souci de se mettre sous le parapluie « des personnalités éminentes » auxquelles il a fait appel. Mais également par cet esprit de routine et d’inconscience, par cette propension à dépenser facilement l’argent des autres qui ont conduit ses dirigeants à être surpris par « le trou d’air » dont ils ne sont pas près de sortir.

1. Voir liste page 14.
2. Le nombre de ses hauts fonctionnaires et économistes a augmenté de 30 % entre 1997 et 2005. Ses frais de fonctionnement ont plus que doublé.

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