La dérive des années 2000

Exode des joueurs, clubs sinistrés, fréquentation en chute libre, dirigeants motivés par les gains à court terme où s’arrêtera la descente aux enfers ?

Publié le 14 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Des footballeurs au zénith et un football sinistré : telle est, résumée à l’extrême, la situation paradoxale du football africain d’aujourd’hui. Comme l’attestent les récents transferts des anciens lyonnais Michael Essien (Ghana) à Chelsea et Mahamadou Diarra (Mali) au Real Madrid, la cote des joueurs du continent ne cesse de grimper (voir encadré ci-dessous). Mais jamais sans doute le « sport roi » ne s’est aussi mal porté en Afrique. Les championnats nationaux ne font plus recette. Le niveau est en chute libre et les infrastructures sont des plus vétustes. Les spectateurs désertent, les sponsors attendent, les télévisions snobent, et le peu d’argent qui circule finit, le plus souvent, dans les poches d’intermédiaires véreux ou de dirigeants peu scrupuleux.
Cette inexorable descente aux enfers, entamée à la fin des années 1980, n’a pu être enrayée par la création, en 1997, d’une Ligue des Champions africaine et d’une Coupe de la CAF. Destinées à revitaliser le football de club, ces épreuves, richement dotées se sont rapidement transformées en chasse gardée des clubs professionnels d’Afrique du Nord. À l’exception de deux formations ghanéennes, des Nigérians d’Enyimba, et des Ivoiriens de l’Asec d’Abidjan, l’essentiel des victoires a été trusté par les Égyptiens d’Al-Ahly et d’Ismaïlia, les Tunisiens de l’Espérance et de l’Étoile du Sahel, et les Marocains du Raja Casablanca. À la fracture classique entre l’Europe et l’Afrique s’en est ajoutée une autre, qui traverse désormais le continent en épousant le tracé du Sahara. Un fossé sépare désormais les formations maghrébines bénéficiant de conditions presque similaires à celles des clubs de milieu de tableau européens, et les équipes subsahariennes aux structures plus proches de l’amateurisme.
La priorité accordée aujourd’hui par les différentes fédérations du continent à leurs équipes nationales explique en partie ce décrochage inquiétant. Un bref retour en arrière s’impose. Au lendemain des indépendances, les États africains ont eu à cur de promouvoir et d’organiser le football, perçu comme un puissant moyen d’exalter le sentiment d’appartenance nationale. L’exode vers l’Europe des joueurs susceptibles d’être appelés en sélection était freiné plutôt qu’encouragé, car rien n’obligeait alors les clubs employeurs à libérer leurs internationaux. Les choses ont commencé à évoluer lorsque la Fifa a décidé, en 1991, de les obliger à laisser leurs joueurs étrangers rejoindre leurs sélections, s’ils étaient appelés. La présence d’expatriés aguerris en Europe est alors devenue un atout pour les sélections africaines. L’exode pouvait débuter, mais n’a concerné, au départ, que les meilleurs : la limitation légale du nombre d’étrangers par club – généralement trois dans les grands championnats européens -, a longtemps contribué à freiner les mouvements.
La plus grande visibilité des sélections africaines en Coupe du monde amène les recruteurs à s’intéresser au formidable réservoir de talents que constitue l’Afrique. Les difficultés économiques feront le reste : le continent traverse une crise d’ajustement structurel. L’Europe puis, par ordre décroissant, les pays du Golfe et le Maghreb deviennent des « terres promises ». Encouragés par leurs familles, de plus en plus de jeunes grandissent avec l’espoir de partir jouer à l’étranger – et d’y faire fortune. Mais pour un George Weah, combien de talents gâchés et de carrières sacrifiées par une expatriation trop précoce ? Le joueur africain devient une marchandise. Les clubs formateurs ne profitent que très marginalement des retombées de ce business, qui fait surtout le bonheur des agents.
L’exode a pour conséquence l’appauvrissement considérable du niveau des championnats africains, privés de leurs meilleurs éléments. Et l’augmentation tout aussi considérable de la part des « mercenaires » évoluant à l’étranger dans la composition des équipes nationales qualifiées pour la Coupe d’Afrique des nations, disputée tous les deux ans, et, surtout, pour la Coupe du monde, jouée tous les quatre ans. Aucun des vingt-trois Ivoiriens ayant participé au Mondial allemand l’an dernier ne jouait, à l’époque, en Côte d’Ivoire…
Ce phénomène « d’extraversion » a été amplifié par une décision récente de la Fifa, autorisant des binationaux ayant représenté l’un de leurs pays en sélection de jeunes à porter le maillot de l’autre en seniors. Bon nombre de professionnels africains qui, à l’instar du Franco-Malien Frédéric Kanouté, avaient évolué avec les Bleus en « espoirs » ont ainsi opté pour la sélection nationale du pays d’origine de leurs parents. Cette possibilité nouvelle de sélectionner des joueurs issus de la diaspora a permis à certaines équipes nationales ne comptant pas parmi les puissances traditionnelles du football africain de se renforcer significativement… Et de masquer les lacunes de leurs championnats et de leurs systèmes de formation, notoirement déficients. Aujourd’hui, la majorité des stars africaines du ballon rond ont été formées en Europe, par des clubs européens.
L’importance croissante prise par les joutes internationales a amené les pouvoirs sportifs africains à se concentrer sur les sélections. Une attention soutenue qui se traduit en termes de moyens et de facilités matérielles : organisation de stages à l’étranger, en Europe essentiellement, recrutement d’entraîneurs étrangers – les fameux « sorciers blancs » -, sans parler des primes de match, qui ont fait couler tant d’encre du côté de Lomé l’an dernier. À court terme, s’appuyer sur les expatriés formés en Europe et salariés par les clubs européens est un calcul qui peut s’avérer payant. L’argent, qui fait tant défaut aux clubs, afflue dès que l’équipe nationale commence à aligner quelques résultats et à enchaîner les participations dans les compétitions internationales, grâce à la générosité de la Fifa et des sponsors. L’enveloppe profite à la CAF, organisatrice d’un spectacle produit par des artistes qui ne lui appartiennent plus. Mais aussi aux fédérations nationales. Cependant, l’utilisation faite de la manne est rarement judicieuse. Tout se passe comme si les politiques visant au développement local du football avaient été abandonnées.
Cette situation, extrêmement malsaine, est dangereuse à plus d’un titre. En théorie comme en pratique, le football se nourrit, d’abord, de ses propres forces : celles qu’il puise dans son championnat. On l’a vu, ce n’est plus le cas. Facteur aggravant : les dirigeants, même ceux qui sont honnêtes, sont obsédés par le court terme : il faut gagner à tout prix. Exit la glorieuse incertitude du sport, exit la construction sur le long terme. Un entraîneur qui n’a pas de résultats immédiats est limogé. Tout est à refaire, alors que la stabilité est la condition essentielle de la réussite.
Il y a lieu dès lors de parler de gâchis. L’Afrique a perdu son statut de puissance footballistique émergente. En Coupe du monde, aucune équipe africaine n’a été capable de dépasser les quarts de finale jusqu’à présent. En ira-t-il autrement en 2010, à l’occasion du premier Mondial jamais organisé sur le sol africain ? Il est permis d’en douter. Même si la Côte d’Ivoire recèle encore de belles promesses, un éléphant ne fait pas le printemps

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