Gizenga à pied d’uvre

Pléthorique pour les uns, hétéroclite pour les autres, le gouvernement dit de large coalition offrira-t-il une marge de manuvre suffisante au Premier ministre ?

Publié le 14 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Le rideau est enfin tombé le 5 février : après plus d’un mois d’attente, Antoine Gizenga a rendu publique la composition de son équipe. Un délai somme toute raisonnable pour un pays qui tente de se relever après des décennies de dictature et des années de guerre. Un pays à l’échelle d’un continent : 2 000 km séparent Kinshasa, la capitale, de Goma, dans le Nord-Kivu, ou de Lubumbashi, chef-lieu du Katanga. Pour former le gouvernement, il fallait tenir compte des équilibres régionaux, ethniques, tribaux, afin de ne heurter aucune susceptibilité. Du pedigree des uns et des autres, de leur moralité, aussi. Sans parler des blocages et des différentes pressions exercées discrètement par certains chefs d’État de la région, désireux de caser tel ou tel de leurs protégés congolais.
Le Premier ministre, chef du Parti lumumbiste unifié (Palu), devait également éviter de prendre le risque de publier la liste de son équipe avant les élections des sénateurs et des gouverneurs de province organisées en janvier. Il fallait couper court à toute velléité de transhumance de la part des perdants. Un véritable exercice de funambule. À l’arrivée, un gouvernement de 60 membres : 6 ministres d’État, 34 ministres, 20 vice-ministres. Rien de scandaleux au regard de la taille du pays, des défis à relever, des appétits à satisfaire. En toute logique, l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP) y domine largement. Sans surprise, le Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD), de Joseph Kabila, truste à lui seul 18 maroquins. Le Palu a pour sa part 6 représentants. Seulement neuf femmes font partie de l’équipe, preuve que la parité n’est pas encore une priorité. Pour certains critiques, l’équilibre régional ne serait pas non plus scrupuleusement respecté. On reproche au gouvernement de n’avoir pas tenu compte des réalités ethniques des provinces et d’avoir favorisé des groupes « minoritaires » au détriment des « majoritaires ». Ainsi, les « grandes ethnies » du Kasaï (centre) ne sont pas représentées au sein de l’exécutif. Les deux tiers des ministres seraient originaires du Katanga (sud-est), du Kivu et du Maniema (est).
À une exception près, les membres de ce gouvernement dit de large coalition ne semblent pas avoir une expérience de commis de l’État. Sur les 60 ministres, la moitié sont des novices qui devront apprendre le métier sur le terrain. Parmi les nouveaux venus : Joseph-François Nzanga Mobutu, fils de l’ancien président Mobutu Sese Seko et chef de file de l’Union des démocrates mobutistes (Udemo). Ministre d’État chargé de l’Agriculture, il est, hiérarchiquement, le numéro deux du gouvernement. Avec une carrière politique toute récente, il doit son ascension autant aux 4,77 % de bulletins recueillis au premier tour de l’élection présidentielle – soit quelque 800 000 voix – qu’au fait de servir de contrepoids présidentiel dans la province de l’Équateur (nord-ouest), considérée comme un fief de Jean-Pierre Bemba.
Autre promu, Antipas Mbusa Nyamwisi, nommé ministre d’État chargé des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Originaire du Kivu, ce diplômé en sciences politiques de l’université de Kisangani est un ancien chef de guerre. Il dirigeait une des factions du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), installée dans la province Orientale. Candidat à la présidentielle en 2006, il avait préféré s’effacer pour soutenir Kabila. Il aurait contribué au succès de ce dernier dans le Kivu et dans une partie de la province Orientale.
Pierre Lumbi Okongo, le ministre d’État chargé des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction, est, lui, issu de la société civile. Ancien de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi wa Mulumba, il est à la tête du Mouvement social pour le renouveau (MSR). Il a été ministre des Affaires étrangères de l’éphémère gouvernement de transition dirigé par Tshisekedi d’août à décembre 1992. Son expérience peut servir.
Le maintien du général Denis Kalume Numbi, un proche collaborateur de Joseph Kabila, au ministère de l’Intérieur, de la Décentralisation et de la Sécurité est une concession importante du Premier ministre. Kalume a été en effet épinglé dans un rapport de l’ONU pour des malversations supposées dans le secteur minier. Selon un observateur, on lui aurait appliqué le « critère d’efficacité » – une efficacité par ailleurs contestée – pour avoir « bien géré » les différentes crises postélectorales.
L’entrée au gouvernement d’Olivier Kamitatu Etsu, ancien président de l’Assemblée nationale de la transition et ex-bras droit de Bemba, était très attendue. Lors de son ralliement spectaculaire à Kabila, on lui avait promis, dit-on dans son entourage, le poste de Premier ministre. Mais l’irruption inattendue sur la scène de Gizenga et les mauvais résultats enregistrés au premier tour de la présidentielle par Kabila dans le Bandundu, province d’origine de Kamitatu, ont changé la donne. Certaines indiscrétions font état de « l’hostilité du leader du Palu à l’égard de Kamitatu pour gestion chaotique de l’Assemblée nationale ». À moins qu’il ne s’agisse d’une dent gardée par Gizenga contre Cléophas Kamitatu Masamba, le père d’Olivier, son vieux compagnon de l’époque du Parti solidaire africain (PSA), qui n’avait pas rompu avec le système malgré une courte brouille avec Mobutu. Attendu aux Affaires étrangères ou aux Finances, Kamitatu Etsu aurait reçu de ses parrains la consigne de se battre plutôt pour le ministère du Plan et de la Reconstruction, plus juteux. La poire sera coupée en deux : il a le Plan sans la Reconstruction. Belle consolation : « Le ministère du Plan est important, note un analyste. Il va coordonner toutes les ressources extérieures du pays. »
La répartition des principaux ministères entre l’AMP et le Palu est riche d’enseignements. Le camp présidentiel garde notamment l’Intérieur, la Défense, les Affaires étrangères, le Plan, la Reconstruction, l’Économie et les Finances. Le Palu hérite de la Justice, du Budget, de l’Enseignement supérieur, des Mines, un poste de ministre à la primature et de vice-ministre aux Transports. En contrôlant la Justice, le Budget, les Mines, Gizenga a réussi à obtenir ce qui constitue à ses yeux l’essentiel. Il affiche ainsi sa volonté d’assainir la gestion des deniers publics, de mettre fin à la corruption et à l’impunité, de dénoncer – si on lui en laisse la possibilité – les contrats léonins signés dans le secteur minier, jusque-là vache à lait du pouvoir. Vaste programme pour ce Premier ministre qui passe auprès de nombre de ses compatriotes pour « un homme constant dans ses choix, mais qui doit s’adapter à la gestion moderne ». Allusion évidente à l’âge du capitaine, que d’aucuns n’hésitent pas à considérer, malgré tout, comme un homme du passé.

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