Gabon : Bob Marley, le reggaeman et la fille d’Omar Bongo

Dans « Bob Marley et la fille du dictateur », la journaliste française Anne-Sophie Jahn revient sur l’histoire d’amour passionnée entre la star du reggae et la fille du président gabonais, Pascaline Bongo. Une rencontre qui a permis au chanteur de renouer avec ses lointaines racines africaines.

Bob Marley et Pascaline Bongo, dans les années 1980. © DR

Bob Marley et Pascaline Bongo, dans les années 1980. © DR

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Publié le 7 avril 2021 Lecture : 6 minutes.

Bob Marley lors d’un concert à Paris, le 4 juillet 1980. © Langevin/AP/SIPA
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Bob Marley, indétrônable icône du reggae

Le 11 mai 1981, à Miami, un cancer mal soigné emportait Bob Marley, à l’âge de 36 ans. Quarante années plus tard, alors que les étoiles de la musique ont tendance à disparaître aussi vite qu’apparues, l’icône du reggae demeure une référence dont on écoute les tubes avec nostalgie – même si les chanteurs se revendiquant de son héritage se font de plus en plus rares.

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L’anecdote a déjà été racontée, par Pascaline Bongo elle-même, dans un documentaire sorti au cinéma en 2012. Lors de la première rencontre entre la fille du président gabonais Omar Bongo, étudiante aux États-Unis alors âgée de 23 ans, et la superstar planétaire Bob Marley, le reggaeman tout occupé à tirer sur un énorme joint n’avait lâché qu’une phrase : « Tu es vilaine. »

Une allusion aux cheveux lissés de la jeune femme, considérés par Bob comme un outrage inacceptable à son africanité. Malgré ces débuts embarrassants, le couple a vécu une histoire d’amour passionnée seulement interrompue par la mort de l’idole, le 11 mai 1981. Passionnée mais presque impossible, admet Pascaline Bongo elle-même dans le livre qu’une journaliste française, Anne-Sophie Jahn, publie le 7 avril.

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Du fait de la personnalité des deux amants, de leur milieu d’origine aussi, la liaison n’a jamais été totalement officialisée. « Pas cachée mais pas publique », témoigne le guitariste jamaïcain Junior Marvin qui accompagnait Marley au sein des Wailers.

Cette romance et les obstacles auxquels elle s’est heurtée en dit beaucoup sur les mentalités d’une partie de l’Afrique fraîchement décolonisée, sur les réalités du Gabon de l’époque, et surtout sur la relation que les populations noires de Jamaïque, des Caraïbes et peut-être même d’Amérique entretenaient avec un continent idéalisé, fantasmé mais généralement très mal connu.

Entre fascination et malentendus

C’est sur cette relation, mêlant fascination et malentendus, que s’est construite l’histoire d’amour entre Bob et Pascaline. Malgré leur premier échange abrupt, la fille du président gabonais venue assister au concert des Wailers à Los Angeles propose au groupe de finir la soirée dans la luxueuse villa qu’elle occupe, avec sa sœur Albertine, à Beverly Hills. La soirée reste sage, ni flirt ni excès, mais la jeune femme fait au chanteur une proposition qui va tout déclencher : que dirait-il de venir se produire à Libreville, début 1980 ?

Bob et les Wailers sont extatiques. Voilà des années qu’ils chantent le panafricanisme, crient leur amour au continent de leurs ancêtres, appellent à l’unité – la pochette de leur album paru en octobre 1979, Survival, est un patchwork des drapeaux du continent – mais paradoxalement, aucun de ces Jamaïquains venus des quartiers misérables de Kingston n’y a jamais mis les pieds.

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Le voyage au Gabon – qui sera suivi d’un autre au Zimbabwe, pour fêter l’indépendance toute neuve de ce qui est resté jusqu’en 1980 la Rhodésie – est au cœur du livre d’Anne-Sophie Jahn, dont le titre – Bob Marley et la fille du dictateur – annonce clairement la couleur. Ce séjour, en effet, est placé sous le signe du malentendu. Invités à jouer au Gabon, les Wailers ne se sont pas posés de questions. Quand ils apprennent que la date choisie est celle de l’anniversaire d’Omar Bongo – dont ils ne savent pas bien s’il est « roi » ou président, d’ailleurs ils s’en moquent – ils ne s’en posent pas plus. L’accueil est royal, leurs hôtes aux petits soins.

Découverte d’un pays tristement inégalitaire

Surpris, les reggaemen découvrent une capitale plutôt moderne, grâce à l’argent du pétrole qui, depuis quelques années, coule à flots. Le président Bongo, qui n’est guère amateur de reggae, ne voit pas l’intérêt d’accorder audience à ces rastas dépenaillés et fumeurs de ganja. Poser avec ces types aux tignasses crasseuses et pour qui le summum de l’élégance semble être de porter des vestes de survêtement ? Il passe son tour, merci. Mais Pascaline est, et restera, sa fille préférée. Il envoie donc à ses invités son fils et successeur désigné, Ali.

Nous ne savions pas qu’Omar Bongo était un dictateur

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Au fil des jours, les Wailers découvrent aussi un pays tristement inégalitaire où une partie de la population vit dans une pauvreté extrême. Ils apprennent que le président vient d’être réélu avec 99,96 % des voix. « Nous ne savions pas qu’Omar Bongo était un dictateur, regrette Junior Marvin avec amertume. Nous étions innocents, tellement contents d’être invités en Afrique. » Judy Mowatt, choriste du groupe, enfonce le clou : « Ils n’étaient pas colonisés mais ils n’étaient pas libres. Le Gabon était un pays néocolonial dirigé par un homme noir. »

Dans le livre, Pascaline Bongo elle-même explique comment, de son point de vue, le « révolutionnaire » Bob Marley, que la CIA considérait à l’époque comme un personnage « subversif » à garder à l’oeil, a pu résoudre ce dilemme. « Quand on s’est rencontrés, raconte-t-elle, il m’a appris que mon père avait été le seul à proposer qu’Haïlé Sélassié s’installe au Gabon après qu’il a été détrôné. Et ça, pour les rastas… c’était un acte fort qui méritait leur respect et leur admiration. »

Très amoureux de sa « princesse africaine »

C’est à Libreville que l’histoire d’amour débute. Dès lors, Pascaline gravite en permanence dans l’entourage de Bob, multipliant les trajets en jet privé entre Libreville, Los Angeles où elle poursuit ses études et Kingston. Le chanteur, s’il n’est guère démonstratif en public, semble très amoureux de sa « princesse africaine » avec qui il rêve de faire un enfant. Un de plus, est-on tenté de préciser : le roi du reggae, mort à 36 ans, a reconnu 11 rejetons de 7 mères différentes et environ 25 autres affirment être de son sang. Rien de choquant pour un rasta et si Pascaline rechigne, elle n’a d’autre choix que d’en prendre son parti.

Pascaline Bongo prend la pilule en cachette : les rastas refusent la contraception, sans même parler de l’avortement

Depuis 1966, Bob est marié avec Rita, qui joue périodiquement les choristes pour les Wailers, et multiplie les aventures plus ou moins durables. À la même période, il vit une grande passion avec Cindy Breakspeare, couronnée Miss Monde en 1976 et qui en 1978 lui a donné un fils, le chanteur Damian Marley. Pascaline Bongo, elle, prend la pilule en cachette – les rastas refusent la contraception, sans même parler de l’avortement – et a bien conscience du caractère impossible de leur relation.

« Bob me disait : ton père ne te laissera jamais te marier avec moi, et moi je me disais aucune chance avec toutes ces femmes dans sa vie… Il était rasta et sa philosophie c’était de tout partager. Et puis ce n’était pas de sa faute si les filles lui sautaient dessus, elles savaient toutes qu’il était marié… mais c’était une superstar. »

La journaliste Anne-Sophie Jahn relate l'histoire d'amour entre la fille du président gabonais Omar Bongo, étudiante âgée de 23 ans, et la superstar planétaire Bob Marley. © éditions grasset

La journaliste Anne-Sophie Jahn relate l'histoire d'amour entre la fille du président gabonais Omar Bongo, étudiante âgée de 23 ans, et la superstar planétaire Bob Marley. © éditions grasset

La jeune femme cesse de lisser ses cheveux et adopte les tresses – « pas des vraies locks, son père ne l’aurait jamais laisse faire… », précise le fils de son premier mari, Didier Ping – , prenant ce qu’il y a à prendre. Jusqu’à ce triste jour de décembre 1980 où les médecins new-yorkais confirment ce que le chanteur et son entourage n’avaient pas voulu entendre : le mélanome détecté en 1977 mais mal soigné s’est mué en cancer généralisé, Bob n’a plus que trois semaines à vivre.

Elle restera jusqu’au bout proche de Cedella, la mère de Bob décédée en 2008

Il tiendra six mois, claquemuré dans une clinique de Bavière où un médecin allemand tente un traitement de la dernière chance. Pascaline fait le trajet tous les week-ends, et se rend compte qu’elle aurait dû accepter de porter son enfant. La star s’éteint le 11 mai à Miami, où on l’a fait transférer. Les obsèques ont lieu à Kingston, bien sûr la jeune femme y assiste. Elle restera jusqu’au bout proche de Cedella, la mère de Bob décédée en 2008.

Étudiante à l’ENA, puis ministre de son père et directrice de cabinet de son frère avant de renoncer à la vie politique, elle reste attachée à son ancien amour et à sa musique. Le premier enfant née de son mariage avec Jean Ping, une fille, est prénommée Nesta. Comme Bob, dont le nom officiel était Robert Nesta Marley. Pascaline, qui après les Wailers a réussi à faire jouer Michael Jackson et Jay Z à Libreville, est aussi la marraine du festival Abi Reggae, organisé chaque année depuis 2015 à Abidjan.

Bob aura été le premier grand amour de Pascaline. On aimerait conclure en écrivant que Pascaline fut le dernier grand amour du chanteur, mais la vie sentimentale de Bob est bien trop compliquée pour cela. Aimer une « princesse africaine » lui a certainement permis de mieux comprendre un continent qu’il avait longtemps chanté sans le connaître.

Sur la pochette de son tout dernier album, Uprising, sorti un mois après sa mort, un rasta à la crinière de lion lève les bras en signe de victoire tandis que la dernière chanson du disque, Redemption song, reprend des extraits de discours du leader rasta panafricaniste Marcus Garvey et appelle à « l’émancipation ». Il n’est pas interdit d’y lire un discret hommage à une « princesse » nommée Bongo.

Bob Marley et la fille du dictateur, d’Anne-Sophie Jahn, éd. Grasset, 224 pages, 20 euros.

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