Tunisie : quand Youssef Chahed tente un come-back
Quelque peu disparu des radars depuis fin 2019, l’ex-chef du gouvernement Youssef Chahed a réémergé ces derniers mois dans les médias et sur les réseaux sociaux, où s’est récemment invitée la polémique autour du « jeudi noir » de juin 2019.
Agro-économiste de formation, ex-secrétaire d’État chargé de la pêche (2015-2016) et ex-ministre des Affaires locales (2016), Youssef Chahed a tenu trois ans et demi à la tête de la Kasbah (d’août 2016 à février 2020), un record de longévité après la révolution. Depuis son échec à l’élection présidentielle de 2019 (il avait rassemblé 7,38 % des voix), l’ex-chef du gouvernement tunisien se consacre essentiellement à la présidence de son parti, Tahya Tounes. Il balaie d’un revers de main les polémiques dont l’entourent ses détracteurs, dénonçant des diffamations et promettant de recourir à la justice.
- Aux commandes de Tahya Tounes
Youssef Chahed préside toujours Tahya Tounes, le parti fondé sous ses auspices en janvier 2019. Il participe à ce titre aux réunions hebdomadaires de son bureau exécutif et à celles, mensuelles, du bureau élargi. Il compte depuis peu un nouveau secrétaire général en la personne de Sonia Ben Cheikh, venue remplacer son allié de toujours, Selim Azzabi. Chahed assure ne pas être en conflit avec ce dernier, qui aurait simplement pris du recul. Après la refonte de ses structures nationales, le parti doit encore s’atteler à renouveler ses structures locales et à regagner des adhérents.
À l’origine de sa création, le bloc parlementaire Coalition nationale, fondé au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en août 2018 pour siphonner les sièges de Nidaa Tounes, comptait plus de 45 députés à son apogée. Ils ne sont plus aujourd’hui que dix, rassemblés désormais sous l’étiquette Tahya Tounes, et tentent de se coordonner sur certains votes et propositions avec d’autres blocs comme El Islah ou le Bloc national.
- Retour sur le devant de la scène
Expérimenté tout en conservant les avantages de la jeunesse, Youssef Chahed, 45 ans, a de quoi prétendre à un avenir politique mais reste discret sur ses ambitions. Après avoir évité les projecteurs plusieurs mois, il a repris la parole publiquement à l’occasion du dixième anniversaire de la révolution et relancé ses communications sur Twitter et Facebook, où il apparaît en vidéo avec une stature d’homme d’État, en costume et cravate sur fond de drapeau tunisien.
Il présentait ainsi début janvier une feuille de route de sortie de la crise politique
Il présentait ainsi début janvier une feuille de route de sortie de la crise politique, économique et sociale, proposant de réviser la loi électorale pour réduire le nombre de députés à 100, contre 217 actuellement, des élections législatives anticipées (les prochaines sont prévues en 2024) et appelant au dialogue national, tout en déplorant les problèmes de fonctionnement de l’ARP.
- Visibilité internationale
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Youssef Chahed met également en valeur sur les réseaux sociaux ses déplacements à l’étranger, comme sa récente invitation à un séminaire en ligne sur la Tunisie par l’université d’Ottawa, au Canada. Sa venue à Dubaï, fin mars, au sommet mondial WION sur les équilibres des pouvoirs dans un monde post-pandémique lui a valu des critiques du fait de la présence de l’ancien vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur d’Israël, Silvan Shalom, ainsi que d’autres dignitaires israéliens ou américains ayant œuvré à la normalisation des relations avec des pays arabes. L’ex-chef du gouvernement tunisien balaie ces critiques, préférant recentrer le débat sur l’absence de coordination mondiale face au Covid-19.
- Chahed l’Africain
Dans une tribune publiée dans le journal français Le Monde fin mars 2020, il plaidait déjà la cause des pays les plus fragiles face au virus.
la suite après cette publicitéSe plaçant d’emblée comme un citoyen du continent, il y exhorte le Conseil de sécurité de l’ONU (dont la Tunisie est encore un membre non permanent jusqu’à la fin de l’année) à se réunir d’urgence pour déclarer une guerre mondiale à cette pandémie, et appelle à la mise en place d’un système d’aides financières sans contrepartie.
Sa venue à Dubaï, fin mars, au sommet mondial WION sur les équilibres des pouvoirs dans un monde post-pandémique lui a valu des critiques
Il conclut, non sans une pointe de patriotisme paternaliste : « Cette initiative n’est pas mienne. Elle m’a été soufflée par cette incroyable Tunisie qui sait montrer la voie aux nations quand des rendez-tous avec l’Histoire ne peuvent être ratés. »
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Jeudi noir
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Le 27 juin 2019, dit jeudi noir, date de l’hospitalisation de l’ex-chef de l’État, feu Béji Caïd Essebsi (BCE), s’est invité dans le retour de Chahed sur la scène publique. Dans son livre Deux républiques, une Tunisie, paru fin mars, l’ex-président de l’ARP, Mohamed Ennaceur, revient sur une journée marquée non seulement par l’hospitalisation du président mais aussi par des attentats terroristes. En arrêt pour surmenage, il est alors remplacé par son vice-président, Abdelfatah Mourou. Jusqu’à cet appel de son chef de cabinet faisant état d’un regroupement de députés demandant une réunion d’urgence à l’ARP suivi d’un deuxième appel du ministre de la Défense de l’époque, Abdelkrim Zbidi, lui demandant de retourner à son bureau.
Arrivé sur place, il dit avoir constaté un attroupement de députés issus majoritairement d’Ennahdha et de Tahya Tounes. « Pourquoi étaient-ils si nombreux […] ? Quelles [étaient leurs] intentions ? Pourquoi tenaient-ils un exemplaire de la Constitution à la main ? Pourquoi étaient-ils si surpris de me voir en bonne santé ? » s’interroge-t-il, estimant que son retour les aurait contrariés. Il se serait vu confirmer par la suite par Abdelkrim Zbidi que l’objectif de ces députés était de constater la vacance du pouvoir du fait du mauvais état de santé de BCE et de demander son remplacement par le chef du gouvernement. Un scénario qu’il juge probable et qu’il estime avoir fait avorter en revenant ce jour-là de manière impromptue à l’ARP.
Youssef Chahed s’estime victime de cabales en ligne visant à propager des rumeurs sur son compte
En réponse, Chahed a qualifié ce passage de « faute de goût », dans une interview donnée le 2 avril sur la chaîne Carthage +. Il a en outre souligné qu’Ennaceur n’avait pas respecté les usages ce jour-là en communiquant exclusivement avec Zbidi, et affirme avoir la preuve que ce dernier avait alors tenu une réunion « avec une partie inconnue » à Carthage. Il affirme encore qu’il s’était rendu à l’hôpital militaire et avait rassuré les Tunisiens sur la santé de BCE. Le président, « victime d’un malaise », « reçoit actuellement tous les soins nécessaires des cadres médicaux les plus efficaces », avait-il alors écrit sur sa page Facebook.
Il s’interroge également sur le fait que Zbidi ait attendu la veille de la campagne électorale (il était également candidat à la présidence), soit plusieurs mois après les faits, pour évoquer une première fois cette histoire de tentative coup d’État. D’aucuns soulignent que Chahed n’y avait alors pas répondu. Il assure désormais qu’après avoir longtemps tenu à garder le silence, il se tournera vers la justice. « C’est grave, il y va de la sécurité de l’Etat, pas seulement de sa personne », commente sa défense qui devrait formaliser une plainte contre plusieurs personnalités dans les trois prochains jours.
▪ Plaintes pour diffamation
Youssef Chahed s’estime victime de cabales en ligne visant à propager des rumeurs sur son compte. « Il insiste sur la liberté de la presse et la liberté d’expression et tient à temporiser pour ne pas déposer plainte, parfois même contre l’avis de ses conseillers, précise Aslan Berjeb, l’un de ses avocats. Mais il a subi de telles campagnes de diffamation au quotidien après l’annonce de sa candidature à la présidentielle qu’il a été obligé de réagir en recourant à la justice. »
Des plaintes auraient été déposées en son nom contre X mais aussi contre des sites et personnes ayant colporté des rumeurs sur les réseaux sociaux. La plupart sont toujours en cours d’examen, l’une a déjà abouti à la condamnation pour diffamation du journal en ligne 24/24.
Ex-membre de la commission d’enquête sur les réseaux d’envoi de jeunes dans les zones de jihad, Fatma Mseddi l’a accusé d’avoir protégé des sécuritaires impliqués dans ces départs
Fin 2020, il avait ainsi porté plainte pour diffamation contre les propriétaires de comptes sur les réseaux sociaux selon lesquels il aurait été convoqué par un juge d’instruction dans l’affaire du détournement d’un don saoudien destiné à rénover une mosquée, ou encore contre des sites qui lui attribuaient la possession d’une villa dans les environs de Nabeul, où 300 000 dinars auraient été dérobés. Six mois plus tôt, il assignait en justice l’organisation I Watch, qui l’avait accusé d’avoir facilité la levée du gel des avoirs de l’homme d’affaires Marouane Mabrouk par l’Union européenne.
Plus récemment, l’ex-députée et ex-membre de la commission d’enquête sur les réseaux d’envoi de jeunes dans les zones de jihad, Fatma Mseddi, l’a accusé sur la radio IFM d’avoir protégé des sécuritaires « parallèles » impliqués dans ces départs, en faisant en sorte que ces derniers ne soient pas jugés ni tenus pour responsables, ce que l’intéressé réfute.
▪ Une campagne épinglée
Dans son rapport sur le financement des campagnes électorales (législatives et présidentielle anticipées de 2019) publié fin 2020, la Cour des comptes souligne que Youssef Chahed apparaît comme le candidat ayant le plus dépensé pour tenter d’accéder à la magistrature suprême, avec 1,4 million de dinars (422 000 euros environ).
Il lui est par ailleurs reproché d’avoir utilisé des ressources de l’administration publique dans ce cadre en mobilisant une voiture de fonction et deux bus publics pour mener campagne. Le parti a répondu à la Cour en lui assurant les avoir loués et disposer de factures pour le prouver. Mais cette affaire fait écho aux soupçons souvent formulés lors de la création de Tahya Tounes sur son utilisation des moyens de l’État. À l’époque, si le parti n’était pas officiellement affilié à Youssef Chahed, sa genèse, tout comme celle de la Coalition nationale, était claire : il s’agissait d’appuyer son projet politique.
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