100 000 disparus : une obsédante absence

Publié le 14 février 2007 Lecture : 3 minutes.

Le 6 février 2007, je me trouve dans les salons du Quai d’Orsay. Le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, lit un message du président Chirac, en présence de la haut-commissaire aux Droits de l’homme des Nations unies Louise Arbour, du président du Comité international de la Croix-Rouge Jakob Kellenberger et de l’ancienne ministre française Simone Veil. Il s’agit de célébrer la signature de la convention de l’ONU sur les disparitions forcées. Sont présents 26 ministres, une trentaine d’ambassadeurs, ainsi que la sénatrice Kirchner, épouse du président de l’Argentine, l’un des pays qui, sous la dictature militaire, a le plus pratiqué cette violation des droits de l’homme. Mais je sens l’obsédante présence, ou plutôt l’obsédante absence, des 100 000 personnes qui ont disparu depuis un quart de siècle. En 2006, 535 cas dans 22 pays s’y sont ajoutés.
En 1979, je venais de quitter mes fonctions d’ambassadeur à Conakry pour diriger au Quai d’Orsay le service des Nations unies et des organisations internationales. Mes années guinéennes m’avaient mis en présence de nombreux cas de disparus, européens ou libanais, mais surtout africains (guinéens, sénégalais, maliens…). J’étais très soucieux d’une dizaine de hauts responsables qui avaient épousé des Françaises ; celles-ci n’avaient plus de nouvelles depuis qu’elles avaient dû quitter la Guinée. Lors de sa « disparition » en 1972, Abdoulaye Barry était chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Sa femme, Nadine Barry (Bari), présidait une association qui regroupait ces épouses. J’étais en relation régulière avec elle, sachant que ma fonction consistait à entretenir les meilleures relations avec Sékou Touré de manière à conforter des liens franco-guinéens fragiles, mais que mon devoir d’homme était d’aider ces épouses à connaître la vérité.
Quand Sékou vint en France en 1982, je lui obtins un rendez-vous. La rencontre se passa mal. Nadine la raconte, comme le reste de son combat, dans le livre Grain de sable. Après la mort de Sékou Touré en 1984, elle pourra enquêter sur place et apprendre la terrible vérité. Bien que nous ayons eu des objectifs opposés, je lui rends hommage pour sa fidélité à un homme, pour son courage inaltérable, pour son attachement à la Guinée, où elle réside désormais, se consacrant aux actions de son ONG Guinée-Solidarité. Bien sûr, en Amérique latine, au Proche-Orient, en Asie ou en Europe, d’autres régimes ont à cette époque pratiqué les « disparitions », mais c’est l’histoire de Nadine et de ses amies qui m’a incité à faire proposer par la France des initiatives à la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève.
Se sont ainsi succédé une résolution votée en 1979 et la création en février 1980 d’un groupe d’experts chargés d’enquêter sur place (il a examiné 51 000 disparitions dans plus de 90 pays et en a élucidé 7 000) ; puis, en 1992, une déclaration adoptée par l’Assemblée générale, qui assimile cette pratique au crime contre l’humanité. Enfin, après le Conseil des droits de l’homme, l’Assemblée générale a, le 20 décembre dernier, adopté une Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Longue de 45 articles, elle entrera en vigueur après que 20 États l’auront ratifiée. Première étape, le 6 février, elle a été signée par 55 pays, dont 17 africains, mais pas la Guinée… 1979-2007 : plus d’un quart de siècle pour qu’arrive le moment où toutes les Nadine Bari du monde pourront enfin espérer la cessation définitive de ces pratiques.

* Président de l’Association française pour les Nations unies.

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