Derrière les barreaux, la honte

Publié le 14 février 2007 Lecture : 4 minutes.

Le 4 janvier 2006, Bayo Ojo, ministre nigérian de la Justice, annonçait un plan d’urgence de décongestion des prisons. Un an plus tard, quatre membres de l’association Avocats sans frontières (ASF), en mission au Nigeria, ont constaté des violations de la procédure pénale et des conditions de détention déplorables.

« Prison de Lafia, capitale de l’État de Nassarawa, dans le centre du Nigeria. Julius* y est détenu depuis six ans. La raison ? En 2000, après avoir demandé en fiançailles une jeune fille de son village, il se rétracte. Déshonorée, son ex-future belle-famille le passe à tabac. Assisté par des voisins, Julius est emmené au commissariat, où, pensent-ils, sa protection sera assurée. Mais la fiancée a porté plainte pour tentative d’assassinat. Julius dément. Qui dit vrai ? Difficile de savoir. Une chose est sûre : durant l’interrogatoire, Julius a reçu des coups, a perdu connaissance et a été transporté d’urgence à l’hôpital. Lors de notre rencontre, il nous a avoué être séropositif, en phase terminale de la maladie. Six ans de détention pour une affaire de murs et de malentendu, dans un pays où les prisons sont surpeuplées.
En janvier 2006, le gouvernement nigérian avait pourtant annoncé un grand programme de décongestion des prisons. La libération de 25 000 détenus (en priorité les mineurs, les femmes, les personnes âgées et les malades) devait intervenir dans les meilleurs délais. De substantielles incitations financières ont été promises aux avocats sélectionnés par le ministère de la Justice. À l’issue de nos échanges avec les professionnels d’Abuja et de Lafia, uvrant souvent dans le cadre des bureaux d’aide légale (Legal Aid Councils), nous avons peine à identifier qui bénéficie réellement de ces mesures. L’opacité la plus totale pèse sur l’état d’avancement du programme.
En neuf jours de mission passés au sein des trois prisons visitées à Kuje, Suleja et Lafia, nous avons pu faire le même constat : cellules congestionnées, directeurs de prison dépassés, détenus oubliés Les délits les plus mineurs donnent lieu à l’emprisonnement interminable d’hommes et de femmes issus des franges les plus pauvres de la population. Et le non-respect des droits les plus fondamentaux touche tous les échelons de la chaîne du système répressif.
Héritière de pratiques violentes, la police dispose de peu de moyens d’investigation. Au terme de virulentes gardes à vue pouvant se prolonger un mois, à l’insu de tout contrôle juridictionnel, les suspects finissent souvent par signer des aveux rédigés dans une langue qu’ils ne lisent pas. Ensuite, pour justifier la détention provisoire, le tribunal retient le plus souvent l’incrimination de « vol à main armée et complot », quel que soit le délit réel.
En attente d’un procès, le prévenu est alors systématiquement envoyé en prison pour une durée indéterminée. Chaque fois, les audiences sont renvoyées à une date ultérieure, toujours pour les mêmes motifs : pas d’avocat, pas de témoin, pas de dossier La farce peut durer des mois, des années. Il arrive même que le détenu ne puisse pas comparaître aux audiences, faute de transport pour les prisonniers.
Aujourd’hui, 65 % des 40 000 détenus dans les 227 prisons du pays attendent, dans des conditions déplorables, d’être jugés. La prison de Suleja, aux environs d’Abuja, accueille environ 500 personnes mais ne compte que 80 lits… Les prisonniers dorment par terre, assis ou, à tour de rôle, sur les quelques vieux matelas disponibles. La chaleur est étouffante, l’accès à l’eau limité, les produits de première nécessité manquent et les maladies se développent (sida, tuberculose, etc.).

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Après une détention provisoire jugée trop longue, le prévenu bénéficie parfois d’une mise en liberté sous caution, à défaut d’un procès équitable. Mais pour recouvrer sa liberté, il doit trouver quelques milliers de nairas (quelques dizaines d’euros), et surtout une personne susceptible de se porter garante de sa remise en liberté. Peine perdue pour des personnes souvent incarcérées à des centaines de kilomètres de leur village.
Épisodiquement, certains cas se règlent de manière surprenante. Rose, une jeune femme rencontrée à la prison de Lafia, a pu retrouver son foyer après deux années de détention provisoire. Accusée d’infanticide à l’âge de 17 ans, elle a bénéficié, après un an d’emprisonnement, d’une mesure de remise en liberté. Faute de caution et sans manifestation de ses proches, elle demeure emprisonnée… Jusqu’à ce jour de décembre où, avertis de notre présence dans la prison, la belle-mère et le frère aîné de Rose se décident à lui rendre visite. Deux heures plus tard, la jeune Nigériane est libérée. Ses anciens codétenus, eux, attendent toujours. »
*Les prénoms des détenus ont été changés.

1. Chargés de mission pour Avocats sans frontières au Nigeria et avocats au sein du cabinet Clifford Chance à Paris.

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