50 ans en dix coupes

Depuis son origine en 1957, la Coupe d’Afrique des nations (CAN) est étroitement liée à l’histoire du continent africain.

Publié le 14 février 2007 Lecture : 10 minutes.

La Coupe d’Afrique des nations (CAN) est un événement sportif dont l’histoire a été marquée, entre autres, par le quintuplé de l’Égypte, victorieuse en 1957, 1959, 1986, 1998 et 2006, ou par l’Ivoirien Laurent Pokou, meilleur buteur à ce jour, avec quatorze buts en deux compétitions (1968 et 1970). Mais la CAN a aussi connu les violentes diatribes de Kadhafi en 1982, ou la victoire de l’Afrique du Sud à domicile, en 1996, marquant définitivement son retour sur la scène internationale. Ces éditions font partie des dix que nous avons retenues pour former une photographie de la situation politique du continent sur les cinquante années écoulées.

Soudan, 1957
Frères ennemis du Nil
Dimanche 1er janvier 1956. Le Soudan, ancien condominium anglo-égyptien, proclame son indépendance à Khartoum. Le leader du National Unity Party, Sayed Ismaël al-Azhari, est au pouvoir depuis novembre 1953. Le Dr Mohamed Abdelhalim Mohamed préside, lui, la Sudan Football Association (SFA) affiliée à la Fifa. Depuis sa prise de fonction, il rêve d’offrir la première Coupe d’Afrique à son pays et, comme tous ses compatriotes, de donner une leçon aux Égyptiens qui, sur bien des plans, sous-estiment leurs frères du Nil.
Compte tenu de son passé sportif et de son poids politique, l’Égypte était pressentie pour accueillir l’événement. Mais, au Caire, le colonel Gamal Abdel Nasser a d’autres préoccupations (nouvelle Constitution, projet de construction du barrage d’Assouan, crise du canal de Suez, etc.). L’Égypte laisse donc au Soudan le soin d’accueillir la compétition mais remporte le premier trophée Abdelaziz-Abdallah-Salem, ainsi baptisé en l’honneur du premier président de la CAF.

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République arabe unie, 1959
À la gloire du raïs
En février 1958, le régime nassérien est à son zénith. Le colonel Gamal Abdel Nasser et le président syrien Choukry al-Kouatli annoncent la fusion de leurs pays qui donne naissance à la République arabe unie (RAU). Une nouvelle classe sociale, la petite-bourgeoisie militaire, prospère et s’empare rapidement du football, véritable phénomène national. Les gradés investissent progressivement la direction des grands clubs du Caire et d’Alexandrie. Quant à l’Egyptian Football Association (EFA), elle est conquise par le numéro deux du régime, le maréchal Abdelhakim Amer, qui parachute son homme de confiance, le général Abdelaziz Mostafa, à la tête de la toute jeune Confédération africaine de football (CAF) en juin 1958. C’est alors que le pays confirme qu’il organisera la 2e Coupe d’Afrique. Le tournoi, triangulaire cette année-là, rassemble la RAU, le Soudan et l’Éthiopie entre le 22 et le 29 mai 1959, au stade du club Al-Ahly au Caire. Comme en 1957, c’est finalement la RAU qui l’emporte dans un match contre le Soudan aux allures de finale. Ulcéré par l’hostilité de la foule et les décisions de l’arbitre Ziwko Bajic, le vaincu crie au scandale.

Ethiopie, 1962
Tessema perd et gagne
La troisième Coupe d’Afrique a lieu en Éthiopie impériale. Initialement prévue en 1961, la compétition doit être repoussée au début de l’année 1962 à la suite d’un coup d’État manqué en décembre 1960 et du retard pris dans la restauration du stade Haïlé-Sélassié. Lancé le 16 janvier 1962, le tournoi accueille quatre équipes. Sept délégations se pressent également à l’assemblée générale de la CAF. Plus que sur le terrain, c’est dans les bureaux qui abritent cette dernière que se déroule le spectacle. Les deux élections auxquelles elle doit procéder – celle du vice-président de l’organisation et celle de son représentant au comité exécutif de la Fifa – sont animées. La joute pour le second poste oppose l’Éthiopien Yidnekatchew Tessema au général égyptien Abdelaziz Mostafa, qui finit par l’emporter, grâce au soutien du président ghanéen Kwame Nkrumah sollicité par Nasser. Il siégera à la Fifa jusqu’à sa mort en 1992. Tessema se bat alors pour le premier poste, mais il échoue une fois encore, cette fois ci-contre le Ghanéen Ohene Djan L’Éthiopie, qui s’estime flouée, menace de quitter la CAF. Tessema aura sa revanche lorsque l’Éthiopie, dont il est le directeur technique, remporte la Coupe d’Afrique contre l’Égypte quelques jours plus tard. Par la suite, il accapara, au fil des ans, tous les pouvoirs au sein de la CAF.

Ghana, 1963
Le ballon, symbole de liberté
Que le sport ne se développe qu’avec la liberté, le Dr Kwame Nkrumah en fut toujours convaincu. Aussi, dès l’accession de son pays à l’indépendance en 1957, le président ghanéen fait-il procéder à une véritable révolution sportive axée sur la discipline déjà la plus populaire dans son pays, le football. Dès 1959, il crée l’équipe du Black Star. Sa mission : répandre l’idéologie du panafricanisme chère à « l’Osageyfo » (le Rédempteur). La toute nouvelle sélection nationale est placée sous l’autorité du directeur des Sports, Ohene Djan, qui exige de ses joueurs résultats, discipline et promotion du sentiment patriotique. Le Ghana s’empresse d’accepter l’organisation de la 4e Coupe d’Afrique. L’année 1963 se prête d’autant plus à l’accueil du tournoi que, le 25 mai, est signée la charte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), dont Kwame Nkrumah est l’un des fondateurs. Le 24 novembre, le Black Star donne donc le coup d’envoi face à la Tunisie. Une semaine plus tard, il domine le Soudan en finale 3 à 0, mais la fête est gâchée par une échauffourée survenue le 26 novembre entre des joueurs éthiopiens et des spectateurs ghanéens hystériques. La victoire du Ghana vaudra néanmoins aux nouveaux champions continentaux d’être reçus à Flagstaff House, la résidence de leur président.

Tunisie, 1965
Nasser boycotte Bourguiba
En 1965, la Tunisie est rayonnante. Le charisme de son chef donne au pays une stature internationale qui dépasse de loin son poids réel. Mais les initiatives politiques d’Habib Bourguiba vont avoir des répercussions négatives sur la 5e Coupe d’Afrique – désormais baptisée Coupe d’Afrique des nations -, que la Tunisie doit accueillir quelques mois plus tard. Au cours d’une tournée au Moyen-Orient, Bourguiba préconise l’ouverture d’un dialogue direct entre Israël et les Palestiniens. Rejetée par les deux camps, la proposition fait des vagues jusqu’en Irak, en Syrie et en RAU, qui rappellent leurs ambassadeurs respectifs à Tunis. Cette dernière va encore plus loin, en retirant son équipe de la 5e Coupe d’Afrique, dont la phase finale est prévue du 12 au 21 novembre 1965 en Tunisie. La RAU est remplacée par le Soudan, qui se désiste à son tour. Le Congo-Léopoldville est repêché in extremis, mais c’est le Black Star ghanéen qui remporte la compétition devant la Tunisie, 3 buts à 2.

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Ethiopie, 1968
Le sacre de Mobutu
C’est à Addis-Abeba, où se trouve le siège de l’OUA, qu’est donné le coup d’envoi de la 6e Coupe d’Afrique, le 12 janvier 1968. Une édition marquée par l’exploit ?du Congo-Kinshasa de Mobutu, qui voit sa politique d’unification du peuple congolais autour de l’équipe nationale de football porter ses fruits. Dès son arrivée au pouvoir en 1965, Mobutu s’était engagé dans cette voie, mais les débuts ne furent pas à la hauteur. En 1966, la sélection congolaise est écrasée par le Ghana, à Léopoldville. Mobutu ordonne alors la constitution d’une « sélection nationale digne du grand Congo » et délie les cordons de la bourse pour faire revenir des footballeurs expatriés en Belgique et recruter un entraîneur hongrois. L’opération est un succès. Le 21 janvier 1968, les Léopards du Congo prennent leur revanche sur le Black Star et deviennent champions d’Afrique. Le 2 avril suivant, Mobutu annonce la création des « États-Unis d’Afrique centrale » et s’en proclame président Le Soudanais Mohamed Abdelhalim est élu à la tête de la CAF. La RAU est chargée d’organiser la phase finale de la 7e CAN en 1970. Mais, une nouvelle fois, le sport ne fait pas partie des priorités de l’Égypte nassérienne. Engluée dans un état de ni guerre ni paix avec Israël après la guerre des Six-Jours, elle passe son tour.

Ethiopie, 1976
Le Négus rouge légitimé
Après l’Égypte en 1974, c’est l’Éthiopie qui doit normalement accueillir la 10e CAN en 1976. Mais les événements qui secouent alors l’empire font planer le doute sur sa capacité à organiser l’événement. En novembre 1973, le monde apprend que la famine sévit depuis plusieurs mois dans le pays et qu’elle aurait fait plus de cent mille victimes. Le 12 septembre 1974, un coup d’État renverse Haïlé Sélassié et engage le pays sur la voie de la « Révolution socialiste ». Simultanément, la guerre fait rage avec l’Érythrée. Pour le nouveau régime, les questions s’accumulent. Dès lors, comment accueillir sereinement la « fête » du football africain ? La junte au pouvoir est indécise. Mais la quête de légitimité du pays sur la scène internationale, conjuguée à la volonté de Yidnekatchew Tessema, le président éthiopien de la CAF élu en 1972, qui tente d’assurer sa réélection, a raison de ses hésitations. Le tournoi s’ouvre le 29 février 1976 dans une capitale en état de siège. Les autorités mettent un point d’honneur à réussir la compétition. Elles parviendront à leurs fins, sans toutefois assister au sacre de leur équipe, rapidement éliminée du tournoi.

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Libye, 1982
Kadhafi l’Africain
Le choix de la CAF de confier l’organisation de la 13e CAN à la Jamahiriya libyenne n’est pas du goût du président égyptien Anouar al-Sadate. Il a d’ailleurs largement mené campagne pour que le tournoi se tienne dans son pays. Mais la CAF s’est laissé charmer par la vaste entreprise de séduction du colonel Kadhafi, qui tenait absolument à recevoir la même année la CAN et le sommet de l’OUA (prévu en août 1982). Comble de malchance pour l’Égypte, le tirage au sort la place dans le même groupe que la Libye en phase finale ! Mais le match n’aura finalement jamais lieu. Le Caire décide de se retirer de la CAN après l’assassinat du président Sadate, le 6 octobre 1981. C’est la Tunisie, repêchée, qui se présente au stade de Tripoli pour affronter la Libye, en mars 1982. La cérémonie d’ouverture du tournoi fournit une tribune de choix au leader libyen, qui se lance dans un violent réquisitoire contre la politique française au Tchad et plus généralement en Afrique, l’impérialisme américain, l’apartheid, la monarchie des Saoud, le « régime fasciste » soudanais et la confiscation du sport par l’argent avant de lancer un « Oui à l’Afrique ! Non à la Coupe ! » Quinze jours durant, les participants à la 13e CAN sont soumis aux slogans du Livre vert, inlassablement psalmodiés par les médias et affichés partout. La population, pour sa part, se rend au stade pour soutenir son équipe. À l’issue de la finale remportée par le Ghana sur la Libye, elle manifestera son « africanité » d’une tout autre manière que celle préconisée par le « Guide » : après avoir lancé divers projectiles sur les vainqueurs, les officiels et les journalistes, le public envahit la pelouse, ne se souciant guère du panneau sur lequel on peut lire : « Les Noirs régneront sur le monde ! »

Algérie, 1990
« Madani au pouvoir ! »
La 17e CAN, qui débute en Algérie le 2 mars 1990, se déroule dans un contexte difficile. Depuis 1987, les relations du pays avec la CAF sont tendues. Cette année-là, ses délégués parvenaient à faire voter par l’assemblée générale du Conseil supérieur des sports en Afrique (CSSA) une résolution accusant l’organisation de faire preuve de « désinvolture et d’irresponsabilité ». Politiquement, le pouvoir est confronté à la percée des mouvements islamistes qui capitalisent chaque jour sur les frustrations d’une population désorientée. Les tragiques événements d’octobre 1988 n’ont pas été digérés. À Alger, une manifestation de jeunes avait alors fini dans un bain de sang. L’armée avait tiré sur la foule.
Ce climat délétère rejaillit sur la compétition. Avant même qu’elle ait débuté, l’Égypte annonce son retrait pur et simple du tournoi pour « raisons de sécurité ». Le président de la CAF devra déployer des talents de diplomate pour calmer la colère des Algériens et convaincre les Égyptiens de revenir sur leur décision. Il s’adressera au président égyptien Hosni Moubarak lui-même, alors aussi président en exercice de l’OUA, pour obtenir l’envoi à Alger d’une équipe égyptienne de réservistes. L’affaire, pourtant, n’est pas close. Quand les Pharaons se présentent le 8 mars 1990 sur la pelouse pour affronter l’Algérie, ils sont accueillis par des bordées d’insultes. Des projectiles volent. Le stade du 5-Juillet est en état de siège Le 16 mars encore, la politique s’invite sur le terrain. Au cours de la finale, le public algérien, venu assister à la victoire de son équipe contre le Nigeria, conspue le président Chadli Bendjedid. Le slogan « Madani au pouvoir ! » fuse. Abassi Madani est alors le président du Front islamique du salut (FIS) et les gradins ont été infiltrés par les militants du FIS

Afrique du Sud, 1996
Le socle de l’unité
Initialement prévue au Kenya qui, finalement, jette l’éponge faute de moyens, c’est à l’Afrique du Sud qu’échoit l’organisation de la 20e CAN, du 13 janvier au 3 février 1996. Revenue sur la scène internationale depuis la fin de l’apartheid, en 1992, la nation Arc-en-Ciel entend conforter son intégration à la communauté africaine et prouver qu’elle a les moyens de ses ambitions : devenir le premier pays africain à organiser la Coupe du monde Le président de la Fifa, favorable à l’idée, met le marché entre les mains de la South African Football Association (Safa) : que la CAN 1996 soit un succès, et Pretoria décrochera le gros lot peu après.
Même si les Bafana Bafana remportent la Coupe devant 95 000 supporteurs et en font le symbole de l’unité retrouvée, la fête est gâchée. Le Nigeria, champion en titre et grand favori, boycotte la compétition. Une décision prise à Abuja par le général Sani Abacha, après que le président Nelson Mandela, suite à l’exécution, le 10 novembre 1995, de neuf opposants de l’ethnie ogonie, eut appelé la communauté internationale à soumettre le Nigeria à un embargo total. Le pays est par ailleurs exclu temporairement du Commonwealth.
Les présidents de la CAF et de la Fifa ont beau faire pression sur les autorités nigérianes, rien n’y fait. En représailles, le Nigeria est banni de la compétition pour quatre ans. Une punition toutefois ramenée à deux ans, après le sacre des Super Eagles aux jeux Olympiques d’Atlanta.

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