Abdallah Ibn Abdelaziz

Grâce à la médiation du roi d’Arabie saoudite, le Hamas et le Fatah parviennent à un accord sur la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Publié le 13 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Le roi d’Arabie saoudite aurait-il réussi là où son rival égyptien, Hosni Moubarak, s’est cassé les dents ? Toujours est-il que c’est sous son égide que le Hamas et le Fatah palestiniens, qui se déchirent depuis plusieurs mois, ont signé, le 8 février, à La Mecque, un accord sur la formation d’un gouvernement d’union nationale. Pourquoi le roi Abdallah s’est-il tant investi pour démêler l’écheveau palestinien ? Pourquoi a-t-il engagé son prestige et celui de son régime dans cette délicate opération ? Pourquoi maintenant ? Quels dividendes pourra-t-il en tirer ? Les réponses à ces interrogations résident peut-être dans le parcours de cet homme à la tête du pays à la fois le plus riche et le plus rétrograde de la planète.

Treizième fils d’Abdelaziz Ibn Saoud, fondateur du royaume, Abdallah, né en 1923, avait deux handicaps majeurs pour prétendre à la succession : un défaut d’élocution, obstacle rédhibitoire dans une société bédouine où l’oralité est à la base des relations sociales, et une ascendance maternelle nettement moins prestigieuse que celle de ses nombreux demi-frères. Abdallah est en effet le fils de Fahda Bint Assi, de la tribu des Chammar, une communauté bédouine nomadisant entre le Najd, en Arabie saoudite, et la partie occidentale de l’Irak (Al-Anbar), celle-là même où sévit aujourd’hui la résistance irakienne contre l’occupation américaine.

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Dans ce pays naissant qu’est l’Arabie, le classement protocolaire des princes a pour critère le rang social de la mère. Assurément, Fahda est nettement moins « noble » que Jawhara Bint Saïd al-Soudeiri dont les sept fils constituent le clan des Soudeiri, présent dans tous les rouages du régime. Conscient de ses deux handicaps, Abdallah fera preuve d’abnégation et de doigté pour assouvir son ambition d’accéder, un jour, au trône. Il a 39 ans quand il pénètre au cur du pouvoir en prenant la tête de la Garde nationale. Il doit cette nomination à son côté austère qui contraste avec la vie dissolue de ses demi-frères Fahd, Sultan ou Nayef (trois des sept Soudeiri). Conservateur, réputé nationaliste, Abdallah tisse peu à peu sa toile dans le système et entretient son aura auprès des chefs tribaux, sensiblement ignorés par les Soudeiri. Il fait de la Garde nationale un corps efficace qui sauvera le régime, en 1969, quand le lieutenant-colonel Daoud Romeih, commandant de la base militaire de Dahran, décide de revêtir l’uniforme de l’officier libre. La répression est féroce. Abdallah y gagne le prestige qui lui faisait défaut. Depuis, plus rien ne semble pouvoir arrêter son ascension, ni les jeux d’alliances au sein de la famille régnante ni l’hostilité du parrain américain, qui se méfie de ce « prince sans rire » qui ose être l’ami du Syrien Hafez al-Assad.
Père de quatre enfants, dont l’aîné, Moutaab, dirige désormais la Garde nationale et sa redoutable unité antiterroriste, Abdallah est la parfaite illustration de la diplomatie en coulisse. C’est lui qui parraine les accords de Taef, en 1992, qui avaient mis fin à la guerre civile libanaise et esquissé l’organisation des pouvoirs dans le pays du Cèdre. Le plan de paix arabe adopté à Beyrouth en 2002, proposant à Israël la reconnaissance contre la restitution des Territoires occupés depuis juin 1967, porte son nom. Depuis plus de vingt ans, Abdallah est le principal inspirateur de la diplomatie saoudienne.
Mais celle-ci va perdre de sa superbe avec les attaques du 11 septembre 2001. Les origines saoudiennes d’Oussama Ben Laden et de quinze (sur dix-neuf) pirates de l’air, l’implication de plusieurs membres de la dynastie des Saoud dans le financement du terrorisme international et le jeu trouble des services saoudiens à l’égard des talibans afghans jettent un froid entre Riyad et Washington. Abdallah fait le dos rond et laisse passer l’orage. Il normalise ses relations avec Moscou et Pékin. Il autorise les Américains à utiliser le territoire saoudien pour l’invasion de l’Irak, en 2003, même s’il ne partage pas leur point de vue sur l’utilité de cette guerre. Enfin, il met en uvre quelques réformettes pour répondre aux attaques de la presse d’outre-Atlantique.

Abdallah avait deux grandes craintes : la montée de l’islamisme national, qui menace la maison des Saoud, et les ambitions militaires et nucléaires du voisin iranien, qui réduisent l’influence régionale de Riyad. Les effets collatéraux de la guerre en Irak lui en ont rajouté une troisième : la question chiite. Près de 500 000 Saoudiens, essentiellement concentrés dans la région pétrolifère du Hassa (dans l’Est) se sentent plus proche de Nadjaf que de La Mecque. La chute de Saddam Hussein, l’avènement d’un gouvernement irakien inféodé aux pasdaran, les gardiens de la Révolution islamique iranienne, l’aura du Hezbollah libanais et de son chef Hassan Nasrallah née de la résistance face à l’armada de Tsahal durant l’été 2006 et le traitement réservé par la communauté internationale au Hamas palestinien qui n’a trouvé d’autres bras réconfortants que ceux des ayatollah iraniens tout cela inquiète Abdallah. Le roi décide de s’impliquer dans le dossier irakien en prenant officiellement la défense des sunnites, traqués par les milices chiites, et en organisant, à La Mecque, une rencontre théologique entre chefs religieux de deux communautés. Il prend langue avec le Hezbollah pour le dissuader de renverser le gouvernement de Fouad Siniora, allié des Saoudiens. Il dépêche à Téhéran son missi dominici, Bandar Ibn Sultan, ex-ambassadeur à Washington et actuel chef du Conseil de sécurité national, pour tenter de désamorcer la crise entre l’Iran et les États-Unis. Mais Abdallah est convaincu que la clé des problèmes de la région est ailleurs : le règlement de la question palestinienne.

Pour avoir longtemps financé les uns et les autres, Abdallah met tout son poids dans la balance pour tenter de réconcilier les frères ennemis palestiniens. Et atteindre ainsi un double objectif : redorer le blason de sa diplomatie en contribuant à trouver au quartet (États-Unis, Union européenne, Russie et ONU) un interlocuteur palestinien « fréquentable » et couper l’herbe sous le pied aux rivaux régionaux, l’Iran et la Syrie, présentés par le rapport Baker-Hamilton comme des partenaires incontournables pour le règlement des crises au Moyen-Orient. En gagnant son pari, Abdallah a remporté une première bataille dans la guerre d’influence qui l’oppose au Caire, à Damas et à Téhéran.

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