Une prison dans la prison

Peut-on parler de « tri ethnique » dans les établissements pénitentiaires ? L’association SOS Racisme a déposé une plainte contre la Santé, à Paris, l’accusant de pratiquer des discriminations entre détenus. Enquête.

Publié le 12 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

« Il existe dans les prisons des murs supplémentaires pour les étrangers. Rien n’y est prévu pour eux », affirme François Carlier, l’un des responsables de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP). La présence de plus en plus massive d’étrangers dans les établissements pénitentiaires français semble occasionner de nouvelles complications et de nouvelles pratiques, dont celle du « tri ethnique ». Dans un récent rapport, la Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France note que « depuis une vingtaine d’années, le système pénitentiaire a considérablement diversifié son recrutement en s’élargissant à de nouvelles populations qui posent de redoutables problèmes de gestion et de coexistence à une administration pénitentiaire prisonnière de ses traditions : celle des étrangers en situation irrégulière souvent illettrés et sans ressources. » Ce phénomène serait né au début des années 1990, avec les lois Pasqua et cette notion de « double peine » qui a fait couler tant d’encre. « Avant, les étrangers encouraient les mêmes peines que les Français, explique Jérôme Martinez, responsable Île-de-France de la Cimade, une association oecuménique d’entraide. Avec Charles Pasqua, des lois spécifiques pour les étrangers sont apparues. » Selon la Cimade, les détenus étrangers représenteraient actuellement 30 % de la population carcérale nationale française.
L’arrivée de ces nouveaux « locataires » en prison n’a pas été sans conséquences. Les établissements pénitentiaires n’ont pas toujours bien su s’adapter à cette nouvelle donne. Lorsque la cohabitation entre détenus devient problématique, la première réaction de l’administration consiste à regrouper ensemble les détenus étrangers, pour des questions de gestion courante. « Le tri ethnique dans les prisons françaises existe, reconnaît Catherine Coeroli, déléguée générale de l’ANVP (Association nationale des visiteurs de prison). Cela dépend de la taille de l’établissement et du directeur qui en établit le règlement interne. » Le tri ethnique. Une expression qui écorche la conscience humaniste et républicaine française. Certains établissements pénitentiaires sont même officiellement connus pour le pratiquer. Le cas de la prison de la Santé à Paris a défrayé la chronique. « En France, le tri ethnique n’existe que dans cet établissement, soutient François Carlier de l’OIP. La population de cette prison est à 60 % d’origine étrangère, quatre-vingts nationalités différentes s’y côtoient. » Le tribunal saisi sur la question par SOS Racisme a prononcé un non-lieu confirmé en appel, estimant qu’il n’y avait pas de discriminations entre les détenus à la prison de la Santé. Reste que ce phénomène existe à des degrés divers dans la plupart des établissements.
« Cette pratique existe aussi à la prison des Baumettes à Marseille, assure Amélie Trappler, coordinatrice régionale pour la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur du Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (Genepi). De prime abord, c’est choquant sur le plan philosophique que les détenus soient répertoriés selon leur appartenance ethnique. » Or il semblerait que le regroupement de ressortissants étrangers provenant d’une même zone géographique trouve un écho dans la réalité carcérale et améliore les conditions de détention de l’ensemble des prisonniers. Dans cet univers déstructurant par excellence, cette pratique peut paradoxalement apporter un élément de réponse à une population étrangère déjà précarisée à l’extrême. « Les détenus demandent à être ensemble pour échanger et se soutenir, atteste Amélie Trappler. Et surtout parce que le fonctionnement de la prison exige qu’on sache écrire en français pour communiquer avec la direction, ne serait-ce que pour être soigné. Pour pallier ce manque, beaucoup de prisonniers étrangers préfèrent être avec des compatriotes qui vont les comprendre et pouvoir les aider. » Malgré tout, ce choix n’a pas, au départ, de visée humanitaire. « C’est surtout par un souci sécuritaire que l’administration y recourt, soutient Catherine Coeroli, de l’ANVP. Parler de la prison, et a fortiori des étrangers en prison, reste tabou en France. »

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