Sus à l’humour !

Le coffret DVD consacré à l’oeuvre de Tex Avery est sorti amputé de passages jugés racistes. Une victoire du politiquement correct ?

Publié le 12 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Du rififi chez les Looney Tunes. Alors que Bugs Bunny et Daffy Duck ont débarqué sur les écrans français en décembre 2003(*), d’autres personnages créés par Tex Avery ont été débarqués du coffret DVD qui lui est consacré, sorti le 10 décembre. Dans ce coffret, qui se présente comme une « intégrale » des dessins animés de Tex Avery, deux courts-métrages manquent à l’appel. Uncle Tom’s Cabana (1947), un pastiche de La Case de l’Oncle Tom, et Half Pint Pigmy (1948), histoire d’un Pygmée qui rend chèvre deux aventuriers blancs. Pas de demi-mesure pour la demi-portion, la Warner Bros l’a fait disparaître de son catalogue, renvoyant également l’Oncle Tom dans ses foyers. Le motif ? Les deux films sont jugés « racistes » par la maison de production, qui, pour aller au bout du politiquement correct, a aussi coupé certaines scènes de sept autres cartoons où apparaissent des caricatures de Noirs. L’irrévérencieux Tex Avery représentait souvent l’hystérie et « l’explosion » de ses personnages par des traits négroïdes outrés. « Même si cela ne justifie pas tout, c’était l’usage de représenter les Noirs ainsi dans les années 1930 et 1940. Tex Avery n’était pas raciste », explique Patrick Brion, spécialiste français du dessinateur, qui a participé au documentaire compris dans le DVD. « En tant qu’historien du cinéma, je suis opposé à toute forme de censure. Certaines caricatures peuvent choquer, car elles véhiculent une vision paternaliste et colonialiste des Noirs et de l’Afrique. Il aurait fallu conserver les deux épisodes en les replaçant dans leur contexte et en expliquant que la vision archaïque de l’époque a évolué. En ce qui concerne les coupes à l’intérieur des cartoons, c’est grave, car on les fait passer pour des oeuvres complètes alors qu’elles sont mutilées. »
Chez Warner France, qui a édité le coffret, on explique que la décision vient de la maison mère américaine. Ce que confirme Patrick Brion : « Les ordres venant des États-Unis étaient très clairs : c’était ça ou rien… Lorsque je leur ai expliqué que le fait de supprimer deux épisodes était difficile à admettre, ils m’ont affirmé qu’on ne les verrait plus jamais ni au cinéma ni à la télévision, qu’il n’y aurait plus d’extraits à diffuser. Ils m’ont même dit que ces cartoons n’avaient jamais existé et qu’il ne fallait plus en parler ! C’est une forme de révisionnisme : ils sont désormais rayés de la liste des dessins animés. Les Américains pensaient que le public français ne verrait rien. » C’était sans compter sur les fans de Tex qui ont dénoncé, sur des forums Internet, ce qu’ils appellent une « arnaque ». Certains ont mis une pétition en ligne pour demander la réédition de la véritable intégrale, soit 65 courts-métrages sans coupures.
Mais la Warner Bros a fait savoir que sa décision était irréversible. Les admirateurs français n’ont plus qu’à se passer en boucle leurs vieilles VHS (les épisodes bannis figurent dans le coffret laserdisc et sur les VHS). Aussi heureux que Droopy, ils ne sont pourtant pas les plus mal lotis. Aux États-Unis, les sketches d’Avery jugés trop violents sont relégués au placard. En 1968, une liste « noire » présentée par United Artists interdisait la diffusion de certains cartoons, dont (déjà !) la fameuse Case de l’Oncle Tom ou The Isle of Pingo Pongo (1938), dans lequel plusieurs Zoulous sont représentés de façon très caricaturale.
Tex Avery lui-même avait sa technique pour affronter les censeurs. Il poussait le délire et le non-sens encore plus loin afin de sauver ses gags préférés. Et épinglait tout ce qui lui tombait sous le crayon : l’idéologie capitaliste, l’idole Frank Sinatra, le classique de John Steinbeck, Des souris et des hommes, et même les contes pour enfants. Comme ce Petit Chaperon rouge sexy en diable qui fait baver le grand méchant loup… Aujourd’hui, la Warner fait mentir l’une des phrases fétiches de Tex Avery, « dans un cartoon, vous pouvez tout faire ». Elle illustre en revanche celle de l’humoriste français Pierre Desproges, « on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde ».

* Les Looney Tunes débarquent, de Joe Dante.

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