Naufrage d’un mythe
Après la plainte pour agression sexuelle sur mineur, Michael Jackson risque jusqu’à vingt-quatre ans de prison. Mise en accusation le 16 janvier. PR: wait… I: wait… L: wait… LD: wait… I: wait… wait… Rank: wait… Traffic: wait… Price: wait… C: wait…
« Les mensonges courent des sprints, mais la vérité court des marathons. Elle gagnera ce marathon au tribunal », déclarait Michael Jackson le 21 novembre dernier en sortant du poste de police de Santa Barbara. Mais en attendant que la vérité remporte une hypothétique victoire, le chanteur, accusé d’agression sexuelle sur mineur, risque gros. À l’origine de la plainte, Gavin Avizo, 12 ans. Ce petit garçon, perturbé par les rapports ambigus qu’il entretient avec la star, s’est confié à son psychiatre scolaire au printemps 2003. Celui-ci, alarmé par les déclarations de l’enfant, contacte la police, qui recueille le témoignage de Gavin. Visiteur régulier de Neverland, la résidence de Jackson, il est un ancien malade du cancer dont le rêve était de rencontrer la star. Filmé dans le documentaire Living with Michael Jackson, diffusé en février 2003 notamment sur la chaîne française M6, Gavin a, plus tard, accusé la star de lui avoir donné des somnifères et du vin avant de se livrer à des attouchements sur lui. Dans le film, on le voyait assis à côté de Jackson, sa main dans celle du chanteur. De temps en temps, il posait sa tête sur l’épaule de la pop star, tandis que Jackson avouait, avec candeur, dormir souvent avec des enfants. Des déclarations qui intéressent tout particulièrement le procureur général chargé de l’affaire, Thomas Sneddon. L’homme, surnommé Mad Dog (« chien fou »), ne cache pas son aversion pour Jackson, qui le décrivait dans sa chanson « D.S. » comme « un homme froid » voulant l’arrêter « mort ou vif ». Ce qui n’est pas loin d’être vrai. Sneddon, proche de la retraite, s’occupe du cas Jackson avec un acharnement qui prend des allures de vengeance personnelle. Tout a commencé en décembre 1993. Le roi de la pop était alors mis en cause dans une histoire de moeurs par un adolescent californien de 13 ans, Jordan Chandler. Ce dernier affirmait avoir subi des attouchements sexuels de sa part et donnait des informations précises à la police : des taches brunes sur les fesses et les parties intimes du chanteur. Jackson avait dû se soumettre à une humiliante séance de photos pour les besoins de l’enquête. Quatre mois après, l’affaire se réglait à l’amiable entre la star et la famille de l’adolescent, et celui-ci retirait sa plainte. En contrepartie, Jordan Chandler recevait une somme jamais divulguée dont on sait seulement qu’elle est comprise entre 15 millions et 40 millions de dollars (entre 11,8 millions et 31,5 millions d’euros), tandis que le procureur Sneddon, chargé de l’affaire à l’époque, voyait avec dépit sa proie lui échapper.
Dix ans après, il peut enfin espérer coincer Jackson grâce à une nouvelle loi instaurée après le cas Chandler. Désormais, il est interdit à un adulte accusé d’agression sexuelle sur mineur de rémunérer la victime pour la contraindre à retirer sa plainte. En outre, les enquêteurs, qui, en novembre dernier, ont perquisitionné la propriété du chanteur, auraient trouvé des preuves accablantes : une vidéocassette montrant une petite pièce secrète cachée derrière sa penderie, des disques durs d’ordinateurs, ainsi que des poèmes d’amour adressés à Gavin. Le 19 décembre, Jackson était formellement inculpé d’agression sexuelle sur un mineur de moins de 14 ans. Avec neuf chefs d’inculpation retenus contre lui, il risque vingt-quatre ans de prison. Autant dire qu’un retour sur scène du chanteur tiendrait du miracle.
Avec ce nouveau scandale, une vilaine tache a pour de bon assombri la légende Michael Jackson. Et ses fans, qui naguère se comptaient par millions, se font désormais rares. À Los Angeles, quatre jours après l’inculpation de Jackson, ils étaient seulement vingt-cinq à se retrouver sur le fameux Walk of Fame (« Promenade des célébrités ») à Hollywood. La poignée de fans avait alors crié sans conviction « Michael est innocent », avant d’entourer son étoile de chandelles en forme de coeur. Loin, très loin des foules déchaînées qui scandaient le nom du roi de la pop dans les années 1980, au plus fort de la Jacksonmania. Aux États-Unis, on notait des réactions anti-Jackson dès sa mise en examen. Ainsi, la fanfare d’un lycée de l’Indiana avait renoncé à interpréter sa chanson « Thriller » lors de la parade de la fête de Thanksgiving. Il est devenu également persona non grata en Grande-Bretagne, où il prévoyait de passer les fêtes de fin d’année. Des parlementaires anglais ainsi que des organismes de protection de l’enfance ayant vivement contesté son arrivée sur le sol britannique, Jackson a préféré annuler son voyage. Cette « mise en quarantaine » ne se notait pas seulement au niveau du public. Ses amis proches ne se sont pas non plus précipités pour le défendre. Quincy Jones, Marlon Brando et Lisa Marie Presley ont préféré garder le silence. Elizabeth Taylor, une amie de très longue date du chanteur, ne s’est manifestée que cinq jours après la mise en examen de Jackson. Elle s’est contentée de s’exprimer par le biais d’un communiqué, où elle disait : « Je sais que Michael est innocent et j’espère qu’ils vont tous s’en mordre les doigts. » Et si les accusations proférées étaient avérées…
Les plus invraisemblables rumeurs circulent sur Jackson depuis qu’il a commencé à livrer son visage aux scalpels des chirurgiens. Comme si sa face figée et désormais déshumanisée autorisait les pires spéculations. Ainsi, le magazine Vanity Fair affirme que le chanteur aurait fait déposer, il y a trois ans, 150 000 dollars dans une banque à Bali pour qu’un sorcier vaudou du nom de Baba jette un bain de sang sur plusieurs personnalités. Jackson aurait alors souhaité la mort de vingt-quatre personnes dont le réalisateur Steven Spielberg, par dépit de n’avoir jamais pu jouer dans aucun de ses films. Ces allégations n’ont pas été prouvées, mais contribuent à diaboliser un peu plus le chanteur. Il se plaît pourtant à montrer une image lisse et immaculée jusque dans sa carnation. Les murs de sa propriété sont couverts de fresques préraphaélites qui le représentent dans une posture androgyne, les hanches ceintes d’un voile, une nuée de chérubins volant autour de lui.
Narcissisme, paranoïa, schizophrénie, supposent les psys, qui voudraient bien cerner la star. Il faudrait pour cela remonter dans son enfance perturbée par un père qui maniait un peu trop la ceinture. Joe Jackson, artiste fruste et frustré, a développé le talent précoce de son fils à coups de taloches. Humilié par les mauvais traitements, exploité par un père qui n’avait de considération que pour l’argent, le chanteur ne s’est jamais remis d’avoir été privé de son enfance. C’est sans doute ce qui expliquerait cette quête presque obsessionnelle de la jeunesse, qui semble être le moteur de son existence. Certains psychiatres affirment que Jackson possède la psychologie d’un enfant de 12 ans. Le chanteur l’a lui-même reconnu dans le documentaire qui lui était consacré : « Au fond de mon coeur, je suis Peter Pan. » Peter Pan, l’enfant qui ne veut pas grandir. Dans son royaume féerique de Neverland, des litres de soda jaillissent des fontaines de marbre du jardin, dans lequel la grande roue du parc d’attractions surplombe le minizoo. Ce monde enchanté où il vit reclus ne met pas Jackson à l’abri des réalités qui ont fini par le rattraper comme au sortir d’un songe.
En effet, les disques du chanteur ne font plus recette depuis près d’une décennie. Son dernier album s’est écoulé à « seulement » 6 millions d’exemplaires, loin des 50 millions de copies vendues de Thriller.
Jackson ne fascine plus et ses dettes ne cessent de s’accumuler. S’il était jugé coupable, il pourrait quitter sa « prison dorée » de Neverland plus vite qu’il ne le pense, pour un sinistre endroit fort éloigné du monde féerique de Disney et de Peter Pan : le pénitencier. Car si la marque de fabrique de ce personnage volant est d’allier à l’éternelle jeunesse la faculté de pouvoir se déplacer dans les airs, Jackson, dont le visage décapé veut offrir une jeunesse factice, est lui bel et bien en chute libre.
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