Les outsiders

Outre Abdelaziz Bouteflika et Ali Benflis, une dizaine de candidats pourraient briguer la présidence de la République, dans trois mois. Plusieurs paraissent en mesure de faire davantage que de la figuration.

Publié le 12 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

Selon la loi algérienne, l’élection présidentielle doit avoir lieu dans les trente jours précédant l’expiration du mandat en cours. Abdelaziz Bouteflika ayant été officiellement investi le 27 avril 1999, le prochain scrutin devrait se tenir entre le 26 mars et le 26 avril prochains. La convocation du corps électoral doit quant à elle intervenir soixante jours avant le vote. Dans quelques semaines, voire quelques jours, donc…
Naturellement, à l’approche de l’échéance, la vie politique s’emballe. Les annonces de candidatures se multiplient, les unes émanant de partis, les autres de personnalités indépendantes convaincues de constituer une alternative crédible. Elles s’accompagnent d’une floraison de proclamations d’intention, de manifestes, de lettres ouvertes à l’opinion (et même à l’armée), de communiqués de presse…
Liamine Zéroual, l’ancien chef de l’État, est ainsi sorti d’un long silence pour remercier « tous les citoyens qui [le] pressent de se présenter ». Et, accessoirement, inviter Bouteflika à démissionner (comme lui-même l’avait fait le 11 septembre 1998), de manière à ancrer l’alternance dans les moeurs politiques algériennes. La veille, il s’était entretenu par téléphone avec Ali Benflis, le secrétaire général du FLN, pour lui témoigner sa solidarité après l’invalidation par la justice de la direction du parti élue par le dernier congrès. On sait (J.A.I. n° 2243) que celui-ci est vigoureusement contesté par une partie de la base et de l’encadrement…
L’échiquier politique algérien compte pas moins d’une soixantaine de formations, la plupart fantomatiques, sans aucun ancrage populaire. Cela ne signifie évidemment pas qu’il y aura soixante candidats. Pour éviter les candidatures fantaisistes, la loi impose en effet à chaque candidat le parrainage de 75 000 citoyens originaires de 25 wilayas (départements), sur les 48 que compte le pays. Les signatures recueillies doivent ensuite être avalisées par le Conseil constitutionnel. En 1999, cette disposition avait empêché deux anciens Premiers ministres, Sid Ahmed Ghozali et Réda Malek, de se présenter. C’est dire qu’il ne s’agit pas d’une simple formalité.
On n’en est pas encore là. Pour l’heure, les candidats déclarés ou virtuels sont, à ce jour, une dizaine. Soixante-dix pour cent d’entre eux appartiennent, ou ont appartenu, au « système ». Outre l’actuel président, il s’agit de trois anciens chefs du gouvernement (Ali Benflis, Mouloud Hamrouche et Ahmed Benbitour) et de trois anciens ministres (Ahmed Taleb Ibrahimi, Rachid Benyelles et Ali Abdessalam Rachedi). Des trois candidatures « hors système », une seule compte vraiment : celle de l’islamiste Abdallah Djaballah, patron du Mouvement de la réforme nationale (MRN-Islah), la première force d’opposition au Parlement. Les autres sont quasi anecdotiques, qu’il s’agisse de celle du Dr Mohamed Hadef, chef du très confidentiel Mouvement national de l’espérance (MNE), ou de celle de l’ancien combattant de la guerre de libération Ali Rebaïne (Ahd 54).
Au lendemain de son investiture, le 30 décembre, par le majlis ech-choura (conseil consultatif) du MRN, Djaballah s’est vu offrir un beau cadeau. À l’Assemblée populaire nationale (APN), la Chambre basse du Parlement, ses partisans ont en effet réussi à faire adopter des amendements importants : la suppression des bureaux de vote « spéciaux » (casernes pour les militaires, urnes itinérantes pour les populations nomades du Sud) et la remise aux scrutateurs représentant les différents partis d’une copie du fichier électoral. Au nom de la défense des libertés individuelles, le ministre de l’Intérieur était opposé à cette dernière disposition.
Djaballah entame donc sa course présidentielle par un premier succès. Dans quelques semaines, il pourrait se révéler comme le rival le plus dangereux du président sortant. Nous reviendrons sur l’itinéraire de cet islamiste atypique, qui, à la fin des années 1980, eut le courage de refuser de prêter allégeance au Front islamique du salut (FIS), alors que celui-ci paraissait sur le point de balayer la République pour instaurer le Califat.
En dehors de Benflis, de Djaballah et de Bouteflika (qui pourrait annoncer officiellement sa décision dans quelques jours), qui sont les autres candidats, déclarés ou virtuels ?

Les candidats déclarés
Dissident du Front des forces socialistes (FFS), le parti d’Hocine Aït Ahmed, et ancien ministre, Ali Abdessalam Rachedi a été le premier à se lancer dans la course. Privé d’appareil électoral et de base militante conséquente, il n’est pas dit qu’il aille jusqu’au bout. Beaucoup le voient même jeter l’éponge avant le début de la campagne officielle. Peut-être le général à la retraite Rachid Benyelles (63 ans) et l’ancien Premier ministre Ahmed Benbitour seront-ils dans le même cas.
Comme Boutef, le premier est originaire de Tlemcen, dans l’Ouest. Ce qui ne l’empêche pas de vouer au président une haine inexpiable, qui, parfois, semble altérer son discernement. Ancien patron de la marine, il jouit d’une solide réputation d’intégrité. Pour protester contre la terrible répression des manifestations d’octobre 1988 (plusieurs centaines de victimes), il fut le seul responsable de premier plan à démissionner de toutes ses fonctions officielles : il était alors ministre et membre du bureau politique du FLN. Curieusement, la méthode qu’il préconise pour vaincre l’islamisme armé ne diffère guère de celle mise en oeuvre par l’actuel chef de l’État. Avant de se lancer dans l’aventure, il admet avoir consulté ses anciens camarades de l’armée et obtenu des garanties quant à leur neutralité et à la transparence du scrutin. Pour « éviter les dérives dictatoriales du type Bouteflika », il est favorable à l’adoption d’une Constitution « à la turque » accordant aux forces armées un rôle primordial dans la vie politique.
Benbitour éprouve lui aussi à l’égard de Boutef, dont il fut le Premier ministre de janvier à août 2000, une vive inimitié. Contrairement à Benflis, son successeur à la tête du gouvernement, il a préféré rendre son tablier plutôt qu’attendre d’être limogé. Dans la lettre de démission qu’il a adressée au président – et que celui-ci a rendu publique -, il se plaignait de n’avoir pas les coudées franches pour diriger l’exécutif. En fait, Benbitour avait un problème d’autorité avec ses ministres réputés proches de Bouteflika, notamment Hamid Temmar (Privatisations), Chakib Khelil (Énergie) et Abdelatif Benachenhou (Finances). Pour séduire les électeurs, cet universitaire originaire du Mzab (la région de Ghardaïa), qui fut plusieurs fois ministre dans les années 1990, propose une nouvelle période de transition avec l’application d’uns stratégie de développement mise au point après consultation de l’ensemble de la classe politique.
Benyelles et lui parviendront-ils à recueillir les 75 000 signatures requises (voir J.A.I. n° 2241-2242) ? C’est loin d’être acquis. Dépourvus de véritable ancrage populaire, l’un et l’autre n’existent, pour l’instant, qu’à travers les médias.

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Les candidats virtuels
Ils sont légion, mais deux sortent du lot. Le premier est une vieille connaissance : Ahmed Taleb Ibrahimi, l’ancien chef de la diplomatie de Chadli Bendjedid, qui chasse sur les terres électorales du FIS dissous. Son principal handicap : il ne dispose pas d’un parti à sa dévotion, le ministère de l’Intérieur ayant refusé d’accorder son agrément au Wafa, la formation qu’il a tenté de créer en 2000. Pourtant, il paraît en mesure de mobiliser les islamistes déçus par les partis politico-religieux. Ibrahimi pose certaines conditions avant de se lancer dans la bagarre (voir J.A.I. n° 2241-2242), mais sa décision semble prise. Lors de la précédente consultation présidentielle, en 1999, il avait réussi la gageure de réunir un million de suffrages, alors qu’il s’était retiré à la dernière minute pour protester contre les irrégularités qui avaient, selon lui, émaillé la campagne.
L’autre candidat virtuel se nomme Mouloud Hamrouche. Ancien Premier ministre de Chadli Bendjedid et chef de file des réformateurs du FLN au début des années 1990, il jouit d’une réelle popularité. Enfant du système, ce Constantinois de 60 ans est convaincu que celui-ci ne peut être transformé que de l’intérieur. Il n’a pas encore annoncé sa candidature, mais tout laisse à penser qu’il s’y prépare. Dans une récente déclaration, il a vivement critiqué la « bipolarisation » de la vie politique (allusion à la rivalité Boutef-Benflis), qui occulte, selon lui, le véritable débat. Une anecdote permet de mesurer l’importance de son éventuelle candidature. Il y a quelques semaines, alors que nous préparions notre enquête sur le « Match Boutef-Benflis » (voir J.A.I. n° 2243), un proche collaborateur du chef de l’État ne nous a pas caché que nous faisions, à son avis, fausse route : « Si Boutef devait avoir un rival sérieux, ce serait Hamrouche. »

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