[Série] Fela Kuti : « Zombie », un combat bien vivant (4/5)
« Chansons mythiques africaines » (4/5) – Pépite de l’afrobeat, ce titre de douze minutes ridiculise la junte nigériane. Le chanteur le payera cher.
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De tous les brûlots musicaux délivrés par Fela Kuti, Zombie est sans doute le titre qui a le plus marqué les esprits. C’est aussi celui qui a fait basculer le destin du chanteur. L’album éponyme sort en 1977 sur le label Coconut Records au Nigeria. Inspiré par les idées de Malcolm X, de Kwame Nkrumah et de Frantz Fanon, l’autoproclamé « Black President » a, peu à peu, radicalisé son propos mêlant un panafricanisme militant aux diatribes visant autant les multinationales occidentales que les juntes militaires de son pays. Corruption, inégalités, violences… Fela Kuti dénonce les abus du pouvoir depuis le Shrine, un night-club privé où il organise ses concerts… qui sont autant de meetings politiques.
Le zombie ne pense que si on lui dit de penser
En janvier 1977, tandis que se tient le Festival mondial des arts nègres de Lagos, qu’il boycotte, il interprète pour la première fois Zombie avec son groupe Africa 70 lors d’une série de concerts gratuits qui attirent la foule et les journalistes. Il faut patienter un peu plus de cinq minutes d’une transe afrobeat enfiévrée, mêlant highlife ghanéen, percussions traditionnelles et jazz hard-bop, pour que la voix chaude de la star nigériane nous en dise un peu plus, en pidgin, sur ces mystérieux morts-vivants qui inspirent la chanson… « Le zombie n’avance que si on lui dit d’avancer, le zombie ne s’arrête que si on lui dit de stopper, le zombie ne pense que si on lui dit de penser… »
La métaphore est évidente. Ces pantins décérébrés, contrôlés par des puissants assoiffés de sang, sont évidemment les soldats du régime. L’attaque est d’autant plus brutale que le titre devient aussitôt un hit au Nigeria.
Vous pouvez revenir ici avec des bazookas, des fusils et des bombes, je ne vous ouvrirai pas !
Brutalité inouïe
C’est la chanson de trop pour la junte au pouvoir. Les détentions répétées du Black President (pour détention de cannabis et détournement de mineures) n’ont pas eu raison de son engagement. Le général Olusegun Obasanjo convainc le conseil militaire de frapper plus fort. Reste à trouver un prétexte… Il survient quelques jours après la fin du festival des arts nègres, le 18 février 1977. Il est reproché au fils du chanteur, Femi Kuti, d’avoir agressé, avec des amis, des policiers à la suite d’un contrôle routier. Des soldats viennent le chercher chez son père, dans la « République de Kalakuta ». Cette résidence – au sein d’une enceinte fortifiée située à Mushin, en banlieue de Lagos –, regroupe les musiciens et les membres de la famille Kuti. Mais Fela refuse d’ouvrir. Il active même la clôture électrifiée de la maison, blessant les agents. « Vous pouvez revenir ici avec des bazookas, des fusils et des bombes, je ne vous ouvrirai pas ! » aurait-il lancé.
Près d’un millier de militaires armés se masse bientôt autour de la propriété. Ils ordonnent l’évacuation, puis mettent le feu au générateur électrique des bâtiments, coupent les barbelés et se ruent vers la propriété. Leur colère s’exprime à travers leurs débordements d’une brutalité inouïe : des femmes sont violées, les parties génitales de certains musiciens sont broyées… Tous sont frappés violemment… Beko, le frère de Fela, passera plusieurs mois en chaise roulante ; sa mère de 77 ans, Funmilayo Ransome-Kuti, est défenestrée. Elle s’éteindra quelques mois plus tard. En sa mémoire, le chanteur ira symboliquement déposer un cercueil devant le quartier général du gouvernement militaire.
Malgré les plaintes de l’artiste, personne ne sera inquiété par l’enquête judiciaire. Fela Kuti tirera de cet épisode macabre deux chansons : Unknown soldier et Coffin for Head of State. Elles font référence au soldat inconnu à qui l’on a imputé la responsabilité de ces atrocités, mais aussi au cercueil de sa mère offert aux dirigeants du pays.
Malgré l’horreur, Fela Kuti ne baissera jamais le ton, jusqu’à sa mort en 1997. Et il continuera d’interpréter Zombie. Joué en 1978 dans le stade d’Accra, le titre enflammera tant les spectateurs qu’il provoquera des manifestations de rue, réprimées dans le sang. Preuve que les paroles du Black President visaient juste, bien au-delà de son Nigeria natal.
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