Globalement positif

Dix ans après sa création, le 10 janvier 1994, l’organisation d’intégration régionale mesure le chemin parcouru. Mais aussi ce qui lui reste à faire.

Publié le 12 janvier 2004 Lecture : 4 minutes.

Faire le bilan de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) dix ans après sa création, le 10 janvier 1994, c’est un peu comme se prononcer devant la bouteille d’eau : est-elle à moitié pleine ou à moitié vide ? On peut affirmer une chose et son contraire. Les huit pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) de cette organisation d’intégration régionale ne sont certes pas au mieux de leur forme. Mais qu’en aurait-il été sans l’Union ? Livrée à elle-même, la Côte d’Ivoire, en crise depuis 1999, n’aurait jamais pu contenir son inflation ; elle a même réussi à engranger en 2003 des recettes douanières supérieures de 10 milliards de F CFA à celles de 2002. Et que dire de la Guinée-Bissau, dont le taux annuel d’augmentation des prix, supérieur à 50 % avant 1997, a été ramené à 3 % malgré les soubresauts politiques qu’elle a connus au cours des toutes dernières années ?
À l’occasion des manifestations organisées à Niamey, du 6 au 10 janvier, pour célébrer le dixième anniversaire de l’Union, ses responsables, à commencer par le Sénégalais Moussa Touré, président de la Commission, l’organe exécutif, ne se sont pas privés de mettre en avant le travail accompli depuis 1994. Mais il a fallu d’abord amener les États à harmoniser leurs objectifs et leurs politiques. L’institution d’un mécanisme de surveillance multilatérale leur a donné un droit de regard les uns sur les autres. Puis a été adopté en 1999 un Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité, par lequel chaque pays s’engage à respecter des critères très précis dans la gestion de ses finances publiques, qu’il s’agisse de la dette, des arriérés de paiement ou de la masse salariale.
Si, crise ivoirienne aidant, la convergence n’a pu être atteinte en 2003, les États ont tous fait d’importants efforts d’ajustement : partout, le ratio masse salariale/recettes fiscales est tombé en dessous de 40 %. Les résultats sont tout aussi probants pour ce qui touche aux efforts en vue de la création d’un marché commun. Depuis le 1er janvier 2000, les produits originaires des pays de l’Union circulent librement, sans restriction quantitative ni droits de douane. Un système provisoire de compensation a été mis en place au profit des pays ainsi privés d’importantes recettes.
Ce n’est pas tout, il y a aussi la politique commerciale commune, l’harmonisation des systèmes fiscaux, l’adoption d’un tarif extérieur commun. Sans oublier les actions sectorielles engagées dans l’agriculture, les mines, les infrastructures… Des opérations très concrètes sont régulièrement engagées, comme, en ce moment, l’aménagement de postes-frontières intégrés entre le Burkina et le Mali ainsi qu’entre le Burkina et le Ghana.
Tout cela fait que l’UEMOA est le plus avancé des regroupements régionaux africains. Mais beaucoup reste à faire pour arriver à un véritable marché commun. L’harmonisation fiscale a pris du retard. Les entreprises sont encore souvent doublement taxées : dans leur pays d’origine et dans celui où elles viennent opérer. La libre circulation des marchandises, par ailleurs, n’est qu’une étape. Il faut passer à la libéralisation des capitaux et des services, à commencer par l’électricité, les télécommunications, les transports de toute nature. Le libre établissement des hommes doit également être garanti, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
À l’heure des bilans et des cérémonies d’anniversaire, la crise ivoirienne est dans tous les esprits. Le taux de croissance de la Côte d’Ivoire a chuté de 7 % avant 1999 à – 2,2 % en 2003. Ce pays comptant pour 40 % dans le PIB de la zone, cette dernière a vu sa croissance moyenne passer de 5 % en 1998 à environ 2 % aujourd’hui. La coupure en deux de la Côte d’Ivoire a des répercussions innombrables au Burkina, au Mali, au Niger, pays enclavés dont, avec ses ports, ses routes, ses industries, elle est traditionnellement le poumon économique. La modification des flux de transport a des effets encore difficiles à mesurer dans la déstructuration de l’espace économique, mais aussi dans des domaines plus inattendus comme la santé, avec la création de nouvelles filières de prostitution échappant à tout contrôle.
Se pose aussi la question des relations avec la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), l’autre organisation de la sous-région – dont l’UEMOA et ses huit pays sont membres. Celle-ci s’est distinguée, depuis une dizaine d’années, par ses interventions dans les conflits armés, notamment au Liberia et en Sierra Leone. « La CEDEAO est arrivée à la politique malgré elle », estime Moussa Touré, auquel il a été reproché de ne pas intervenir dans le dossier ivoirien. Pour l’ancien ministre sénégalais, la Communauté a un peu perdu de son âme d’organisation d’intégration régionale. Elle revient cependant peu à peu dans le champ économique. On sait qu’une seconde zone monétaire est en voie de constitution, regroupant, à l’instar du Nigeria, les pays possédant encore leur propre monnaie. Elle a vocation à fusionner avec l’UEMOA afin de constituer une seule zone.
Est-ce à dire que l’UEMOA se dissoudra un jour prochain dans la CEDEAO ? Dans bien des domaines, comme l’énergie ou les transports, la constitution d’un espace communautaire élargi serait très profitable. Encore faut-il que beaucoup de conditions soient réunies. En matière de convergence des politiques économiques, d’abord. Mais aussi parce que toute nouvelle monnaie devra offrir les mêmes garanties que le franc CFA à ses utilisateurs. Faute de quoi l’UEMOA, qui a été construite autour de la gestion de ce dernier, gardera sa raison d’être.

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