Avis de gros temps

Sur fond de tensions politiques et de hausse des prix de certains produits, la population craint une année morose, en dépit d’une croissance de plus de 6 % en 2003.

Publié le 12 janvier 2004 Lecture : 4 minutes.

Les Sénégalais auront terminé l’année 2003 comme ils l’avaient commencée : dans la morosité. L’an dernier, en effet, le pays avait eu beaucoup de mal à se remettre du terrible choc causé par le naufrage du Joola – plus de mille huit cents victimes – et des polémiques sans fin qui se sont ensuivies. Alors que ce dossier n’est toujours pas bouclé, le Sénégal a vécu l’année écoulée au rythme de scandales politico-financiers (avérés ou montés de toutes pièces) et de révélations sensationnelles rarement étayées par des preuves. Voire d’accusations de la part d’hommes politiques en mal de reconnaissance pour certains ou de réhabilitation pour la grande majorité d’entre eux. « Les joutes politiques que mes compatriotes adorent ont émaillé l’année 2003, reconnaît un grand avocat de la place, sans que l’on n’en cerne véritablement les enjeux. À ma connaissance, il n’y a aucune échéance électorale en vue avant deux ans, et la frénésie qui s’est emparée d’une partie de la classe politique est totalement puérile. Faire voler en éclats l’actuelle coalition gouvernementale peut s’avérer un jeu très dangereux. »
Soit. Mais à l’évidence les Sénégalais ont passé une mauvaise année 2003 et n’ont pas manqué l’occasion de le faire savoir. Ainsi, à Dakar, au soir du 31 décembre, des dizaines de milliers de jeunes se sont rassemblés sur la place de l’Indépendance pour assister à des concerts (qui n’en avaient que le nom) et à un bien décevant spectacle de « sons et lumières ». Après avoir hué les artistes, les jeunes se sont défoulés plus qu’à l’accoutumée en lançant des milliers de pétards et autres minifumigènes. Pour manifester aussi leur mécontentement contre le fait que, pour la première fois depuis quinze ans, les traditionnels travaux d’embellissement de la capitale à l’occasion des fêtes de fin d’année ont été purement et simplement annulés par le maire, Pape Diop. Lequel voit également nombre de ses administrés, excédés, lui reprocher les embouteillages monstres que leur bonne vieille ville a connus au cours des derniers jours de 2003. Tandis que d’autres, traduisant sans doute le sentiment général de la population, s’inquiètent de la multiplication des annonces de hausses des prix en 2004, notamment pour le pain, le gaz domestique et le gasoil.
Pas de bon augure pour la relance d’une consommation qui donnait déjà de sérieux signes d’essoufflement l’an dernier. « Après des ventes décevantes lors de la korité (la fin du ramadan) et un faible chiffre d’affaires pour Noël, nous pensions nous refaire une santé pour le 31 décembre, soupire Oualid, un commerçant du centre-ville. Malheureusement, il n’en a rien été, comme si les gens craignaient des lendemains difficiles. » Un sentiment largement partagé à Dakar alors que, officiellement, le pays aurait atteint l’an dernier une croissance supérieure à 6 % (nettement mieux que les 2,4 % de 2002) sans que l’aggravation de la pauvreté soit enrayée. Loin s’en faut, du moins au regard des critères de la Banque mondiale, qui estime qu’un taux de croissance de 8 % au moins est nécessaire pour engager une dynamique vertueuse susceptible de se traduire par la création d’emplois – le chômage est la préoccupation numéro un des Sénégalais.
De fait, la réalité et les faiblesses structurelles de l’économie locale montrent que ces statistiques ne traduisent pas le quotidien des Sénégalais. Lors de la présentation de ses voeux au pays, le chef de l’État les a, du reste, invités à croire en l’avenir, après leur avoir rappelé les vertus du travail et de l’effort. Face à la multiplication de rumeurs sur des « affaires », Wade a annoncé qu’il avait « engagé le gouvernement à accorder une priorité à la transparence, vertu démocratique et condition essentielle du développement économique accéléré ». Enfin, et cette fois-ci en direction de ceux – ils sont nombreux – qui ne cessent de critiquer sa présidence, il a annoncé la publication, en mars 2004, d’un livre présentant le bilan de son action depuis son accession à la tête du pays il y a quatre ans.
Volontairement très conciliant, Abdoulaye Wade a aussi appelé les hommes politiques – toutes sensibilités confondues – à se rassembler et à conjuguer leurs efforts pour consolider les progrès accomplis par les différents gouvernements de l’alternance. Il faut dire que quelques jours plus tôt, Abdoulaye Bathily, vice- président de l’Assemblée nationale et leader de la Ligue démocratique-Mouvement pour le travail (LD-MPT), avait tiré à boulets rouges sur le Parti démocratique sénégalais (PDS, la formation présidentielle), son allié, en lui demandant « de respecter les engagements pris » et en « rappelant que s’il n’y a pas de concertation, l’alternance connaîtra un échec ». Simple coïncidence, au même moment, Landing Savané, ministre de l’Industrie et de l’Artisanat et chef de file d’And Jëf-PADS, tenait un discours tout aussi critique pour indiquer qu’il se sentait « dans l’obligation de prendre le pays à témoin, ne serait-ce que par devoir de transparence ».
L’un et l’autre seraient-ils en train de suggérer au président Wade – lui-même en froid avec son premier ministre Idrissa Seck – qu’avant de rassembler, il devra commencer par dissoudre l’actuel gouvernement afin de redonner une certaine homogénéité à une équipe qui, depuis quelques mois déjà, navigue à vue ? Une seule certitude : si le chef de l’État accède à cette invite, il pourra alors – enfin – se lancer… concrètement dans la réalisation de ce que l’on appelle ici les « grands chantiers du président », qui ne font plus rêver ses compatriotes, qui, il est vrai, attendent depuis plus de trois ans. Parmi ces projets, deux pourraient être mis en route dès cette année – au moins au niveau des études. C’est le cas de l’autoroute Dakar-Thiès et, surtout, du futur aéroport international de N’Diass, à 80 km de Dakar, pour suppléer celui de la capitale, particulièrement saturé, qui a reçu l’an dernier plus de 1,3 million de passagers.
Mais pour que ces deux « rêves présidentiels » puissent devenir réalité, il reste encore à trouver des investisseurs internationaux capables de mettre sur la table la coquette somme de 530 millions d’euros…

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