Ahmadou Kourouma : le langage du terroir
Ahmadou Kourouma était un des grands porte-drapeaux des lettres africaines. Mourir à Lyon, en France, a dû le ronger. En rendant l’âme, le 11 décembre 2003, il a certainement repensé à cette phrase de son livre Les Soleils des indépendances (Le Seuil, 1970) : « Si l’on n’était pas dans l’ère des indépendances, je vous le jure, on n’aurait jamais osé inhumer Koné Ibrahima dans une terre lointaine et étrangère. » Plus de trente ans après, lui-même est inhumé à Lyon, loin de son pays, la Côte d’Ivoire.
Nouakchott. C’est là, chez l’écrivain guinéen Williams Sassine, que j’ai découvert en 1987 Ahmadou Kourouma. « Tiens, voilà deux romans que je voudrais que tu lises, me dit-il. Le premier, Juletane, est d’une amie, Myriam Vieyra, une Guadeloupéenne établie au Sénégal et confrontée au rejet et à la polygamie. Le second, Les Soleils des indépendances, est d’un auteur ivoirien originaire d’une région proche de la Guinée. Tu apprécieras son style très particulier… »
Ce livre, que j’ai lu et relu au lycée – car il fait partie du programme scolaire -, décrit la grande fissure entre les attentes des indépendances et les résultats de la gestion due à nos dirigeants postcoloniaux. À l’école, j’ai savouré la succulence de son texte écrit avec simplicité. Je n’avais aucune peine à comprendre le français-malinké de Kourouma et à le traduire en peul ou en soninké !
Accusé d’avoir participé à une tentative de coup d’État en Côte d’Ivoire, Kourouma fut contraint à l’exil. Il traîne ses remords au Togo, en Algérie, au Cameroun. Ces pays serviront de trame à En attendant le vote des bêtes sauvages (Le Seuil, 1998) où il brocarde les démocraties bananières d’Afrique. Puis il y aura cet arrêt sur Birahima, l’enfant soldat, dans Allah n’est pas obligé (Le Seuil, 2000).
Lorsqu’on évoque son « français petit nègre peu soutenu », Le Diseur de vérité (titre de son unique pièce de théâtre, 1998) répond : « Si on écrit comme le Français, c’est inutile. Puisqu’on lui renvoie sa propre réalité qu’il connaît mieux que nous. Donc autant écrire le langage de son terroir… »
Ahmadou Kourouma, c’était cette écriture salvatrice et avant-gardiste que j’ai appréciée le plus en lui. Et si l’on écrit pour être entendu, tous ses écrits ont fait écho. Alors, écolier je reste.
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