Vers une industrie du savoir

Aux côtés de l’automobile et de l’électronique, l’« offshoring » est l’un des axes de développement de l’économie marocaine. Le secteur pourrait créer plus de 100 000 emplois en six ans.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Emergence. Sous ce nom plein de promesses se cache le programme fixant les nouvelles stratégies de l’industrie marocaine à l’horizon 2015. Parmi les secteurs qui feront l’objet d’une batterie de mesures incitatives et d’investissements publics figurent, entre autres, le tourisme, l’automobile, l’électronique et l’offshoring. Offshoring ? Un ensemble d’activités comprenant les centres d’appels et de renseignements téléphoniques, les plates-formes de support technique (hotlines), la création et le développement de sites Internet et de logiciels, ainsi que la délocalisation des fonctions de back-office (services administratifs, comptables, etc.) de grandes firmes occidentales, françaises et espagnoles notamment. « Le challenge consiste à passer d’une industrie de la sous-traitance, créant peu de valeur ajoutée, à une véritable industrie du savoir, résume Kamil Benjelloun, président délégué de CBI, une société spécialisée dans les technologies de l’information, installée à Casablanca. Si la croissance de cette activité continue à ce rythme, on peut raisonnablement envisager, d’ici à 2012, la création de 100 000 emplois et 15 milliards de dirhams (1,35 milliard d’euros) de chiffre d’affaires rien qu’avec les centres d’appels. »
Fondée il y a trente-cinq ans, CBI est l’une des plus anciennes entreprises de nouvelles technologies de la capitale économique marocaine. Elle affiche un chiffre d’affaires de 200 millions de DH et emploie 220 salariés, pour la plupart ingénieurs. Elle accompagne le développement des « métiers de l’intelligence » et la modernisation des infrastructures informatiques des grandes sociétés marocaines, comme les banques et les assurances. « Nous aidons nos clients à gagner en productivité pour qu’ils résistent mieux à la concurrence des firmes étrangères implantées sur le marché chérifien », explique Kamil Benjelloun. En clair, les activités liées aux nouvelles technologies peuvent profiter à l’ensemble de l’économie marocaine.
Certains effets sont déjà tangibles. Le nombre de cartes de crédit en circulation est ainsi passé de 400 000 à 3 millions en cinq ans, et le taux de bancarisation de 17 % à 25 %. Le Maroc possède aujourd’hui les infrastructures de télécommunication les plus avancées du continent, avec l’Afrique du Sud. Trois opérateurs de téléphonie fixe et mobile se partagent le marché : Maroc Télécom, l’opérateur historique aujourd’hui filiale du français Vivendi ; Méditel, contrôlé par l’espagnol Telefonica et par Portugal Telecom ; et Maroc Connect, le dernier à s’être engouffré dans la brèche. La technologie ADSL s’est, elle aussi, généralisée. « Techniquement, les standards marocains sont de niveau européen, précise un expert étranger. C’est évidemment un atout auquel les investisseurs ne restent pas insensibles. » Reste la fracture numérique : seuls 11 % des ménages possèdent un ordinateur personnel et le nombre d’abonnements à Internet atteint 360 000 à la fin 2006, soit 2 % la population. Le niveau d’équipement des entreprises est très moyen : le nombre d’ordinateurs par employé est de 0,37 % dans l’ensemble du pays, et celui des sociétés ?disposant d’un réseau Intranet atteint à peine les 30 %.
Le royaume n’a donc pas encore complètement intégré « l’industrie du savoir ». Ce qui ne l’empêche pas d’être leader en Afrique dans le domaine des centres d’appels, devant la Tunisie et le Sénégal. Le pays a profité pleinement de « l’effet délocalisation », et ses clients d’un vivier de main-d’uvre presque inépuisable. Des milliers de diplômés de l’enseignement supérieur, parfaitement francophones ou hispanophones, sont prêts à s’improviser téléopérateurs. « Ce n’est pas très valorisant, surtout quand, comme moi, on possède une maîtrise en géographie et qu’on se destinait à l’enseignement, raconte, dans un français impeccable, Nora, 25 ans, salariée depuis quelques mois d’une société installée à Sidi Maârouf, non loin du Technopark de Casablanca. Mais c’est le seul secteur qui embauche, et les salaires, de l’ordre de 3 000 à 4 000 DH pour 45 heures hebdomadaires, sont malgré tout attractifs. » Ils sont, en moyenne, trois fois inférieurs à ceux pratiqués en France.
CBI, la société de Kamil Benjelloun, est entrée au capital d’une société spécialisée dans les centres d’appels : Intelcia. Elle emploie aujourd’hui 350 personnes. « À l’origine, les call-centers marocains limitaient leurs prestations au renseignement téléphonique. Elles évoluent maintenant vers des activités à plus haute valeur ajoutée, comme le support technique et la vente, et se lanceront demain dans le back-office. Nos clients naturels sont les entreprises françaises et espagnoles encore très en retard sur leurs homologues américaines et britanniques, qui ont commencé à délocaliser leurs activités de back-office en Inde dès la fin des années 1980. Le phénomène semble inéluctable. L’externalisation permet, par exemple, des économies de 20 % sur les frais de fonctionnement d’une compagnie d’assurances. »
À terme, cependant, l’économie marocaine devra passer à la vitesse supérieure pour accomplir sa mue technologique. L’externalisation crée davantage de valeur ajoutée que les centres d’appels basiques, mais reste une industrie concurrentielle et risquée. « Tout repose sur la compétitivité, explique un analyste. Les entreprises qui délocalisent ne font pas de sentiments. Dès qu’elles trouvent moins cher ailleurs, elles partent. C’est ce qui est en train de se passer pour le textile marocain et tunisien depuis l’émergence de la Chine. La meilleure stratégie consiste à développer la création de logiciels et de solutions Internet, en misant sur les compétences et la créativité de nos ingénieurs. » Ce tournant, certaines PME marocaines l’ont déjà négocié. HPS et S2M par exemple, qui figurent parmi les leaders mondiaux de la production de logiciels monétiques. Mais aussi CBI, qui exporte ses services en Mauritanie, au Sénégal, au Mali, et vise les marchés français et espagnol. « Le pays possède aussi tous les atouts nécessaires pour devenir une sorte de hub à l’intention des multinationales intéressées par les marchés du Maghreb, du Moyen-Orient et de l’Afrique subsaharienne », remarque Nasser Kettani, directeur régional de Microsoft Afrique du Nord. Les cadres expatriés connaissent davantage l’environnement culturel marocain que celui des pays du Golfe par exemple ». Le Maroc, bientôt plaque tournante des nouvelles technologies ? C’est en tout cas la place visée par la stratégie offshoring.

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