Un sang neuf pour les lettres françaises

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Il n’a échappé à personne que plusieurs des grands prix littéraires français ont été attribués cette année à des auteurs nés hors de l’Hexagone. Alors que l’Américain Jonathan Littell raflait à la fois le Goncourt et le Grand prix de l’Académie française pour Les Bienveillantes (Gallimard), le Renaudot revenait au Congolais Alain Mabanckou (Mémoires de porc-épic, Le Seuil), tandis qu’une écrivaine originaire du Canada, Nancy Huston, remportait le Femina (Lignes de faille, Actes Sud). Et ce n’est pas tout, puisque le Goncourt des lycéens, un prix qui garantit des ventes très importantes au lauréat, a été décerné à la jeune Camerounaise Léonora Miano pour son second roman Contours du jour qui vient (Plon).
La production littéraire française serait-elle si mal en point qu’il faille aller chercher aux quatre coins du monde des auteurs à distinguer ? Comme le signalent de nombreux observateurs avisés, la France connaît en réalité à son tour un phénomène vieux d’un quart de siècle au Royaume-Uni : dans le pays de Shakespeare et de Charles Dickens, la littérature a été dopée par l’apport d’auteurs tels que Salman Rushdie, Hanif Kureishi, Ben Okri, V.S. Naipaul ou encore Zadie Smith, tous originaires de l’ancien empire britannique.
Est-ce à dire que la prose strictement hexagonale ne présente plus rien d’intéressant ? Loin s’en faut. Jean Echenoz, Jean-Paul Dubois, Patrick Modiano et tant d’autres sont d’excellents écrivains. Seulement, fidèles à une tradition française bien établie, ils font plus de l’autofiction que de la fiction et sont plus attachés à soigner leur style qu’à raconter des histoires. D’une certaine façon, ils restent marqués par l’épisode du Nouveau Roman des années 1950, pour lequel, ainsi que l’a écrit Jean Ricardou, le roman n’est plus « l’écriture d’une aventure », mais « l’aventure d’une écriture ».
Or les goûts du public ont changé, comme le montre le succès en France des ouvrages d’auteurs anglo-américains comme John Irving, Paul Auster, William Boyd, Russell Banks ou encore Ian McEwan, qui s’imposent par leur force narrative.
Ce n’est pas un hasard si, sur les quelque 680 romans publiés en France au cours des trois derniers mois, plus de 200 étaient des traductions, dont une très grosse partie en provenance de l’anglais. Il est clair qu’Alain Mabanckou ou Jonathan Littell apportent une ouverture sur le monde qui n’est pas le fort des auteurs franco-français, surtout tournés vers eux-mêmes. Et si le succès de Yasmina Khadra ne se dément pas – son dernier livre, Les Sirènes de Bagdad (Julliard), a été classé par le magazine Lire comme le meilleur roman français 2006 -, c’est que le romancier algérien s’attaque de front à des grands problèmes politiques contemporains (la guerre civile en Algérie, les attentats-suicides au Proche-Orient, le régime des talibans en Afghanistan).
Encore ces remarques ne doivent-elles pas faire oublier que l’accusation de nombrilisme portée contre les écrivains français n’est pas nouvelle. Pascal reprochait déjà à Montaigne de s’intéresser un peu trop à son « haïssable moi ». Pourtant, de Madame de Lafayette à Proust, en passant par Stendhal et Gide, ce nombrilisme a donné naissance à des chefs-d’uvre inoubliables. Le roman d’introspection a probablement encore de beaux jours devant lui.

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