En Libye, Kaïs Saïed et Abdel Fattah al-Sissi espèrent travailler main dans la main
Le président tunisien se rend au Caire entre le 9 et 11 avril. La Libye et sa reconstruction devrait être au cœur des discussions entre les deux chefs d’État.
Le président tunisien Kaïs Saïed se rend au Caire entre le 9 et le 11 avril à l’invitation de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Depuis la chute des régimes de Moubarak et de Ben Ali en 2011, ce sera simplement la deuxième visite officielle d’un chef d’État tunisien au Caire. Son prédécesseur, Béji Caïd Essebsi avait rencontré le président Sissi lors du 26e sommet Arabe au Caire et effectué un déplacement officiel en octobre 2015 pour marquer la relance du Haut Comité conjoint égypto-tunisien, baromètre des relations bilatérales.
Les rapports entre les deux pays ont connu un coup de froid avec l’éviction de Mohamed Morsi et des Frères musulmans du pouvoir en 2013. Le parti Ennahdha, qui tenait les commandes en Tunisie, avait apporté son soutien à la confrérie et boycotté Sissi, craignant même que le renversement de Morsi au Caire n’inspire un soulèvement similaire en Tunisie. Depuis, le Nil a coulé sous les ponts : Kaïs Saïed, dont les prérogatives s’étendent à la politique extérieure, a gagné en assurance. Et pratique une politique étrangère émancipée de toute idéologie. Le président tunisien s’est d’ailleurs entretenu au téléphone avec son homologue égyptien le 27 mars, appel au cours duquel il lui a assuré du soutien tunisien sur la question du barrage éthiopien sur le Nil.
« Oum el dunya »
Les relations historiques entre Tunis et Le Caire sont marquées par les figures de Gamal Abdel Nasser et Habib Bourguiba, deux leaders des indépendances considérés par leurs peuples comme les pères de la nation. Tous deux ont misé sur la modernisation des sociétés arabes mais le nationaliste arabe Nasser a fait le choix de s’appuyer sur l’armée pour consolider la position régionale de l’Egypte tandis que Bourguiba a plutôt misé sur le développement et l’éducation.
Durant la guerre froide, Bourguiba a penché pour les États-Unis, quand Nasser est célèbre pour avoir incarné le non-alignement. Le raïs égyptien s’était même tourné sans complexe vers l’URSS après le refus américain de financer le barrage d’Assouan.
L’Égypte conserve, en dépit des ans et du déclin de son influence culturelle dans le monde arabe, une image de prestige en Tunisie. « L’Égypte est toujours pour nous « Oum el dunya » [la mère de l’univers], c’est tout dire. On ne peut qu’admirer le cinéma égyptien qui a fait école, l’abondance de la littérature et le niveau de la chanson égyptienne qui a donné des divas comme Oum Kalthoum », remarque une Tunisienne critique de cinéma.
À l’inverse, quelle est l’image de la Tunisie au pays des Pharaons ? « Beaucoup honnissent les islamistes d’Ennahdha assimilés aux Frères musulmans, mais la Tunisie peut compter sur ses footballeurs et ses artistes, ils sont les meilleurs ambassadeurs du pays », relève un Tunisien établi au Caire.
Au-delà des symboles, les relations économiques entre les deux pays sont anecdotiques. Et déséquilibrées. 312 entreprises tunisiennes des secteurs des services, de l’industrie, du tourisme et de l’agriculture ont investi en Egypte en 2018, à hauteur de 802 millions de dollars. En Tunisie, le volume des investissements égyptiens se chiffre à… 2,2 millions de dollars, répartis entre une usine de tabac et une autre dans le secteur des meubles et des appareils électroménagers.
Au-delà des symboles, les relations économiques entre les deux pays sont anecdotiques. Et déséquilibrées
L’investissement et l’ouverture de lignes maritimes seront certainement à l’ordre du jour des entretiens entre Sissi et Saïed mais ils consacreront surtout leur attention à la situation libyenne qui concerne de près les deux pays. Le 6 avril, le locataire de Carthage a reçu Najla Mangouch, ministre des Affaires étrangères du Gouvernement d’union nationale libyen pour examiner avec elle les moyens de diversifier le partenariat bilatéral : un sujet qui tient aussi à cœur de l’Egypte. « La hantise de tous les pays frontaliers avec la Libye serait que des puissances internationales s’accaparent le butin libyen avec un partage du territoire.
La crainte de tous les pays nord-africains est que s’opère une partition du pays ou que s’installe un fédéralisme poussé à outrance avec deux entités totalement différentes », commente l’expert de la question libyenne, Rafaa Tabib. Les inquiétudes des deux pays ont toutefois été quelque peu apaisées par l’installation d’un nouveau gouvernement à Tripoli, chargé de mener la Libye à des élections en décembre 2021.
À Tripoli, justement, l’Égypte lorgne l’énorme marché de la reconstruction, et compte sur la Tunisie pour y participer à ses côtés. L’ambassade libyenne au Caire a d’ailleurs annoncé le 13 mars la conclusion d’un accord avec l’Égypte dont l’objectif est de faciliter l’entrée d’ouvriers égyptiens en Libye. Tunis pourra, de son côté, fournir de la main-d’œuvre et des matériaux pauvres tels que le ciment ou la brique. Dans tous les cas, stabilité et reconstruction libyenne ne pourront que profiter à la Tunisie, qui cherche à protéger sa frontière avec la Libye des infiltrations d’éléments jihadistes.
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