Patriotisme cathodique

La nouvelle chaîne internationale a diffusé son premier JT le 6 décembre. Elle entend porter un regard spécifiquement français sur l’information.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Le présentateur est debout devant une haute table blanche, en face du prompteur sur lequel s’apprête à défiler le texte des informations en caractères arabes. Dans quelques secondes, un journal télévisé de dix minutes va démarrer. Hakim Beltifa est seul sur le plateau. Soudain, le signal lumineux rouge qui donne le top s’allume sur le dessus de la caméra centrale pilotée, comme les deux autres, à distance, depuis la régie finale. Et c’est parti ! Le journaliste lance en arabe ses sujets et les reportages suivent : Bush avec al-Maliki à Amman, Condoleezza Rice et Abbas à Gaza, puis retour en France avec Ségolène Royal et ainsi de suite Nous sommes jeudi 30 novembre, il est 15 h 30. Cette édition, réalisée dans les conditions du direct, ne sera pourtant pas vue par les téléspectateurs de la toute nouvelle chaîne française d’information continue, France 24. C’est encore la phase de préparation Une semaine avant le lancement officiel.
En fait, le programme en langue arabe de la chaîne ne sera dans un premier temps accessible que sur le Net (france24.com), et proposera reportages, interviews et enquêtes. Ce n’est qu’en juin 2007 que la chaîne lancera quatre heures de programmes en arabe. La mise sur orbite de France 24 en français et en anglais a eu lieu le 6 décembre et diffuse depuis 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cent soixante-dix journalistes bilingues, de 31 nationalités différentes, sur un effectif de plus de 300 personnes, sont à pied d’uvre depuis plusieurs semaines pour affronter un véritable défi : permettre à la nouvelle chaîne de se tailler une place de choix dans un paysage audiovisuel international où les grandes chaînes de référence CNN, BBC World et désormais Al-Jazira International s’affrontent pour le contrôle de l’opinion mondiale.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est en anglais que France 24 entend apporter à la planète ce que Gérard Saint-Paul, directeur général chargé de l’information et des programmes, appelle un regard franco-européen. « Notre cible, ce sont les décideurs à travers le monde, et 95 % de ces derniers sont anglophones, explique-t-il. Il n’y a que 11 % de francophones dans le monde. Nous avons besoin du vecteur anglais pour ?porter nos valeurs. » Selon la charte que doivent signer ses journalistes, la chaîne a pour mission de « véhiculer les valeurs de la France » que sont « l’ouverture à la diversité du monde, l’attention particulière portée à la culture, à l’art de vivre et au patrimoine ». Pour Gérard Saint-Paul , « il s’agit d’apporter autre chose que la vision binaire du monde proposée par les chaînes anglo-saxonnes, CNN ou BBC. Je respecte leur professionnalisme, mais on a vu pendant la guerre du Golfe que les médias américains privilégiaient le point de vue américain. »
Frédéric Helbert, grand reporter – vingt ans de reportages à travers le monde sur Europe 1 – s’apprête à partir à Gaza et Jérusalem. Homme de terrain, il a été de tous les grands conflits (Rwanda, Sierra Leone, Liban). « Qu’est-ce qui va nous distinguer des autres grandes chaînes internationales ? Nous éviterons tout manichéisme, d’un côté les bons, de l’autre les méchants, avec nous ou contre nous. Nous proposerons une vision du monde qui apporte la diversité, la confrontation, la contradiction. Nous apporterons une diversité de points de vue sur le Proche-Orient par exemple. Nous avons des liens particuliers, historiques, avec certaines régions du monde qui nous permettent une meilleure connaissance. » Qu’en est-il de l’Afrique ? Frédéric Helbert reconnaît que l’implication politique et diplomatique de la France peut souvent rendre les choses difficiles. « Je vois mal comment une équipe de télévision française pourrait aujourd’hui tourner sereinement au Rwanda. Mais j’imagine que France 24 sera accueillie favorablement dans les pays francophones. »
La chaîne diffuse des éditions d’information toutes les demi-heures en français et en anglais, mais aussi des magazines culturels, des chroniques (sport, environnement, science et technologie) et des talk-shows. Élisabeth Tsoungui présente tous les jours un journal culturel et est la seule à intervenir à l’antenne dans les deux langues. Journaliste d’origine camerounaise, elle a déjà un long parcours dans le paysage télévisuel français, où elle a notamment fait ses classes sur France 2 et TV5. Ali Laïdi, d’origine algérienne, est quant à lui le gourou de l’intelligence économique, producteur et présentateur de l’émission Intelligence économique. « Nous enquêtons tous les mois sur un sujet montrant comment les entreprises sont attaquées ou attaquent, sont espionnées ou espionnent, sont victimes ou actrices de la guerre économique », explique le chercheur, qui a soutenu une thèse de doctorat sur la théorie de la guerre économique. Ulysse Gosset, quant à lui, reçoit dans Le Talk de Paris des invités pour le grand rendez-vous politique de la chaîne.
Dotée d’un financement public de 86 millions d’euros, France 24 est un joint-venture contrôlé à 50/50 par France Télévisions et TF1, dont elle bénéficie des ressources en images et en logistique, notamment pour les réseaux mondiaux de correspondants. Quelle sera la réception de la chaîne sur le continent ? Sera-t-elle aussi influente que l’est RFI, ou tout aussi controversée dans certains pays comme la Côte d’Ivoire ou le Rwanda ? Quelles relations entretiendra-t-elle avec les dirigeants africains, souvent susceptibles, et dont certains (on l’a vu avec RFI ou TV5) ont pu intervenir pour empêcher ou différer la diffusion d’un reportage ?
Les responsables de la chaîne insistent sur leur souci d’indépendance et d’honnêteté

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